L’acteur a succombé dimanche à l’âge de 88 ans. Figure emblématique du cinéma international, il a participé à la réalisation de plus de 80 longs-métrages. Son parcours artistique, qui s’étend sur une cinquantaine d’années, est véritablement remarquable.
Avec son regard captivant et son charisme mystérieux, Alain Delon était une véritable légende du cinéma. L’acteur français s’est éteint le dimanche 18 août, à l’âge de 88 ans. Luttant contre les effets de plusieurs accidents vasculaires cérébraux et placé sous une curatelle renforcée, ses dernières années ont été marquées par des défis personnels significatifs. Il laisse derrière lui une impressionnante filmographie de plus de 80 œuvres, qui a illuminé le cinéma français et européen pendant près de cinquante ans. En reconnaissance de son riche parcours, il a reçu la Palme d’or d’honneur au Festival de Cannes en 2019, honorant son rôle incontournable dans l’industrie cinématographique.
Que ce soit en tant que policier ou malfrat à l’écran, son chemin personnel a souvent été semé d’embûches. Ses multiples histoires d’amour, qu’il voyait comme sa « plus grande addiction », ses connivences avec le monde criminel, et ses choix de projets parfois surprenants, ainsi que ses prochains avec l’extrême droite, sans oublier les tensions au sein de son entourage, font de son existence un récit captivant. 42mag.fr propose un aperçu de la vie de cet acteur devenu célèbre par un « accident ».
Un coup de chance et un coup de cœur
Alain Delon entame sa carrière cinématographique en 1957, à seulement 23 ans. Sa beauté remarquable attire l’attention de Michèle Cordoue, l’épouse du réalisateur Yves Allégret. Sous l’influence de sa femme, qui entretient une liaison avec le jeune acteur, il lui offre un petit rôle dans la comédie policière Quand la femme s’en mêle, aux côtés d’Edwige Feuillère, Bernard Blier et Sophie Daumier, qui deviendra par la suite la compagne de Guy Bedos. C’est également le moment de son premier baiser au cinéma.

Quelques mois plus tard, un rendez-vous entre Alain Delon et Romy Schneider ne se passe pas comme prévu. Sur la base d’une photo, elle le sélectionne pour incarner son partenaire dans Christine. À son arrivée à l’aéroport d’Orly, il l’attend avec un bouquet « trop flamboyant » le premier novembre 1958. L’actrice, déjà célèbre pour Sissi (1955), juge le jeune homme « trop séduisant, trop jeune, trop bien coiffé, trop à la mode », tandis que lui, la critique à sa manière en la trouvant « répugnante » ce jour-là. Cela marque le début d’une romance tumultueuse qui s’étendra sur cinq ans.

Finalement, Alain Delon met fin à leurs fiançailles pour se tourner vers Nathalie, une jeune femme dont il entretient une relation secrète, et qu’il épousera en 1964, faisant d’elle son unique épouse.
L’année 1960 redéfinit la carrière de l’acteur, qui s’illustre dans Plein Soleil, un film de René Clément adapté du roman Monsieur Ripley (1955) écrit par Patricia Highsmith. Dans ce long métrage, il incarne un usurpateur qui hérite de l’identité de son ami Philippe, dont il envie le mode de vie de luxe. Ce film noir, se déroulant dans les décors ensoleillés de la Côte d’Azur, révèle un Alain Delon à la fois sensuel, ambivalent et meurtrier.
Éblouissant avec Visconti
« Il m’a enseigné le cinéma, il m’a instruit sur mon métier, il m’a montré le cadre, il m’a fait découvrir l’objectivité », confiera-t-il à propos de René Clément. Séduit par l’exécution de Delon, le cinéaste Luchino Visconti poursuit son apprentissage avec Rocco et ses frères, un mélodrame qui remportera le Lion d’argent à la Mostra de Venise.
À 28 ans, il se retrouve face à Claudia Cardinale dans Le Guépard (1963), considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de Luchino Visconti. Cette épopée cinématographique sur le déclin de l’aristocratie italienne est une adaptation du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, couronnée d’une Palme d’or au Cannes de 1963. Delon incarne Tancrède Falconeri, un noble sans fortune qui redécouvre un sens à sa vie grâce à la révolution de Garibaldi. La scène mythique du bal a nécessité 40 nuits de tournage.
Les films marquants s’accumulent pour cet acteur devenu l’un des plus convoités du septième art. En 1963, il partage l’affiche avec l’un de ses modèles, Jean Gabin, qu’il surnomme affectueusement « patron » sur le plateau de Mélodie en sous-sol, où il incarne un jeune délinquant qui s’associe avec un criminel de longue date afin de cambrioler un casino à Cannes. Les dialogues de ce film culte sont signés Michel Audiard.
Le roi du polar
En sus d’un succès critique, Mélodie en sous-sol est désigné meilleur film en langue étrangère lors des Golden Globes, marquant un moment fort dans la carrière d’Alain Delon, qui encaisse plusieurs millions de francs grâce à un accord lui permettant de toucher des droits de production.
Longtemps, l’image du voyou lui collait à la peau. Habillé d’un imperméable et d’un chapeau, Alain Delon incarne un tueur à gages taciturne dans Le Samouraï (1967), réalisé par Jean-Pierre Melville. Ce personnage, ainsi que l’esthétique gelée du film, captiveront une génération de réalisateurs asiatiques, tels que John Woo, dont le héros dans le film d’action noir Le Syndicat du crime (1986) fait écho à Jef Costello, l’alter ego de Delon dans le film.
En 1968, il invite Mireille Darc à jouer à ses côtés dans Jeff, premier film qu’il produit. C’est le début d’une histoire d’amour à l’écran qui se transforme rapidement en romance réelle. Leur relation emblématique durera quinze ans, mais l’actrice, souffrant d’une maladie cardiaque, ne peut pas avoir d’enfants, un désir profond qu’Alain Delon nourrit. « Il avait besoin de fonder une famille (…) il voulait des enfants », confiait-elle dans une interview à Gala en 2011. « Elle était l’amour de ma vie, nous avons vécu tant de moments heureux ensemble, et profité pleinement de notre vie », se remémorait Delon en 2017 dans Paris Match, peu après le décès de son ancienne compagne.

Au cours des années 1970, Alain Delon enchaîne les films de genre noir : il revoit Jean Gabin dans Le Clan des Siciliens (1969) d’Henri Verneuil, incarne un gangster dans Le Cercle rouge (1970) de Jean-Pierre Melville, et joue dans Borsalino (1970) aux côtés de Jean-Pierre Belmondo, un autre grand nom du cinéma français.
Retrouvailles dans « La Piscine »
Cette collaboration entre géants du cinéma attire four millions de spectateurs en salles. « Il y avait concurrence, mais aussi une sorte de motivation réciproque. Cela m’aurait vraiment dérangé s’il n’avait pas été là. Que serais-je devenu sans lui pendant cinquante ans ? », plaisantait Alain Delon dans une interview à Paris Match en 2018.

En 1969, La Piscine marque ses retrouvailles torrides avec Romy Schneider, sous la direction de Jacques Deray, avec qui il collaborera à neuf reprises. Entre-temps, de nombreuses actrices, dont Natalie Wood, Angie Dickinson et Leslie Caron, ont été envisagées pour le rôle principal dans cet huis clos psychologique, qu’il attribue finalement à son ex-compagne, permettant ainsi à Romy Schneider de relancer sa carrière.
Dans le même temps, l’affaire Markovic éclate, concernant cet ancien garde du corps d’Alain Delon et amant de Nathalie Delon. Son corps est découvert dans une décharge des Yvelines en 1969. Un ami d’Alain, François Marcantoni, est accusé du meurtre, et l’acteur est auditionné par la justice. Les rumeurs résultant de ce scandale touchent également la compagne du président Georges Pompidou. François Marcantoni sera finalement acquitté huit ans plus tard, en l’absence de preuves.
En duo avec Dalida, il connaît un succès planétaire en 1973 avec la chanson Paroles paroles…, qui s’écoule à 200 000 exemplaires en France, atteignant la dixième place des charts. Les deux personnalités, qui se connaissaient depuis les années 1950, avaient eu une brève liaison discrète à Rome, en 1962, alors qu’Alain était en plein tournage de Le Guépard.
Les années 1970 sont marquées par une succession de films d’action, où il incarne tour à tour héros et anti-héros. Monsieur Klein (1976), de Joseph Losey, lui permet d’explorer une facette moins séduisante, celle d’un collectionneur d’art naïf, confondu avec un homonyme juif pendant l’Occupation.
Deux César et un flop
Bien que le film reçoive un accueil critique favorable, il ne parvient pas à attirer un large public, avec seulement 700 000 entrées. Lors du Festival de Cannes, Delon ne décroche pas le prix d’interprétation, malgré le soutien de Costa-Gravas, membre du jury. Ce dernier remporte cependant le César du meilleur film l’année suivante.
Malgré une orientation vers des choix de carrière parfois controversés, Alain Delon n’a guère été attiré par la gloire d’Hollywood. Il passe derrière la caméra pour réaliser et produire son premier film, Pour la peau d’un flic (1981), tout en occupant le rôle principal et en produisant d’autres projets tels que Trois hommes à abattre (1980), Parole de flic (1985), et Ne réveillez pas un flic qui dort (1988). Pourquoi autant de « flics » ? Pour Alain Delon, même si les raisons commerciales sont évidentes, cela lui permet d’assurer son succès en tant qu’acteur. En 1985, il reçoit le César du meilleur acteur pour son interprétation d’un garagiste alcoolique dans Notre histoire (1984), dirigé par Bertrand Blier.
En 1987, il rencontre la mannequin néerlandaise Rosalie van Breemen lors du tournage d’un clip. De leur union naissent deux enfants : Anouchka en 1990 et Alain-Fabien en 1994. Leur relation se terminera après une quinzaine d’années.
Les années 1990 apportent leur lot de désillusion. Il incarne une caricature de lui-même dans Le Jour et la Nuit (1997), une œuvre de Bernard-Henri Lévy. Malgré un casting de choix, le film s’avère être un échec commercial et critique, l’un des pires de sa carrière, et l’acteur annonce mettre fin à sa carrière deux ans plus tard.
Cependant, sa légende ne tarde pas à renaître. En 2002, il devient célèbre auprès d’une nouvelle génération en incarnant le commissaire de police marseillais Fabio Montale dans une mini-série de TF1, adaptée des romans de Jean-Claude Izzo, et qui rencontre un grand succès d’audience. Il interprète ensuite Frank Riva, un ancien commissaire, dans une série du même nom diffusée sur France 2, où il retrouve Mireille Darc en 2003.
« Apparemment, je suis une star »
Finalement, Alain Delon se donne une épitaphe pleine d’humour dans le rôle de Jules César dans Astérix aux Jeux olympiques (2008), qui attire six millions de spectateurs, devenant ainsi son plus gros succès en salles en France.
En mai 2019, il fait ses adieux avec un esprit de gratitude, une attitude qu’il n’a pas toujours affichée. Lorsqu’il reçoit la Palme d’or d’honneur décernée par le Festival de Cannes, il y voit un « hommage à titre posthume », tout en remerciant les spectateurs, déclarant : « Et apparemment, je suis une star. Mais si je suis une star, c’est grâce au public et à personne d’autre ».