Les protestataires, répondant à l’appel de La France insoumise entre autres, ont défilé samedi dans la capitale. Leur indignation reste vive depuis que le président a pris sa décision.
« C’est comme la prise de la Bastille », s’exclame Sylviane avec un sourire espiègle, désignant fièrement le Génie de la liberté érigé au centre de la place. À Paris, ce samedi 7 septembre, le rassemblement pour la manifestation « contre le coup de force d’Emmanuel Macron » se tient en un lieu chargé de symbolisme pour la Révolution française.
La retraitée a souhaité manifester sa désapprobation en rejoignant les milliers de personnes défilant jusqu’à la place de la Nation. Pour elle, le refus du président de nommer un gouvernement issu du Nouveau Front populaire, dirigé par Lucie Castets, et la nomination d’un Premier ministre de droite, Michel Barnier, sont une « négation du résultat des élections » législatives anticipées, où le NFP a fini en tête.
« Rien ne va changer »
« Je n’ai jamais pensé qu’Emmanuel Macron céderait, mais certaines valeurs démocratiques sont sacrées », s’indigne Guillaume, 54 ans, syndicaliste de la CGT des artistes plasticiens. Face à la marée humaine de manifestants parisiens, ce quinquagénaire salue la mobilisation de la journée (26 000 personnes selon la police, 160 000 d’après La France insoumise) alors que des défilés se tiennent également dans environ 150 autres communes françaises. Toutefois, il aurait préféré un « raz-de-marée » pour « ne pas laisser passer cette trahison démocratique ».
Le syndicaliste ne cache pas sa déception suite à la nomination de Michel Barnier. Il se moque de l’identité précise du Premier ministre, affirmant même avec ironie : « Il aurait pu choisir Bob l’éponge, tant qu’il appliquait le programme du mouvement qui a gagné, c’est-à-dire le Nouveau Front populaire, cela m’allait ». Prenant un ton désabusé, Cédric*, 57 ans, anticipe : « Rien ne va changer. Michel Barnier va maintenir la rigueur budgétaire sans améliorer ni la justice sociale ni l’écologie, tout en faisant des compromis avec le Rassemblement national ».
La peur de l’abstention comme conséquence
Cette situation politique provoque une grande déception chez cet ancien fidèle électeur du Parti socialiste, également comédien. « Je suis très déçu par les divisions au sein du PS pendant les négociations estivales pour Matignon. Ce parti est profondément éclaté et le problème n’est toujours pas réglé. J’en ai marre. C’est fini, je ne voterai plus pour eux au prochain scrutin », affirme-t-il, sans envisager pour autant de se tourner vers La France insoumise.
Saïd, 16 ans, un militant de La France insoumise, redoute que la décision « honteuse » d’Emmanuel Macron de nommer un Premier ministre issu des Républicains n’entraîne une grande abstention lors des futures élections. « J’ai peur que cela plonge les électeurs dans la désillusion, qu’ils se disent que voter ne sert à rien si leur choix n’est pas respecté », confie-t-il, tenant fermement un drapeau français. L’adolescent poursuit sa militance en Seine-Saint-Denis, son département d’origine, en encourageant les habitants à voter.
Julie, une trentenaire en pleine reconversion professionnelle, ressent également une profonde amertume. Elle avait placé « beaucoup d’espoir » dans la formation du NFP à l’occasion de ces élections législatives et avait célébré les bons résultats de l’alliance de gauche. « Il y avait un véritable élan positif », se remémore-t-elle avec une pointe de nostalgie. Cette période joyeuse a été anéantie par des tractations conclues de manière « relativement despotique », selon elle.
Le Rassemblement national comme « grand gagnant »
Pour justifier sa décision de ne pas nommer Lucie Castets, Emmanuel Macron a invoqué la nécessité de maintenir « une stabilité institutionnelle » face au risque de voir un gouvernement NFP être immédiatement censuré par la droite et l’extrême droite. Mais pour Julie, cet argument est inacceptable. « C’était le risque inhérent à la dissolution. Il a voulu jouer, il devait assumer », déclare-t-elle. Sous son bras, elle porte une pancarte illustrée des visages de Michel Barnier avec un bonnet de fou du roi et Emmanuel Macron avec une perruque et une couronne. « Cette caricature humoristique, explique-t-elle, décrit un pouvoir qui ne va pas nous représenter », ajoute-t-elle sous son bras.
Camille, un étudiant de 24 ans venu avec ses amis, ressent aussi un goût amer face à cette situation politique. « Le grand gagnant de toute cette histoire, c’est le Rassemblement national », se désole ce sympathisant de La France insoumise. « J’envisage 2027 avec inquiétude, car l’extrême droite a désormais un véritable boulevard devant elle », conclut-il avec une inquiétude palpable pour l’avenir.