Au cours des quinze derniers jours, un enthousiasme exceptionnel a été constaté, accompagné de paysages dignes de cartes postales et d’une logistique parfaitement orchestrée. Toutefois, il est temps de se pencher sur la question de ce que cet événement laissera comme héritage et comment il influencera l’avenir.
Une parenthèse magique. Un moment de solidarité nationale. Un franc succès populaire. Les adjectifs et les descriptions varient souvent selon les observateurs de ces Jeux olympiques. Mais l’essence demeure quasiment inchangée lorsqu’ils essaient de rendre compte de cette période incroyable, tant à Paris que dans les autres villes hôtes des compétitions.
Après une période de turbulences politiques et sociales, la France a montré un nouveau visage au monde. Celui d’une nation qui chante avec passion, qui maîtrise les subtilités du basket 3×3 et du rugby à 7, qui grimpe sur des lampadaires pour apercevoir la flamme, et qui célèbre la Phryge, cette mascotte flamboyante, qui est devenue dans une ambiance générale un emblème de joie et de liberté. La question qui demeure est de savoir quand nous retournerons à une réalité plus austère. Dès ce lundi 12 août, premier jour sans compétition ?
« Nous attendions cette excitation. Nous l’espérions. Pour qu’un tel événement soit une réussite, il faut une organisation solide, des médailles et une adhésion populaire. » La formule est présentée par Jean-François Lamour, ancien champion olympique et ministre des Sports. Il salue le travail réalisé au cours de ces deux semaines, sorties de deux campagnes électorales. « Trois semaines auparavant, nous étions divisés. Maintenant, nous éprouvons fierté pour la France, unis sous le même drapeau. », ajoute Nicole Abar, ancienne footballeuse internationale des années 1960, présidente de l’association Liberté aux joueuses. En quelques heures, le 26 juillet, la cérémonie d’ouverture, orchestrée par Thomas Jolly malgré des conditions climatiques défavorables, et clôturée avec brio par Céline Dion, a ( presque) fait taire les détracteurs.
Les jours qui ont suivi ont également été marqués par cette ambiance. Les transports publics ont su faire face, tout comme les athlètes français. Jean-François Lamour souligne un point crucial : « Si les résultats avaient été décevants pour nos athlètes, la ferveur n’aurait pas été la même. » Ce dernier, qui chuchotait à l’oreille du président lors de la Coupe du monde 1998, nous rappelle que même les halles sans âme du Parc des expositions de la porte de Versailles se sont transformées en véritables fournaises grâce aux frères Lebrun, tandis que le beach-volley sous la tour Eiffel ou l’escrime au Grand Palais ont bénéficié de décorations dignes de cartes postales.
« Un phénomène inédit pour la France »
Le niveau d’exigence a été porté très haut. Mais est-ce que tous les publics ont vraiment eu accès à cette expérience ? « Même si les classes populaires n’occupaient pas les tribunes, leur présence se faisait ressentir. » C’est ce qu’affirme l’ancien président de la République François Hollande, qui a été le fondateur de la candidature de Paris durant son mandat. Les audiences au cours de ces Jeux en témoignent. « Il y avait six millions de téléspectateurs à 10 heures pour suivre la médaille de Félix Lebrun ! » s’émerveille Gilles Erb, président de la Fédération française de tennis de table. « Pour une simple partie de ping-pong ! » Les Français ont même appris qu’il fallait désormais dire « ping ».
Inéluctablement, la comparaison avec l’engouement suscité par l’équipe de France de football lors de la Coupe du monde de 1998 s’impose. « France 98, c’était d’une intensité supérieure, en termes d’euphorie. Personne n’est descendu sur les Champs-Élysées pour célébrer les médailles de Léon Marchand ou Teddy Riner », constate Julien, un des nombreux supporters français qui soulignent cette distinction. D’un point de vue culturel, cela ne fait pas partie des us et coutumes associés aux JO, même si une parade est prévue le 14 septembre pour honorer tous les athlètes. Même si le Club France évoquait chaque soir un festival comme celui des Champs-Élysées en juillet 1998.
« Ce public qui n’avait pas réservé de place mais qui cherchait à soutenir les athlètes français » a néanmoins marqué François Hollande. « Il y avait une même ferveur, ce désir de partage en 1998 », rebondit Jean-François Lamour, qui se souvenait d’être au-dessus de Jacques Chirac lors de la finale France-Brésil. Une ferveur plus générale, touchant un plus grand nombre de personnes, nuance la sociologue Béatrice Barbusse : « Des sports variés, des sensibilités différentes, plus de nations représentées… Il y a aussi eu la présence des femmes aux JO. »
Ce constat est partagé par Stéphane Diagana, champion du monde de 400 m haies en 1997 et consultant pour France Télévisions en athlétisme. « Ces JO, c’est un phénomène qui a véritablement marqué la France. C’est sans précédent. Je pense qu’ils sont plus marquants que 1998. » « Les supporters ont également découvert une autre approche vis-à-vis de l’adversaire et des sports, avec une ambiance très conviviale. » En effet, aucun incident de hooliganisme n’a été signalé durant cette quinzaine, contrairement à ce que l’on a vu lors du Mondial 1998 ou à l’Euro 2016, en France.
« Un moment qui a changé quelque chose »
Prenons le cas de Limoges, souvent perçue comme une ville tranquille. « Il n’y avait pas de réjouissances dans les rues, plutôt une ambiance de retrait chez chacun », observe Sylvie Rozette, adjointe au maire de la ville. Mais cette ferveur était bien présente. Elle s’est manifestée différemment, centrée autour d’un pays plutôt que d’une seule équipe, contrairement au Mondial de football. » À Châteauroux, en revanche, une ville de 43 000 habitants ayant accueilli des épreuves de tir, l’atmosphère était autre. « Normalement, on a l’impression d’être en dehors des coups de projecteur. », reconnaît Gil Avérous, le maire de Châteauroux. Ces Jeux ont prouvé que des événements pouvaient bien se produire dans des villes de taille intermédiaire. L’ambiance des compétitions de tir était comparable à celle des salles parisiennes ! Un peu plus loin, Châteaudun a également ressenti l’événement. « Depuis le passage de la flamme, nous avons été pris dans cette euphorie. » s’enflamme le maire Fabien Verdier. Les trois mois de tournée de la flamme à travers la France ont porté leurs fruits. « Il s’est vraiment passé quelque chose. »
Ainsi, il y aura un avant et un après. « Ces images d’un Paris, patrimoine mondial, vivant, que ce soit lors de la cérémonie d’ouverture ou pendant les compétitions sportives, apportent une bouffée d’optimisme aux Français. Paris demeure solide, vibrante. C’est un véritable laboratoire d’un ‘nous’, riche des influences du monde entier, tout en apportant des enrichissements au reste du monde. », s’enthousiasme Damien Gabriac, l’un des concepteurs de la cérémonie d’ouverture. Des souvenirs qui doivent perdurer, espère Anne Hidalgo.
« Ce n’est pas une simple parenthèse enchantée, c’est le fruit de dix années de travail, avec un héritage qui s’étendra sur les vingt prochaines années. »
Anne Hidalgo, maire de Parisà 42mag.fr
Un héritage et des engagements, dont la baignabilité des eaux de la Seine, un enjeu important pour les élus prêts à tous les défis devant les caméras. Pour l’instant, aucune garantie ne prouve que les Parisiens pourront s’y baigner à l’été 2025, comme promis. À plus long terme, diverses initiatives telles que les journées portes ouvertes et les sessions d’initiation aux sports olympiques pourraient inspirer des vocations, espère Mélina Robert-Michon, porte-drapeau pendant la cérémonie d’ouverture : « J’espère que cela a changé l’été de beaucoup d’enfants, et qu’ainsi, cela transformera leur vie ! »
« Les émotions vont inévitablement s’estomper »
Reste à déterminer à quel moment cette période de post-événement commencera. « C’était agréable de chanter et de sourire avec des inconnus jusqu’à perdre ma voix. Mais après ces Jeux, il y aura un grand vide, et les défis sociétaux seront toujours présents. », prédit la sociologue Béatrice Barbusse. François Hollande partage cette vision : « Il y aura certainement un regain de confiance. Les responsables politiques en tireront profit, mais cela ne durera pas. »
Les conditions politiques et sociales ne laissent rien présager. Le sociologue Patrick Mignon s’inquiète de la façon dont le pouvoir tentera d’exploiter cette dynamique, au-delà de la parade prévue le 14 septembre. « Nous allons rapidement revenir à des réalités plus dures. Les émotions suscitées par les JO vont peu à peu s’estomper. Un sentiment de fierté nationale a émergé, mais à long terme, cela ne résistera pas, soyons réalistes. » Des problématiques comme l’absence de gouvernement, les préoccupations budgétaires, le pouvoir d’achat, l’immigration et l’insécurité devraient reprendre rapidement le devant de la scène, selon lui.
Pour les touristes aussi, l’après pourrait arriver très vite. « À cette occasion, les étrangers ont été agréablement surpris par l’accueil des Français, mais les Parisiens n’étaient pas présents. C’est durant les semaines suivant les jeux que nous verrons si cet esprit communautaire a véritablement laissé une empreinte. » témoigne Nicolas, un bénévole.
« Cela fait partie de notre héritage »
Il semble qu’il n’y aura pas d’afflux de visiteurs à Paris pour photographier les vestiges des sites olympiques. La plupart d’entre eux n’existeront plus dans quelques années. La promesse de Paris 2024, avec des infrastructures minimales construites pour l’événement, ne modifiera pas durablement le paysage. Sauf en Seine-Saint-Denis, où le président du département, Stéphane Troussel, y voit un avenir transformé.
« Dans dix ans, les touristes qui viendront admirer les traces laissées par les Jeux olympiques ne se dirigeront ni vers la tour Eiffel, ni vers le Champ de Mars, car tout aura été démonté. »
Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denisà 42mag.fr
Pour continuer : « Ils visiteront le Stade de France, la piscine olympique, ou encore le village destiné aux athlètes ou aux médias… »
Pour le reste, les souvenirs pourraient demeurer enfouis au fond d’un tiroir. Les mascottes, les Phryges, souvent critiquées auparavant, ont connu un retour inattendu durant les Jeux. « C’est un symbole qui perdurera, un héritage marquant dans le monde. » affirme Alain Joly, président de la société Doudou et compagnie, l’un des fabricants des produits dérivés, qui voit en cette mascotte un Tourisme durable. Quoique l’on s’oriente vers Los Angeles 2028, Brisbane 2032 ou la ville qui accueillera les JO en 2036, ces événements pourront peut-être s’inspirer de la « touche française » qui a illuminé cette quinzaine. Parmi les innovations appréciées : la cloche, le selfie sur le podium, les trois coups précédant chaque compétition.
Enfin, il y a ces petits gestes qui aident certains à surmonter la mélancolie post-JO. Mathilde, une Vendéenne de 33 ans, a déjà modifié la sonnerie de son réveil pour mettre l’hymne des JO : « Mon copain trouve cela ridicule, mais cela me plaît : j’ai aimé ces Jeux et je veux prolonger cet élan. » Nathalie, qui a emmené son fils assister à une compétition d’escrime au Grand Palais, prévoit déjà de lui rappeler souvent ce que « le pays a vécu durant l’été 2024. » C’est désormais une page de notre histoire. Il est encore trop jeune pour saisir l’importance. Mais j’espère qu’il conservera des souvenirs pour l’avenir. » Comme nous a si bien chanté Johnny Hallyday, figure emblématique de la bande-son de cette quinzaine, nous portons tous en nous un écho des Jeux de Paris.