Mati Diop propose un voyage initiatique et introspectif à travers un road trip culturel. Elle a positionné ses caméras derrière les scènes d’une opération marquante où la France rend au Bénin des objets d’art chargés de symbolisme.
En novembre 2021, 26 pièces d’art royales sont restituées au Bénin, leur terre d’origine, après en avoir été arrachées par les forces coloniales françaises en 1892. À cette époque, le territoire était connu sous le nom de Royaume du Danxomè, avant de devenir la colonie du Dahomey. Le dernier film de la Franco-Sénégalaise Mati Diop, sorti en salles le 11 septembre, capture ce voyage de restitution filmé entre Paris et Cotonou, capitale économique du Bénin. Intitulé Dahomey, il a remporté l’Ours d’or lors de la 74e Berlinale en février dernier.
Ce film retrace l’itinéraire de ces objets précieux chargés d’histoire, menant les spectateurs dans des lieux rarement accessibles aux visiteurs habituels du musée du quai Branly d’où partent les œuvres. On pénètre également les couloirs du palais présidentiel béninois, l’endroit le plus sécurisé pour les accueillir lors de leur arrivée. Le documentaire nous transporte également à l’Université d’Abomey Calavi, où des étudiants béninois analysent le processus de cette restitution, mettant fin à 129 ans d’exil pour ces trésors inestimables.
Comment traduire l’exil de ces trésors, que la réalisatrice a personnifiés, plongés dans “l’obscurité” de l’arrachement avant leur retour glorieux ? Le narrateur de ce poignant récit est la célèbre Statue homme-oiseau du roi Ghézo. Selon le site dédié à ces objets, cette statue pourrait représenter le roi béninois en raison des lames de fer visibles sur la sculpture, symbolisant l’oiseau cardinal, emblème du roi.
Si les objets pouvaient parler…
En langue fon, une langue bien que toujours majoritaire au Bénin, mais d’une époque révolue, la statue raconte sa propre détresse durant plus d’un siècle. Devenant ainsi la voix de ces objets naturellement silencieux, elle exprime la tristesse collective de ses compagnons et revient sur les circonstances de leur malheur. Sa voix, aussi ancienne que l’objet lui-même, rythme le voyage des œuvres, choyées et minutieusement inspectées par des spécialistes avant et après leur convoyage, quel que soit le moyen de transport employé. La logistique de cette restitution s’affiche ainsi à l’écran.
Dahomey capturent ensuite la fascination de la population béninoise, jeunes et moins jeunes, découvrant leurs trésors exposés au palais présidentiel en 2022. Mati Diop met en lumière cette affluence impressionnante assiégeant le palais de la Marina et les yeux éblouis des enfants.
Le verbe haut et lucide des jeunes Béninois
Au-delà de la découverte, le documentaire est enrichi par un débat, initié et orchestré par la réalisatrice, sur les implications de cette restitution pour la jeunesse béninoise. Leurs échanges révèlent une profonde lucidité. En dignes descendants de ce Bénin, autrefois surnommé le Quartier Latin de l’Afrique, ils décortiquent les aspects politiques, sociaux et culturels de ce processus. Certains y perçoivent un outil de propagande politique, tant au niveau de leur propre pays que de la France, perdant de l’influence en Afrique. Les jeunes questionnent également la pratique muséale, suggérant qu’elle pourrait n’être qu’une autre tradition occidentale importée dans un contexte où la jeunesse cherche des repères culturels dont elle a été partiellement privée par le colonialisme.
Entre la narration et les débats, Mati Diop parvient à relever le défi principal : insuffler une profondeur à cette opération logistique à forte valeur symbolique. Son approche ingénieuse donne une densité essentielle à l’illustration du grand débat sur la restitution des œuvres d’art spoliées en Afrique durant les conquêtes impérialistes par un Occident décideur de tout, y compris de l’endroit où préserver le patrimoine des peuples colonisés, même après leur indépendance et leurs revendications de retour. Dahomey s’impose comme une contribution cinématographique cruciale à une réflexion culturelle et géopolitique globale, qui dépasse les frontières africaines.
La fiche
Genre : documentaire
Réalisateur : Mati Diop
Origine : Bénin, France, Sénégal
Durée : 1h08
Date de sortie : 11 septembre 2024
Distribution : Les Films du Losange
Synopsis : En novembre 2021, 26 trésors royaux du Dahomey s’apprêtent à faire leur retour de Paris à leur terre natale, aujourd’hui le Bénin. Avec des milliers d’autres, ces œuvres avaient été volées lors de l’occupation coloniale française en 1892. Comment ces ancêtres symboliques vont-ils réintégrer un pays qui a dû se reconstruire en leur absence ? Tandis que leur esprit se libère, le débat sur leur restitution anime les étudiants de l’université d’Abomey Calavi.