Avec 126 élus siégeant à l’Assemblée nationale, le groupe d’extrême droite détient un poids significatif, ce qui pourrait influencer l’issue d’une éventuelle motion de censure. Cette situation confère à ce groupe un rôle important dans le choix du prochain premier ministre.
Quelle est la véritable intention du Rassemblement national (RN) ? C’est une question cruciale dans l’actuelle situation politique marquée par une Assemblée nationale divisée en trois grands groupes sans majorité définie. Mardi 3 septembre, l’entourage de Jordan Bardella, chef du RN, a indiqué à franceinfo que le parti se disait prêt à accepter un gouvernement technique sous certaines conditions, en particulier l’introduction du scrutin proportionnel pour les prochaines législatives. Cette prise de position pourrait influencer la décision d’Emmanuel Macron qui, près de deux mois après les législatives anticipées, est encore en quête d’un Premier ministre.
Il est indéniable que l’extrême droite n’est plus considérée comme un prétendant immédiat au pouvoir. Depuis le second tour des législatives, le RN a basculé de la position d’acteur principal à celle de « spectateur passif », note le sociologue Erwan Lecœur, spécialiste de l’extrême droite. Le slogan « Bardella Premier ministre » n’est plus d’actualité. Avec une troisième place lors du scrutin de juillet, l’ancien parti de Jean-Marie Le Pen n’a pu revendiquer la direction de Matignon. Toutefois, avec un total record de 126 députés, le groupe de Marine Le Pen s’impose comme une force non négligeable à l’Assemblée nationale, ce qui doit être pris en compte lors de la nomination du Premier ministre. « Nous sommes essentiels pour faire passer une motion de censure ou même pour approuver ou rejeter une loi », se félicite le député RN Julien Odoul.
Des positions changeantes du RN
En l’absence de coalition entre la gauche et la droite républicaine, le parti d’extrême droite – potentiellement allié avec les 16 députés du groupe d’Eric Ciotti – pourrait exercer une influence décisive pour renverser un gouvernement, admettent des membres du camp macroniste.
« Le Rassemblement national détient les clés de la censure. »
Un conseiller de l’exécutifà franceinfo
« Ils forment une majorité avec le NFP s’ils décident de collaborer pour n’importe quel sujet », observe le député Renaissance Mathieu Lefèvre. « Emmanuel Macron doit choisir quelqu’un que le RN ne censurera pas, sinon son choix échouera », ajoute Erwan Lecœur. « Marine Le Pen a l’avantage stratégique : elle peut décider qui censurer ou non. »
La stratégie du RN reste cependant imprévisible et peu claire pour le camp présidentiel. Le 11 juillet, Marine Le Pen a dû reprendre les déclarations du secrétaire général de son groupe, Renaud Labaye. « Par principe, nous ne censurons pas pour le plaisir de censurer. Tout dépendra du gouvernement, de son programme général ou des projets de loi soumis », avait-il affirmé auFigaro à propos d’une éventuelle nomination de Lucie Castets, la candidate de la gauche, à Matignon. « Le groupe RN censurera tout gouvernement comportant des ministres de la France insoumise et des écologistes »,avait aussitôt précisé Marine Le Pen sur X. Jordan Bardella était même allé plus loin, en affirmant sur X que le parti censurerait immédiatement un gouvernement minoritaire du NFP, intégrant ainsi les autres forces de gauche.
« On remarque le manque de cohérence chez eux », observe le député Renaissance Antoine Armand. « Étape 1 : ils tentent de faire oublier leurs candidats désastreux des législatives. Étape 2 : ils reprennent la parole mais se mélangent les pinceaux sur qui et quoi censurer. »
Le RN en situation d’arbitre
Le 26 août, après sa rencontre à l’Élysée, Marine Le Pen avait écarté l’idée d’un gouvernement technique. « Je n’y crois pas du tout. (…) Il n’y a que des gouvernements politiques masqués sous des étiquettes techniques », avait-elle déclaré. Néanmoins, à en juger par les récentes déclarations de l’entourage de Jordan Bardella, le RN semble avoir réévalué cette position.
Cette volte-face n’arrive pas comme une surprise pour Erwan Lecœur. Le parti pourrait tirer avantage d’un gouvernement technique, plaçant ainsi Emmanuel Macron en première ligne, explique ce chercheur à l’université Grenoble Alpes.
« Marine Le Pen aurait tout intérêt à un gouvernement technique et dépendant de Macron pour le critiquer sans relâche. Cela lui permettrait de se concentrer sur le Président. »
Erwan Lecœur, spécialiste de l’extrême droiteà franceinfo
Cependant, le RN a rejeté la possibilité de voir Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental, accéder à Matignon, malgré les rumeurs persistantes à ce sujet. Une telle figure représenterait une soumission excessive à l’Élysée, « la servilité personnifiée », selon le député RN Jean-Philippe Tanguy. Le parti garde en mémoire les critiques de Thierry Beaudet contre le RN quatre jours avant le premier tour des législatives. « Le RN met en danger l’avenir des corps intermédiaires », avait-il affirmé dans une interview àLa Tribune, après s’être aussi opposé publiquement à la loi sur l’immigration.
Une stratégie du chaos en vue de 2027 ?
Les options plus politiques, que ce soit de la droite ou de la gauche, ne trouvent guère plus de faveur auprès du RN. Mardi, le parti a exprimé son intention de censurer un gouvernement dirigé par Xavier Bertrand ou Bernard Cazeneuve, dont les noms circulent pour Matignon. Marine Le Pen avait déjà signifié à Emmanuel Macron, fin août, qu’elle ne souhaitait pas voir Xavier Bertrand nommé. En 2015, elle avait perdu contre l’ex-ministre de la Santé lors des régionales dans les Hauts-de-France. « Il y a des personnalités plus solides et moins soumises à Macron que Xavier Bertrand dans les rangs de la droite », argue Julien Odoul.
Comme lors de la précédente législature, le RN se positionne en arbitre. « Les hypothèses Cazeneuve, Beaudet, Bertrand… Tout cela dépend uniquement de la position du RN », analyse le politologue Benjamin Morel. « Le RN a tout intérêt à démontrer sa crédibilité et responsabilité, et à maximiser ses avantages. Cela se traduit par un soutien sans participation du RN. »
Le 26 août, Marine Le Pen mettait en avant la respectabilité de son parti. « Nous avions dit : ‘Soit il y aura une majorité stable RN, soit ce sera le chaos.’ Emmanuel Macron a choisi le chaos », affirmait-elle. En réalité, Marine Le Pen a tout intérêt à ce que cette confusion persiste, tout en adoptant une posture supérieure. « L’objectif pour le RN est : plus il y a de chaos, plus nous apparaîtrons démocrates et plus nous pourrons profiter de ce chaos pour la prochaine présidentielle », explique Erwan Lecœur. Pendant ce temps, le RN se réjouit de sa capacité à renverser n’importe quel gouvernement, au moment jugé opportun. « La censure dépend de la ligne politique. Nous sommes libres », conclut Jean-Philippe Tanguy avec un sourire.