Créée par Sofiane Zermani, cette œuvre de fiction traite de la double nationalité, met en lumière l’entraide au sein d’une communauté de quartier et pose des questions sur le destin des personnes sans papiers. Discussion avec Hassan Guerrar concernant ses premiers pas en tant que réalisateur.
Hassan Guerrar, connu pour son rôle d’attaché de presse dans le domaine du cinéma, se présente avec une nouvelle casquette de réalisateur au Festival d’Angoulême (qui se déroule du 27 août au 1er septembre 2024). Son premier long-métrage, Barbès, little Algérie, fait partie des dix films en compétition pour le Valois de diamant. Le film raconte l’histoire de Malek, qui retrouve ses racines algériennes en s’installant à Barbès.
Franceinfo Culture : Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser un film ?
Hassan Guerrar : Honnêtement, je ne peux pas dire que j’en avais réellement envie au début, mais j’ai fini par me passionner pour le projet. L’idée m’est venue durant la crise du Covid. C’est Audrey Diwan, réalisatrice et scénariste, qui m’a encouragé à me lancer dans l’écriture. Ensemble, nous avons conçu une première version du scénario et avons obtenu le soutien de la région Île-de-France. C’est ainsi que l’aventure a commencé.
Pourquoi avoir choisi de faire une fiction axée sur le quartier de Barbès, un lieu multiculturel du XVIIIe arrondissement de Paris, notamment connu pour sa population algérienne ?
Je me suis concentré sur la partie basse de Barbès, sans aller plus haut. C’est un quartier à la fois très connu et méconnu de Paris, souvent victime de préjugés. J’aimerais que cette perception change : je vous annonce que je deviens Mohamed Poulain de Barbès (sourire). Mon objectif était de montrer que malgré leurs difficultés, les habitants de ce quartier possèdent une joie de vivre et une solidarité que j’ai moi-même vécue. Par exemple, l’idée de bénévolat que j’ai explorée dans le film découle de mes propres expériences pendant le confinement lié au Covid, débuté le 18 mars 2020. La pandémie a perturbé nos repères, mais elle nous a aussi permis d’en découvrir de nouveaux.
« Barbès, little Algérie » commence sur une note légère mais aborde progressivement des sujets plus sérieux et variés…
Effectivement, le film démarre avec une certaine légèreté mais pose des questions importantes. Par exemple, pourquoi des sans-papiers, pourtant très compétents, ne peuvent-ils pas trouver un emploi en Europe autrement que sur les marchés ou dans les cafés, ou même en se tournant vers des activités illégales ? On les renvoie chez eux, et ils reviennent quelques mois plus tard. Que fait-on dans ce cas ? Cette question est centrale, tout comme celle du bénévolat, que je pratique personnellement. Les femmes dans le film sont celles avec qui je fais ce bénévolat dans la vie réelle. Les spectateurs pourront le remarquer grâce à un QR Code intégré dans le générique, permettant de récolter des fonds pour continuer les distributions alimentaires.
Vous montrez une image différente de Barbès en y introduisant Malek, un jeune entrepreneur franco-algérien…
Je voulais avant tout rendre hommage aux binationaux. Malek, interprété par Sofiane (Zermani), est un homme d’une intensité rare. Dans une boucherie, il tombe par hasard sur quelqu’un qui connaît sa famille, avec laquelle il a des problèmes. Malek est un beur : en France, il est pleinement français, et en Algérie, il est pleinement algérien. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de film mettant en scène un personnage binational algérien moderne, élégant et éduqué comme Malek, incarné par Fianso (le surnom de Sofiane Zermani). C’est un homme extrêmement élégant et brillant.
Votre complicité avec Sofiane Zermani est évidente. Pourquoi l’avoir choisi pour incarner Malek ?
Je l’avais remarqué dans la série Les Sauvages, où il aurait pu être stéréotypé comme une petite frappe, mais il a apporté une autre dimension à ce rôle. J’ai aussi découvert dans une vidéo une intensité dans son regard qui laissait transparaître une fêlure. Cela m’a tout de suite intéressé.
En revenant à Barbès, Malek redécouvre un milieu socioculturel qui lui est familier mais qu’il avait mis de côté…
C’est quelque chose qu’il porte en lui, mais ce n’est pas enfoui. Il connaît sa religion, par exemple, mais pas aussi profondément que les habitants de Barbès qui lui apprendront beaucoup. Malek observe le ramadan, peut-être pas toutes les prières, mais il est croyant.
Y a-t-il une part de vous-même dans le personnage de Malek ?
Oui, il y a beaucoup de moi en Malek (hochement de tête).
Votre film, qui aborde la question de la binationalité, trouve un écho particulier alors que ce sujet a été instrumentalisé par l’extrême droite lors des dernières législatives. Quelle est votre réaction ?
J’ai finalisé le film le 10 mars 2024, avant les élections. Quand j’ai commencé à entendre des discours sur « les binationaux », je me suis dit que c’était amusant. J’avais déjà abordé ce thème à contre-pied. Rien ne m’a vraiment surpris, surtout que moi-même, je suis un binational.
Comment vivez-vous votre propre binationalité ?
Il y a une grande difficulté avec la binationalité. Peu importe où l’on vit – en France, en Allemagne ou ailleurs – on n’est jamais chez soi. Et quand on retourne en Algérie, notre pays d’origine, on n’est pas totalement chez soi non plus. J’aurais presque pu faire un film dédié aux citoyens du monde.
“Barbès, little Algérie” explore non seulement la binationalité, mais également le vivre-ensemble avec des croyances différentes. Une scène mémorable de prière près du Sacré-Cœur, par exemple, en dit long sur ce sujet…
Cette scène est primordiale pour moi. Le plan commence par le Sacré-Cœur avec les cloches sonnant, puis la caméra descend sur trois hommes musulmans en prière. L’objectif est de montrer que ces guerres de religion n’ont aucun sens. Les textes sacrés – la Bible, la Torah et le Coran – disent la même chose avec des mots différents.
Le film offre une formidable galerie de personnages. Comment avez-vous choisi les autres acteurs ?
J’ai casté Khaled (Benaïssa, qui joue le truculent personnage de la Préfecture) il y a trois ans, au début de l’écriture. C’est un acteur très réputé en Algérie. Je savais qu’il apporterait ce qu’on m’avait demandé de retirer du scénario. J’ai rencontré Adila (Bendimerad) sur le film La Dernière reine, qu’elle a co-réalisé et dans lequel elle joue. Elle était parfaite pour incarner la patronne de café, une femme forte qui impose le respect. Elle est la seule à pouvoir intervenir lors des bagarres car personne ne la touche. C’est ma façon de rendre hommage aux femmes. Elle est d’une grande intelligence et beauté, tout comme Eye Haïdara. Je suis très fier d’avoir travaillé avec elle. Pour la première fois, je montre une femme noire africaine telle qu’elle est dans la vie réelle : intelligente, belle, cultivée, douce et ayant un véritable métier.
Vous êtes attaché de presse cinéma depuis longtemps. Qu’avez-vous découvert en passant derrière la caméra ?
Je continue d’exercer en tant qu’attaché de presse et j’adore ça. J’ai découvert tous les aspects de la réalisation. On me donnait des plannings, j’y allais sans savoir de quoi il s’agirait. J’ai tout improvisé du début à la fin. Sur le tournage, je trouvais des solutions immédiatement grâce à ma rapidité à réagir, une compétence acquise grâce à mon métier. J’ai goûté à la post-production que j’ai adorée, notamment le montage sonore auquel je n’étais pas familier. Par exemple, je croyais avoir rendez-vous avec un seul ingénieur du son, et ils étaient trois. J’ai eu l’équipe technique la plus compétente au monde : Amine Berrada, un chef opérateur renommé, et Philippe Welsh, un expert en son, m’ont beaucoup aidé, sans oublier une script qui m’était d’un soutien constant.
Une question délicate : est-ce que vos connexions dans le cinéma ont facilité la réalisation de votre premier film ?
Au contraire, être Hassan Guerrar a été plus un obstacle qu’un avantage. Je ne suis pas traité comme les autres. Toutefois, j’ai eu la chance d’avoir un scénario très apprécié, sans doute parce que personne n’avait jamais vu un film comme celui-là. C’est pourquoi j’ai obtenu l’avance sur recettes du Centre national du cinéma et de l’image animée. Cependant, être une personnalité connue dans l’industrie peut se retourner contre vous. Le financement du projet a été particulièrement ardu.
Comment le public a-t-il accueilli votre film à Angoulême, un festival devenu un rendez-vous essentiel pour le cinéma français ?
Je suis profondément ému par l’accueil reçu. Les standing ovations du public m’ont surpris. C’est la première fois que je ressens autant d’amour. Angoulême est un festival qui déborde d’amour. Je suis extrêmement fier d’y participer. Je connais ce festival depuis 17 ans et Dominique Besnehard, l’un des cofondateurs, depuis près de 40 ans. Son appréciation du film m’a beaucoup touché.
Le film sortira en octobre en France. Prévoyez-vous une sortie en Algérie également ?
Oui, il sortira également en Algérie.
La fiche
Genre : comédie dramatique
Réalisateur : Hassan Guerrar
Acteurs : Sofiane Zermani, Khalil Gharbia, Khaled Benaïssa, Adila Bendimerad, Eye Haïdara et Clotilde Courau
Pays : France
Durée : 1h33
Sortie : 16 octobre 2024