Pour la première fois depuis l’établissement de la Ve République, le moment de la rentrée scolaire se fera sans la présence d’un ministre pleinement en fonction. C’est une situation sans précédent qui s’ajoute à l’instabilité gouvernementale observée au cours des derniers mois.
Après avoir eu trois ministres en l’espace d’une année scolaire – quatre depuis la réélection d’Emmanuel Macron – le secteur de l’Éducation nationale se prépare à une rentrée sans véritable direction, en attendant une cinquième nomination. Nicole Belloubet, qui a occupé le ministère de l’Éducation nationale pendant seulement cinq mois, a récemment présenté sa démission à la suite des résultats des élections législatives anticipées. Bien qu’elle gère actuellement les affaires courantes, elle animera néanmoins la conférence de presse de rentrée le mardi 27 août, après avoir rencontré les recteurs le lundi. Cela constitue un fait « sans précédent sous la Ve République », comme l’a souligné Claude Lelièvre, historique du domaine éducatif.
Depuis le départ de Pap Ndiaye en juillet 2023, l’éducation a connu une succession de trois titulaires : Gabriel Attal, Amélie Oudéa-Castéra et Nicole Belloubet. « Ces changements n’ont pas permis d’offrir une perspective sur le long terme, ni d’instaurer des réformes fondamentales pour sortir l’école des difficultés », critique Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat Snes-FSU. Une telle série de ministres n’avait pas eu lieu depuis les années 1960. « Pendant la période gaullienne, on dénombrait cinq ministres en seulement deux ans et dix mois », rappelle Claude Lelièvre. Néanmoins, il convient de noter certaines distinctions entre ces deux époques : « Actuellement, nous sommes de plus en plus dans une logique de communication. C’était déjà un défaut noté avec Jean-Michel Blanquer, mais à l’époque, une certaine stabilité dans le ministère existait. »
Des projets avortés
Les récents ministres ont rencontré des difficultés pour convaincre, et parfois même ont engendré le rejet. « Le premier [Gabriel Attal] : sa priorité était sa carrière et il a réussi, puisque maintenant il est Premier ministre. La seconde [Amélie Oudéa-Castera] a rapidement montré ses limites [techniquement mise en difficulté par une controverse sur l’école privée]. La troisième ministre, quant à elle, a été celle de la stagnation, n’ayant pas pris à bras-le-corps les enjeux de l’Éducation nationale. », s’insurge Sophie Vénétitay.
L’année scolaire 2023-2024 s’est aussi caractérisée par une série de réformes. Certaines ont été appliquées de façon quasi immédiate, comme l’interdiction du port de l’abaya ainsi que le report des épreuves de spécialité du baccalauréat de mars à juin. D’autres mesures seront mises en œuvre à la rentrée, comme les controversés groupes de niveau en 6e et 5e pour les matières de français et de mathématiques, rejetés par de nombreux syndicats, qui y voient une sélection inégale des élèves.
« L’année dernière, nous avons observé une surenchère dans les priorités éducatives. Cependant, le temps de la politique ne correspond pas au rythme de l’école », déplore Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa, qui représente les chefs d’établissements. D’autres projets ont été abandonnés en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale, notamment la réforme de la formation des enseignants, que Nicole Belloubet avait annoncée à la mi-juillet sur RMC. Les nouveaux programmes, en mathématiques et français ainsi que la labellisation des manuels scolaires font également partie des initiatives mises sur la touche.
Une rentrée malgré tout organisée
À moins d’une semaine des vacances d’été, Bruno Bobkiewicz constate qu’un « climat particulier » règne, mais souligne que l’absence de leadership au sein de l’Éducation nationale – avec 1,2 million d’agents au total – « n’impacte pas nécessairement la préparation de la rentrée. » Il note également que « les orientations politiques avaient été fixées quelques mois auparavant ». Ces dernières ont été officialisées par la circulaire de rentrée diffusée fin juin, qui stipule notamment la création des groupes de niveau pour les deux premières années de collège.
Le secrétaire général du SNPDEN-Unsa rappelle que, par essence, une rentrée se base avant tout sur des aspects « techniques », allant de l’organisation des emplois du temps à l’affectation des salles, et que ces préparatifs ont débuté dès le printemps dernier. « Les académies poursuivent également le recrutement et le déploiement des enseignants dans les établissements », souligne Bruno Bobkiewicz. « Il convient de nuancer l’importance du ministre, car les classes vont s’ouvrir, et les recteurs [chef d’académie] assureront le bon fonctionnement du système », affirme Max Brisson, sénateur et membre de la commission de l’éducation, au micro de Public Sénat.
« Nous faisons face à une période marquée par une immobilité politique, mais l’administration continue à fonctionner. »
Max Brisson, sénateur LRsur Public Sénat
Un élément qui prouve cela : le 16 juillet, Caroline Pascal a été désignée nouvelle directrice générale de l’Enseignement scolaire, remplaçant ainsi Édouard Geffray. Cette « ministre bis » a pour mission d’appliquer la politique éducative déterminée par le gouvernement. « Pour l’heure, nous nous concentrons sur l’application de ce qui a été décidé, débattu, approuvé et publié. Nous devrons attendre que le nouveau gouvernement soit nommé pour envisager des modifications des orientations politiques », a-t-elle déclaré vendredi dans les colonnes de L’Express.
Des attentes sur l’avenir
Ce rôle ne pourra pas être clairement établi par Nicole Belloubet lors de la conférence de presse. Alors que cette rencontre a habituellement pour but de définir les objectifs scolaires pour l’année à venir et de permettre au ministre d’imprimer sa marque, « la situation sera atypique cette année avec une ministre en fin de mandat », prévoit Sophie Vénétitay.
« Ce moment est d’habitude très politique, cependant le gouvernement de Gabriel Attal a été insuffisamment soutenu lors des élections. Nicole Belloubet aurait pu s’en tenir à l’essentiel, comme la remise d’un dossier de presse par exemple. »
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSUà 42mag.fr
Cependant, pour Claude Lelièvre, « dans la tradition française de l’éducation, elle ne pourra pas déroger à cette pratique. »
Deux interrogations persistent : quand Nicole Belloubet officialisera-t-elle son départ et qui prendra sa suite ? La ministre sortante pourrait rester en fonction après le 2 septembre. « Il est possible que je sois encore à ce poste, je me prépare donc pour cette rentrée scolaire. », a-t-elle confié à RMC à la mi-juillet. Plus d’un mois après, cette hypothèse se renforce, car Emmanuel Macron n’a pas encore nommé son futur ministre.
Bruno Bobkiewicz insiste sur la nécessité de ne pas prolonger cette situation. « Il est crucial d’obtenir rapidement des informations quant à la reprise de certaines annonces qui ont été mises sur le devant de la scène avant la dissolution, comme par exemple, l’obligation du brevet pour accéder à la seconde ? Cette information doit être communiquée rapidement aux élèves de 3e. », souligne le représentant des chefs d’établissement.
La deuxième interrogation concerne le profil du futur ministre de l’Éducation nationale, « il est fondamental d’avoir quelqu’un qui ait au minimum une bonne connaissance du milieu », note Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC), auprès de l’AFP. « Ce n’est pas simplement une question de personnalité, mais aussi de compréhension des enjeux budgétaires et de la reconnaissance des défis à relever… » En prenant en compte que la profession fait face à un « manque de reconnaissance », Claude Lelièvre souligne que « tenir compte des résultats des élections » pourrait favoriser la réconciliation entre les enseignants et le ministère.