À l’issue d’une première série de consultations, le président de la République a rejeté, lundi soir, l’idée de former un gouvernement comprenant le Nouveau Front populaire. Cette décision suscite de vives critiques au sein de la gauche, qui considère qu’il dépasse les limites de ses attributions en tant que chef de l’État.
C’est un non catégorique. Depuis que le Nouveau Front populaire (NFP) a désigné Lucie Castets comme candidate à la fonction de Première ministre, le 23 juillet, Emmanuel Macron a systématiquement écarté la candidature de cette haut fonctionnaire pour remplacer Gabriel Attal. Le dernier refus a été confirmé par un communiqué de l’Élysée, daté du lundi 26 août. « En raison des avis des responsables politiques consultés, la stabilité institutionnelle de notre pays oblige à ne pas envisager cette option. » a précisé l’Élysée suite aux nombreuses consultations effectuées par le chef de l’État depuis vendredi.
Avec cette déclaration, Emmanuel Macron abandonne sa posture neutre pour afficher sa volonté de former un gouvernement qu’il juge le plus stable afin d’éviter d’être destitué. « Le président de la République a noté qu’un gouvernement fondé uniquement sur le programme et les partis de l’alliance regroupant le plus grand nombre de députés, à savoir le NFP, risquerait immédiatement d’être censuré par tous les autres groupes présents à l’Assemblée nationale. Un tel gouvernement serait donc confronté dès le départ à une majorité de plus de 350 députés contre lui, ce qui l’empêcherait d’agir », indique le communiqué.
La notion de « continuité de l’État » remise en question
Ces déclarations ont suscité de vives réactions au sein de la gauche. « C’est un acte antidémocratique absolument inacceptable, fondé sur une argumentation dénuée de sens, » a déclaré Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, sur BFMTV. La décision présidentielle « ne respecte pas du tout la logique des institutions, c’est très préoccupant. La démocratie n’a pas de valeur aux yeux du président et cela s’avère extrêmement dangereux, » s’est inquiétée Lucie Castets sur France Inter.« Nous sommes en pleine dérive illibérale, » a dénoncé l’écologiste Marine Tondelier sur 42mag.fr.
« On est en train de se faire voler cette élection. (…) Ce qui m’énerve profondément, c’est qu’on parle de stabilité, alors que les trois quarts des Français demandent un changement, car ils en ont besoin. »
Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistessur 42mag.fr
Pour les responsables de la gauche, c’est à Emmanuel Macron de désigner le Premier ministre, et ensuite au Parlement de décider s’il convient ou non de censurer ce nouveau gouvernement. « Nous sommes prêts à prendre le risque, à négocier des accords pour éviter la censure. Si Lucie Castets devait être nommée à Matignon, elle sait qu’elle devrait s’impliquer dans des négociations, dans des discussions, en s’appuyant sur le Parlement, » a souligné le député socialiste Arthur Delaporte sur RMC, mardi matin. « En démocratie, il n’est pas acceptable de déclarer à l’avance qu’un gouvernement est impossible ».
Emmanuel Macron peut-il légitimement s’opposer à la nomination d’une Première ministre en raison de son opinion selon laquelle ce gouvernement serait rapidement renversé ? En réalité, rien dans la Constitution ne l’en empêche. « Le président de la République veille à la conformité avec la Constitution. Il garantit, par son arbitrage, le fonctionnement harmonieux des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État, » stipule l’article 5 de ce texte fondamental de la Ve République. « Toutes les prérogatives du chef de l’État peuvent être liées à la continuité de l’État, » analyse pour 42mag.fr Arthur Braun, maître de conférences en droit public. Cette vue est partagée par Jennifer Halter, avocate spécialiste en droit public et autrice du Petit Livre de la Constitution française (éditions First).
« Emmanuel Macron ne me semble pas illégitime dans sa volonté de préserver la stabilité des institutions. »
Jennifer Halter, avocate et spécialiste en droit publicà 42mag.fr
Déjà, à la fin juillet, le chef de l’État avait été vivement critiqué par la gauche pour avoir refusé de nommer Lucie Castets à Matignon. « La question est de savoir quelle majorité peut se former à l’Assemblée pour qu’un gouvernement puisse promulguer des réformes, voter un budget et avancer dans le pays, » disait-il sur France 2, le 23 juillet. La question de la stabilité de la nouvelle majorité avait alors été soulevée, et les spécialistes, à l’époque, jugeaient qu’il n’y avait pas lieu de parler de coup d’État institutionnel.
« Dans sa mission institutionnelle, Emmanuel Macron doit choisir un Premier ministre qui puisse bénéficier de la confiance du Parlement et qui ne risque pas d’être immédiatement censuré, » déclare Arthur Braun. En d’autres termes, pour conserver son poste, un Premier ministre doit s’assurer que moins de 289 députés votent une motion de censure contre lui. Faire perdurer le gouvernement fait partie intégrante du fonctionnement normal des pouvoirs publics, souligne également le constitutionnaliste Dominique Rousseau sur le réseau social X.
Puisqu’il s’agit d’une question politique, la situation se complique. « En tant que constitutionnaliste, je ne lui reproche pas de consulter et de rechercher un Premier ministre capable de tenir ses responsabilités. En revanche, on peut lui reprocher de prolonger le processus. On peut également remettre en question ses intentions politiques, mais que peut-il faire d’autre ? », s’interroge Arthur Braun, estimant que le chef de l’État « doit trouver des majorités alternatives » pour gouverner.
Certaines voix affirment que c’est le chef de l’État lui-même qui a engendré une forme d’instabilité, en annonçant la dissolution après les élections européennes ratées pour l’ancienne majorité. « De facto, le résultat des législatives a créé une instabilité institutionnelle, » analyse Jennifer Halter, en soulignant la division en trois blocs distincts. « Il existe en réalité trois majorités relatives, » souligne Arthur Braun.
Une situation figée avant une instabilité majeure ?
Actuellement, aucun nom ne se dégage du bloc central ni de la droite pour proposer une alternative à Lucie Castets pour Matignon. C’est pourquoi Emmanuel Macron a décidé de poursuivre ses consultations, mardi, avec un groupe restreint de partis. La France insoumise, le Rassemblement national, ainsi que les soutiens d’Éric Ciotti n’ont pas été invités, tandis que les autres partis du NFP ont affirmé qu’ils ne se rendraient plus à l’Élysée si la candidature de Lucie Castets à Matignon n’était pas retenue.
La situation apparaît donc bloquée, avec trois blocs principaux qui refusent de faire des concessions les uns envers les autres. En l’absence de compromis, le prochain gouvernement serait confronté à une motion de censure de toutes les autres forces. « La Constitution permet à Emmanuel Macron de maintenir son autorité, mais il se retrouverait dans une situation qui évoque celle de la IVe République, » marquée par une forte instabilité gouvernementale, résume Jennifer Halter. « Les discussions continuent, » a assuré Emmanuel Macron mardi après-midi, à l’issue des nouvelles consultations. Ces discussions sont encore loin d’être terminées.