Quatre-vingt jours après la conclusion du deuxième tour des élections législatives, le chef de l’État allonge ses séances de consultations quotidiennes, espérant identifier une personne adéquate pour la fonction de Premier ministre, un défi que d’aucuns estiment impossible à relever.
Maître des horloges, Emmanuel Macron semble jouer avec le temps. En effet, le président continue d’évaluer les options « Xavier Bertrand et Bernard Cazeneuve », comme l’a confirmé son entourage ce mardi 3 septembre à franceinfo. Près de deux mois après le second tour des élections législatives anticipées, qui ont conduit à la formation d’une Assemblée éclatée en trois blocs, le chef de l’État n’a toujours pas désigné le remplaçant de Gabriel Attal à Matignon. Gabriel Attal, bien que démissionnaire, continue de s’occuper des affaires courantes, tandis que la date du 1er octobre, limite pour le dépôt du projet de loi de finances au Parlement, approche à grands pas.
Le sénateur communiste Ian Brossat moque cette situation sur X : « Quand je pense que les macronistes se moquaient de nous parce qu’on avait mis deux semaines à s’accorder sur un Premier ministre ». Un proche d’Édouard Philippe partage cette opinion, estimant que le cycle de consultations est beaucoup trop long. Le président a avancé divers arguments pour justifier ce délai : la « stabilité du pays », la recherche d’un « compromis », une « trêve olympique » ou encore la « rentrée scolaire », lui permettant ainsi de gagner du temps.
Pendant ce temps, des dossiers urgents s’accumulent à Matignon, des finances publiques préoccupantes aux questions de l’Assurance chômage, en passant par le statut de Nouvelle-Calédonie, sans oublier les projets de loi en cours, arrêtés par la dissolution, comme celui sur la fin de vie. Mais qu’est-ce qui bloque pour qu’Emmanuel Macron prenne autant de temps avant de trancher ?
« Une équation quasi impossible »
Le fait est que le chef de l’État peut se permettre de prendre son temps grâce à la Constitution. « Juridiquement, c’est totalement constitutionnel, car l’article 8 ne fixe aucun délai. Vous pourriez avoir un gouvernement expédiant les affaires courantes pendant un mois, un an, voire cinq ans… », souligne Benjamin Morel, constitutionnaliste et maître de conférences à l’université Paris II, lors d’une intervention sur franceinfo.
Libéré de toute contrainte juridique, Emmanuel Macron peut donc temporiser pour trouver la meilleure solution. « Ce délai est simplement la conséquence des résultats des élections, avec une Assemblée quasiment ingouvernable », explique un conseiller ministériel. Chercher un Premier ministre capable d’éviter une censure en quelques mois est « une équation quasi impossible », ajoute un proche du président. Les trois blocs majeurs de l’Assemblée – le Nouveau Front populaire, le camp présidentiel et le Rassemblement national – restent, jusqu’à présent, fermés à toute idée de coalition. Aucun de ces groupes ne peut atteindre à lui seul la majorité des 289 députés nécessaires sans l’appui partiel d’un autre.
« La politique, actuellement, c’est juste de savoir compter jusqu’à 289. »
Un député Renaissanceà franceinfo
Benjamin Morel corrobore cette analyse : « Le problème, ce n’est pas le nom du Premier ministre, mais bien la coalition. » Selon lui, un gouvernement formé par le Nouveau Front populaire ne tiendrait pas 48 heures avant d’être renversé, tout comme une alliance entre les Républicains et le camp présidentiel. « Cela démontre que la politique française, à la différence de nos voisins européens, est une politique de confrontation, » déplore un conseiller ministériel. D’autres facteurs politiques compliquent encore la situation, certains partis jouant leur survie ou poursuivant des ambitions personnelles.
« Il déteste être contraint »
La personnalité d’Emmanuel Macron joue également un rôle dans cette lenteur. « Psychologiquement, Emmanuel Macron déteste être contraint et préfère définir son propre calendrier pour prendre des décisions », analyse un de ses proches. « Par ailleurs, il est déterminé à ne pas se résigner à l’impuissance d’une cohabitation. » Benjamin Morel observe que « Macron aime garder le contrôle, mais lorsqu’il nommera quelqu’un, il devra lâcher ce contrôle, et tout se jouera au Parlement. » Cécile Duflot, ancienne ministre écologiste, a exprimé ses préoccupations sur X, évoquant la recherche d’un « Premier ministre qui serait en même temps un directeur de cabinet et un opposant obéissant. »
« Ce n’est plus une recherche de Premier ministre, mais une chasse au dahu, et donc cela pourrait durer longtemps. »
Cécile Duflot, ancienne ministre écologistesur X
Un proche de Macron souligne la nécessité de trouver une personne qui ait déjà défié le président : « Après deux défaites électorales, il est essentiel de donner une impression d’alternance. » Prisca Thevenot, porte-parole du gouvernement démissionnaire, explique : « Les Français veulent une forme de cohabitation, mais le candidat doit aussi ouvrir sans trahir les réalisations des sept dernières années. De là l’importance de prendre son temps. »
Le risque d’offrir au RN le rôle d’arbitre
Benjamin Morel estime qu’Emmanuel Macron aborde mal la situation : « Dans un régime parlementaire classique, ce ne serait pas le président, chef d’un groupe parlementaire, qui fixerait les conditions, en excluant des partis comme LFI et le RN. C’est dysfonctionnel. » Il propose de s’inspirer de la Belgique ou de l’Espagne, où l’on commencerait par désigner un candidat, comme Lucie Castets du Nouveau Front populaire, pour tenter de rassembler une majorité de 289 députés avant de passer à un autre candidat en cas d’échec. « Laisser pourrir pendant deux mois avant de consulter, cela ne peut pas fonctionner », juge le constitutionnaliste.
« Il veut montrer que tout procède de lui, mais pour que cela fonctionne, il doit montrer le contraire. »
Benjamin Morel, constitutionnalisteà franceinfo
Un ministre démissionnaire répond : « Le président n’a aucun intérêt à faire traîner l’affaire pour le plaisir. Il a toutes les cartes en main pour se décider dans les prochains jours. » Cependant, ce processus risque de donner au RN un rôle d’arbitre : « Tant que les blocs macroniste et NFP ne veulent pas passer un accord, le soutien sans participation du RN reste la seule issue possible », explique Benjamin Morel. Le RN pourrait soutenir un gouvernement technique à condition de mettre en place un mode de scrutin proportionnel pour les élections législatives à venir.
Le nom de Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental, avait été évoqué, mais cette hypothèse s’est rapidement éloignée. Les pistes Xavier Bertrand et Bernard Cazeneuve reviennent donc sur la table des négociations. « La mise en scène des consultations pousse chacun à se positionner, » explique un député Renaissance. Toutefois, la trop grande attente risque d’aggraver la crise politique. « Les Français, distraits par les JO et les vacances, s’impatientent désormais et veulent que les choses avancent, » conclut ce parlementaire.