Le chef du gouvernement, Michel Barnier, a décidé de désigner Clara Chappaz pour occuper un rôle dont l’appellation est nouvelle.
Révolution ou simple coup médiatique ? Pour la première fois dans l’histoire de la France, le gouvernement comprend un secrétariat d’État dont la dénomination inclut explicitement l’intelligence artificielle : le secrétariat d’État chargé de l’Intelligence artificielle et du Numérique. Cela montre clairement que ces technologies, en particulier les IA génératives de texte ou d’images, sont désormais une priorité pour les hautes instances du pays.
Pour pourvoir ce poste, le Premier ministre Michel Barnier a nommé Clara Chappaz, une figure bien connue des start-up françaises et ancienne directrice de la mission French Tech entre 2021 et 2024. Mais en pratique, ce changement de titre aura-t-il des répercussions concrètes, par rapport aux précédents portefeuilles qui ne mentionnaient que le numérique au sens large ? L’IA sera-t-elle vraiment au cœur des actions gouvernementales ? Et qu’en pense le secteur de cette nouvelle appellation ?
Une ambition de vulgariser l’IA
Lors de la transmission de fonctions avec sa prédécesseure Marina Ferrari, Clara Chappaz a exposé certaines de ses priorités. Sans surprise, l’IA occupe une place centrale : « La France est en tête dans la course mondiale en matière d’IA, et elle est aujourd’hui reconnue. Mais cette course est rapide, et il ne faut rien lâcher », a déclaré la nouvelle secrétaire d’État.
La formation figure en tête de liste de ses projets : la France est déjà réputée pour la qualité de ses cursus académiques en IA et ses talents s’exportent dans le monde entier, notamment vers les géants américains de la tech. Clara Chappaz entend amplifier cette influence, « en continuant de former les meilleurs ingénieurs, les chercheurs d’exception, et en les aidant bien sûr à créer leur propre entreprise, mais aussi à préparer nos étudiants à ces enjeux et à leur bon usage ».
Cette initiative de formation en intelligence artificielle doit également concerner le grand public. « Permettre à tous les Français et toutes les Françaises de comprendre l’IA et ses enjeux pour mieux l’utiliser, c’est préparer l’avenir technologique de la France », a-t-elle affirmé, y voyant également un potentiel « outil d’inclusion et d’égalité », en ligne avec les recommandations du comité de l’IA générative remises en mars.
« Ne pas faire de l’IA une nouvelle fracture, ce combat sera mon obsession. »
Clara Chappaz, secrétaire d’État chargée de l’IA et du Numériquedans un discours
Enfin, la nouvelle secrétaire d’État souhaite « établir des liens entre l’économie et la recherche, mais aussi entre le public et le privé ». Elle souhaite aussi poursuivre les efforts de féminisation dans le secteur des nouvelles technologies, rapprocher les start-up des administrations publiques et soutenir les entreprises de « deep tech » (technologies innovantes, issues de la recherche et encore peu présentes sur le marché).
Un titre controversé
Parmi les professionnels français de l’IA, cette mise en avant peut avoir des effets contradictoires. Gaël Varoquaux, chercheur à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), affirme « ne pas être fan du terme ‘IA' » mais apprécie qu’il soit utilisé : « C‘est un mot puissant dans l’imaginaire collectif, et c’est une façon de dire qu’on fait de l’informatique de haut niveau, qu’on s’approprie la révolution numérique. » D’autres sont plus critiques. « Quelle est l’idée derrière ? C’est du bruit médiatique ! » s’exclame Luc Julia, ancien concepteur de l’assistant vocal Siri chez Apple. « Depuis deux ans, tout le monde en parle souvent de manière inexacte. Le signal du nom est bon, mais j’espère qu’il ne s’agit pas uniquement d’un effet de mode, ce qui est ma crainte », confie-t-il à 42mag.fr.
Bien que le titre de Clara Chappaz soit sujet à débat, son profil semble faire consensus dans le milieu économique. « C’est une personne intéressante, qui connaît très bien le monde de la French Tech », dit Laurent Daudet, co-fondateur de l’entreprise française LightOn, qui offre des services d’IA. Clara Chappaz a en effet consacré une grande partie de sa carrière aux start-up en France et à l’étranger, en particulier dans le secteur du commerce en ligne, avant de diriger la mission French Tech, destinée à « soutenir le développement (…) des start-up technologiques innovantes », selon le ministère de l’Économie.
« C’est bénéfique d’avoir quelqu’un qu’on connaît déjà. »
Laurent Daudet, entrepreneurà 42mag.fr
Ce choix contraste fortement avec Marina Ferrari, peu connue du secteur à son arrivée au secrétariat d’État au Numérique – une méconnaissance qu’elle a même reconnue avec humour dans son discours de passation de pouvoir. Clara Chappaz a assuré qu’elle « garde une compréhension précise des besoins [des start-up]« et qu’elle travaillera « en maintenant cette proximité avec ces entrepreneurs et entrepreneuses ».
Des incertitudes sur les ressources
Néanmoins, un changement suscite des interrogations chez les acteurs du secteur : le secrétariat d’État a été transféré du ministère de l’Économie à celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Cela pourrait entraîner une baisse d’influence ou de moyens : « Cela fait longtemps que j’ai compris que le pouvoir était plus à Bercy que rue Descartes ! » raille Gaël Varoquaux. Il ne faudrait pas que cet éloignement du ministère de l’Économie se traduise par un affaiblissement. »
« Il est très bien de choisir des personnes issues de la société civile avec de vraies compétences, mais aura-t-elle le poids politique pour exister ? »
Laurent Daudet, entrepreneurà 42mag.fr
Il est également important de ne pas oublier que « dans ‘IA et numérique’, il y a aussi le numérique, et cela inclut beaucoup de domaines variés », rappelle Luc Julia. Comme l’a souligné sa prédécesseure Marina Ferrari lors de la passation de pouvoir, Clara Chappaz devra également assumer d’autres responsabilités, comme la mise en œuvre de la loi SREN avec le « filtre anti-arnaques », la lutte contre le cyberharcèlement et l’application des règlements européens DMA, DSA et AI Act… Sera-t-elle en mesure de gérer tous ces dossiers simultanément, avec les moyens limités d’un secrétariat d’État relégué en bas de la hiérarchie du gouvernement Barnier, sous la menace constante d’une motion de censure ? Même les intelligences artificielles les plus avancées ne pourront répondre à cette question.