Le chef de l’État a prévu de rencontrer ce vendredi les dirigeants du Nouveau Front populaire dans le cadre d’une consultation qui suscite beaucoup d’attente. Cette réunion intervient alors qu’il n’a pas encore désigné de nouveau Premier ministre, alors que cela fait déjà un mois et demi depuis le deuxième tour des élections législatives.
Lucie Castets parviendra-t-elle à s’installer à Matignon ? La postulante désignée par le Nouveau Front populaire (NFP) rencontrera Emmanuel Macron le vendredi 23 août à l’Élysée, aux côtés des leaders de partis et de groupes parlementaires de gauche. Le président de la République suivra cette rencontre avec les représentants de la droite, puis de l’extrême droite le lundi suivant, avant d’annoncer son choix pour un nouveau Premier ministre, comme il s’y est engagé.
À quelques jours de ce dernier exercice, la coalition de gauche, qui a dominé lors des élections législatives anticipées, semble à nouveau en proie à des dissensions. La source du désaccord provient d’une proposition formulée samedi par Jean-Luc Mélenchon et les dirigeants de La France insoumise (LFI), évoquant l’éventualité d’une procédure de destitution à l’encontre du président s’il ne désigne pas Lucie Castets comme Première ministre.
Cette menace a immédiatement été rejetée par d’autres composantes du NFP. « À quelques jours de la rencontre du 23 août, mettre sur le tapis un sujet polarisant au sein du NFP n’est pas judicieux », considère le député Alexis Corbière, ancien proche de Mélenchon, qui avait choisi de quitter LFI lors des législatives pour rejoindre le groupe écologiste à l’Assemblée. « Jean-Luc Mélenchon veut maintenir sa présence sur la scène politique, même au prix de la fragilisation de la coalition. », critique un poids lourd du Parti socialiste, mettant en cause son « agenda présidentiel ».
« La veille de l’échéance, il n’est pas question de modifier notre approche »
Pour LFI, « l’intention est de mettre la pression sur Emmanuel Macron. Même si la procédure de destitution n’aboutit pas, la diffusion de cette idée a son importance », explique Benjamin Morel, politologue et maître de conférences à l’Université Paris 2. Le but est aussi d’influencer leurs alliés de gauche. Les insoumis leur demandent de se positionner : ou bien ils acceptent leur ligne dure, ou bien ils se tournent vers le centre.«
« Si Lucie Castets n’est pas nommée à Matignon, LFI pourra toujours faire porter la responsabilité sur ceux qui auraient trahi. Ces personnes ne sauront donc pas incarner la gauche lors des élections de 2027. »
Benjamin Morel, politologueà franceinfo
En réponse à la proposition émanant de LFI, les membres de l’aile droite du Parti socialiste, qui s’opposent depuis longtemps à l’alliance avec le mouvement de Mélenchon, ont demandé récemment la tenue d’un bureau national. L’objectif : reconsidérer la position du PSface à son allié et affiner le message à adresser à Emmanuel Macron.
Pour assurer une représentation des différentes tendances au sein de l’alliance, le chef des sénateurs PS a déclaré avoir « formellement demandé que la première voix politique qui se fasse entendre après Lucie Castets soit celle de la première force politique, c’est-à-dire le Parti socialiste. » Patrick Kanner prend en compte à la fois les représentants socialistes à l’Assemblée (66), mais aussi ceux au Sénat (64), alors que LFI n’y est pas représenté. L’ancien député PS des Bouches-du-Rhône, Patrick Mennucci, avance même, dans Le Monde, qu’il serait désormais « impossible (…) de s’adresser au Président de la République » avec LFI.
Néanmoins, la plupart des socialistes affichent officiellement un désir de maintenir l’unité. « Se regrouper pour rencontrer le président permet d’inclure Lucie Castets dans cette discussion, même si, personnellement, j’aurais mieux aimé que le président consulte les partis un par un », confie Patrick Kanner. « L’enjeu du 23 est l’union. Nous ne changerons pas de cap juste avant notre rendez-vous avec le président. » En accord avec cette idée, le député socialiste Arthur Delaporte conclut.
« Point crucial, Emmanuel Macron, souligne Sébastien Peytavie, député du groupe écologiste. Plus le temps passe, plus il veut garder les rênes, et nous faisons face à quelqu’un qui refuse de reconnaître qu’il a perdu les élections. » « Le président essaie de faire son choix au sein du NFP, de semer la discorde pour créer des majorités qui servent sa politique. », renchérit Alexis Corbière.
« Il est nécessaire de dialoguer avec les macronistes »
Fort de leur position dominante lors des législatives, mais confrontés à une majorité (très) relative, les partis de gauche se prépareront donc à défendre leur position collectivement. Cependant, leur mission ne s’annonce pas aisée. « Leurs seuls arguments pour obtenir la nomination de Lucie Castets à Matignon se résument à leur position de leader lors des élections, remarque le politologue Benjamin Morel. Je partage qu’il soit possible de dresser un parallèle avec les précédentes cohabitations, mais en 1997, Lionel Jospin disposait de presque 300 députés ; en 1993, Edouard Balladur avait plus de 400 ; tandis qu’en 1986, Jacques Chirac avait nearly 290 députés. »
Avec seulement 193 sièges, la gauche est loin de la majorité absolue (289) nécessaire pour gouverner sans redouter une motion de censure. Lucie Castets, candidate, s’active donc pour rassembler des appuis et éviter la censure déjà prévue par des élus macronistes et du Rassemblement national. Mi-août, dans une lettre adressée aux députés et sénateurs, elle a exposé ses « cinq grandes priorités », incluant le pouvoir d’achat, la transition écologique et la santé. Elle a également promis de « réformer les méthodes » au sein de l’Assemblée, garantissant aux élus un « nouveau rôle » face à l’exécutif.
Le projet politique du NFP est « la pierre angulaire de notre action, mais il a été conçu pour cater à un gouvernement disposant d’une majorité absolue », a-t-elle également souligné dans un entretien accordé au Parisien.
« Aujourd’hui, il n’est pas envisageable de dire : ‘Ce sera uniquement selon nos termes’. Nous devrons faire des concessions, mais cela sur la base de nos propositions. »
Lucie Castets, candidate de la gauche au poste de Première ministreau « Parisien »
« Il faut impérativement aller à la rencontre des macronistes, car des choix législatifs, sur lesquels il y avait des accords avant la dissolution, avec des sujets comme la fin de vie, les transports ferroviaires, la santé ou le grand âge, restent à discuter », estime le socialiste Arthur Delaporte. « Si Lucie Castets est promue, nous pourrons observer quel sera le véritable équilibre au sein de l’Assemblée, et quels points nous pourrons faire progresser dans les discussions, approuve également Alexis Corbière. Est-ce que le RN prendra position sur la réforme des retraites ou s’opposera à l’augmentation du SMIC ? »
La crainte d’une « situation précaire indéfinie »
La tactique des « alliances ponctuelles » ne semble cependant pas en phase avec tous les membres de la gauche. « Le NFP ne peut pas rêver de gouverner seul avec une majorité relative pour deux ans, cela risquerait d’entraîner une situation de sursis perpétuel », avertit le sénateur socialiste Hussein Bourgi.
De surcroît, l’alliance connaît encore des discordes quant à la mesure dans laquelle des concessions doivent être faites. Une faction de La France insoumise préconise en effet de se cantonner à « l’adhésion au programme, rien que le programme et toute la totalité du programme ». Comment alors parvenir à dégager des consensus avec les autres groupes parlementaires ? « Lucie Castets n’est pas contrainte d’accepter toutes les propositions [venant de la gauche]. Elle doit affirmer son existence politique », argue Patrick Kanner, qui redoute les « pressions » des insoumis.
Pour éviter une éventuelle instabilité, une option pourrait consister à établir une majorité plus pérenne, et orientée vers le centre-droit. « Si la gauche veut vraiment gouverner, elle doit accepter d’élargir sa coalition au-delà du NFP, soutient Hussein Bourgi. Il faut s’associer avec Liot, Ensemble, Horizons, et le MoDem. Cela doit être accepté. » Cela pourrait impliquer de renoncer au soutien des insoumis et de désigner un nouveau Premier ministre plus consensuel, situé au centre.
« Cette réunion ne mettra pas fin à la crise »
Ces dernières semaines, les noms de l’ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve et du maire PS de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), Karim Bouamrane, ont été évoqués, soutenus par certains au sein de l’entourage présidentiel. Pour de nombreux élus de gauche, ces nominations semblent impensables. « Bernard Cazeneuve a été opposé à la Nupes, il est contre le NFP… Nous ne soutiendrons pas un gouvernement de compromis signé par Macron », tranche le nouvel écologiste Alexis Corbière.
En définitive, la rencontre prévue par Emmanuel Macron est perçue comme un « jeu de dupes », où chacun jouera sa musique, résume Benjamin Morel. Du côté de la gauche, on s’efforcera de faire bloc, malgré la fragilité de cette cohésion, dans l’espoir d’accéder à des responsabilités ou au moins de montrer qu’on a tenté toutes les voies possibles. Du côté de l’Élysée, on cherchera à temporiser « pour conserver le contrôle » tout en avançant en consultant afin de ne pas sembler être le responsable du blocage. Selon le politologue, il est clair que « la rencontre du 23 ne résoudra pas la situation. »