Gilles Jacob évoque particulièrement la personnalité marquée de l’acteur, qui nous a quittés dimanche à l’âge de 88 ans. Ils ont en effet vécu de nombreux instants ensemble lors du festival de Cannes.
« Il se respectait et attendait qu’on le respecte à son tour », a déclaré Gilles Jacob, ancien président du festival de Cannes de 2001 à 2014. Il s’est exprimé ce dimanche matin, le 18 août, sur 42mag.fr après l’annonce du décès d’Alain Delon, un acteur qu’il connaissait bien et avec qui il avait eu de nombreuses interactions lors du festival. Au-delà de ses souvenirs, Gilles Jacob a souligné que la perte de l’acteur « représente un soulagement pour lui, car il souffrait d’une maladie terrible, quelque chose qu’il n’a jamais pu maîtriser dans sa vie. » Il a ajouté : « Je suis convaincu qu’il est dans un endroit meilleur. »
franceinfo : Alain Delon, c’était un acteur de renom avec près d’une centaine de films à son actif, mais dans sa vie personnelle, incarnait-il également un certain personnage ?
Gilles Jacob : Il était parfaitement conscient de l’image qu’il véhiculait. Cette image correspondait à la réputation de Delon, et elle devait être prise au sérieux. Lorsque mon téléphone sonnait, il se contentait de dire « C’est Alain », d’une voix posée. Il y a plusieurs Alain dans le cinéma, mais s’il s’apercevait qu’il n’était pas immédiatement reconnu, il était capable de raccrocher. Cela montre à quel point il avait du respect pour lui-même et attendait la même chose des autres. Contrairement à Belmondo, qui avait une approche amicale et fraternelle, Delon se percevait de manière plus respecteuse et distanciée. Il a incarné de nombreux rôles : policier, criminel, assassin, homme traqué, instructeur, ou encore amoureux de femmes ravissantes. Ses performances resteront gravées dans l’histoire du septième art, témoignant d’une vie riche, souriante et hors du commun.
Ce que vous évoquez semble contribuer à sa légende, présentant un personnage qui paraissait distant, centré sur lui-même, presque narcissique ?
Ce n’est pas un personnage déplaisant ; c’est plutôt quelqu’un qui tenait à être pris avec sérieux. Je me souviens d’une anecdote : lors de sa venue à Cannes, une voiture aurait dû le récupérer à l’aéroport de Nice, comme d’habitude, mais pour une raison inconnue, elle n’était pas là. Delon se retrouvait donc sur le trottoir, attendant avec sa valise de petite taille. Heureusement, un autre chauffeur a pu le secourir. Dans le véhicule, il était en colère et a lancé : « Emmenez-moi directement chez Jacob, il va comprendre ce qu’est Alain Delon. » J’ai bien sûr présenté mes excuses, même si la situation ne relevait pas de ma responsabilité, mais depuis ce jour, il a décidé de ne plus prendre le festival en charge. Il optait désormais pour un hélicoptère afin de ne plus dépendre des arrangements du festival.
Alain Delon affirmait qu’il n’avait jamais joué de sa vie et que pour lui, ses rôles étaient une réalité, est-ce cela qui a contribué à faire de lui un grand acteur ?
C’est effectivement vrai que nous construisons une grande partie de notre identité nous-mêmes, mais il était aussi très observateur. Il avait compris l’importance de la sobriété, de demeurer tranquille. Sa façon de se présenter était extrêmement sobre, presque majestueuse, à l’image d’un grand fauve qui évolue dans la savane, dominants son environnement. Lorsqu’il jugeait que le réalisateur n’était pas à la hauteur, il n’hésitait pas à prendre les rênes de la mise en scène. Toutefois, ce n’était pas forcément son point fort ; on peut évoquer une mise en scène plutôt classique et mesurée. En réalité, il était un artiste exceptionnel ayant interprété des centaines de rôles diversifiés, toujours avec sa signature : sa vivacité, sa sobriété et son élégance.