Le 7 avril 2024, une série prolongée de cérémonies mémorielles a été lancée au Rwanda, marquant trois décennies depuis le commencement du génocide contre les Tutsis, qui a causé la perte de près de 800 000 vies. Félicité Lyamukuru, une survivante, souligne l’importance de transmettre à l’humanité tout ce que nous avons appris.
Elle peine souvent à exprimer l’horreur de sa vie qui a basculé lorsque sa famille, autrefois soudée et heureuse, a été anéantie. « Le 7 avril, j’ai perdu ma mère, ainsi que cinq de mes frères et sœurs, sur sept au total. Que puis-je dire des émotions ressenties après avoir vu disparaître tous mes proches, en un instant et dans tous les endroits? », raconte Félicité Lyamukuru, rescapée du génocide rwandais qui a fait près d’un million de victimes en 1994, principalement parmi les Tutsis, mais également parmi des Hutus modérés.
Raconter pour lutter contre le denialisme
Depuis plusieurs années, elle se déplace sans relâche dans les établissements scolaires pour sensibiliser les jeunes aux ressorts de la haine. Elle accompagne souvent des groupes d’élèves lors de voyages scolaires au Rwanda, leur faisant visiter les lieux des atrocités. Elle s’engage également dans des projets relatifs à la mémoire. Trente ans après les événements tragiques, l’un de ses principaux combats concerne le négationnisme, qui se répand sur les réseaux sociaux. En République démocratique du Congo (RDC), pays voisin où de nombreux responsables du génocide se sont réfugiés, les relations avec le Rwanda demeurent toujours très délicates.
Résidente à Bruxelles depuis près de 25 ans, cette mère de quatre enfants partage ce que signifient pour elle les commémorations marquant les 30 ans après le génocide et le moyen avec lequel elle cohabite avec la mémoire de ceux qui ont péri. « C’est toujours une expérience impressionnante et douloureuse… Même si l’on a l’impression que cela s’est produit hier, lorsque je regarde ma fille aînée qui a maintenant 20 ans, cela nous rappelle que ce n’était pas hier et que beaucoup de choses ont changé depuis… »

Bien qu’elle porte encore chaque jour le poids de sa douleur, elle considère que 30 ans, c’est « le temps d’une génération. » Au Rwanda, « vous pouvez désormais croiser des adultes de 30 ans qui n’ont pas ce lien direct avec le génocide, » explique-t-elle, « c’est porteur d’espoir. » Cependant, pour d’autres, « le temps ne guérit rien de ces blessures. » Elle ajoute que même si « la justice avance à un rythme désespérant, » « elle a son importance et son rôle unique. Même si cela prend du temps, nous restons patients. »
« Chaque fois qu’un génocidaire est jugé, c’est une forme de justice pour de nombreuses survivants et pour les victimes. »
Félicité Lyamukuru, rescapée du génocide rwandais.à 42mag.fr
Après avoir publié un récit personnel intitulé L’Ouragan a frappé Nyundo en 2018, Félicité Lyamukuru se consacre à l’écriture de son second livre, un recueil de nouvelles basé sur les témoignages de survivants du génocide. Elle souligne que « il est crucial de rédiger, de transmettre ce qui a été vécu. Cela constitue un héritage pour l’humanité, il est essentiel de laisser à cette dernière tout ce que nous savons. »