À partir de lundi, vingt-six individus seront jugés, y compris le Rassemblement national en tant qu’entité morale, pour des accusations de détournement de fonds publics européens, ainsi que pour complicité et recel. Ils risquent des peines d’inéligibilité.
Elle s’est avancée à la barre pour décliner son identité. « Marion » Le Pen, appelée « Marine », « née le 5 août 1968 à Neuilly-sur-Seine ». C’est la première rencontre entre la cheffe de file des députés du Rassemblement national (RN) et la présidente de la 11ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, Bénédicte de Perthuis, le lundi 30 septembre. Le procès des assistants parlementaires du Front national, ancien nom du RN, vient de s’ouvrir et la magistrate commence par appeler les accusés.
Dans cette affaire, Marine Le Pen se trouve poursuivie pour détournement de fonds publics européens en tant qu’ex-eurodéputée et pour complicité du même délit en tant qu’ancienne présidente du parti d’extrême droite. Elle risque jusqu’à dix ans de prison, une amende de 1 million d’euros et dix ans d’inéligibilité. « Je répondrai à toutes les questions que le tribunal me posera », déclare-t-elle simplement lors de ce premier échange.
Avant que l’audience ne débute, Marine Le Pen a fait une brève déclaration devant une forêt de micros et caméras. « Je viens à ce procès avec beaucoup de sérénité », a-t-elle affirmé avant d’expliquer un peu plus sa ligne de défense ainsi que celle du parti, également renvoyé devant la justice en tant que personne morale pour complicité et recel de détournements de fonds publics : « Nous n’avons enfreint aucune règle politique ni réglementaire du Parlement européen. Vous entendrez tous nos arguments, très sérieux. » La députée, entourée de ses avocats, a ensuite rapidement mis fin aux questions des journalistes : « Je ne vais pas faire le procès avec vous dans le couloir. »
Jean-Marie Le Pen et Jean-François Jalkh exemptés de procès
La justice reproche au parti, à ses cadres, élus et petites mains, d’avoir « de manière concertée et délibérée » mis en place et maintenu un « système de détournement », entre 2004 et 2016, des enveloppes de 21 000 euros mensuels allouées par l’Europe à chaque député pour rémunérer des assistants parlementaires. Selon l’accusation, ces derniers travaillaient en réalité pour le Front national. Le Parlement européen, partie civile, évalue le préjudice subi à 3 millions d’euros, contre 6,8 millions initialement. Marine Le Pen est présentée par les juges d’instruction comme « l’une des principales responsables » de ce système.
Jean-Marie Le Pen, son père, devait également être jugé. Cependant, le tribunal a acté la disjonction de son cas en raison de son état de santé. Selon les conclusions d’experts présentées lors d’une audience préliminaire en juillet, l’ancien président du parti et eurodéputé, âgé de 96 ans, n’est pas « en état » d’être jugé en raison d’« une profonde détérioration de ses capacités physiques et psychologiques ». Il en va de même pour l’ex-député européen Jean-François Jalkh, 67 ans, dont l’état de santé s’est dégradé depuis un accident vasculaire cérébral.
Élus, cadres historiques et garde du corps à la barre
Ce sont donc 26 prévenus – et non 28 – qui ont été appelés par la présidente pour entendre brièvement les charges qui pèsent contre eux. Mis à part quelques absents, dont les ex-eurodéputées frontistes Marie-Christine Boutonnet et Dominique Bilde ainsi que le maire de Perpignan Louis Aliot, les élus, anciens élus, ex-assistants parlementaires, comptables et trésoriers du parti à l’époque ont défilé à la barre. Parmi eux, l’actuel eurodéputé Nicolas Bay et son ancien assistant parlementaire Timothée Houssin, devenu député RN de l’Eure, ou encore le député de l’Yonne Julien Odoul, accusé d’avoir été embauché comme assistant parlementaire de l’ex-eurodéputée Mylène Troszczynski alors qu’il occupait, selon l’accusation, le poste de conseiller spécial au sein du cabinet de Marine Le Pen.
Les quatre anciens assistants parlementaires européens de Marine Le Pen étaient également présents, à savoir l’actuelle eurodéputée RN Catherine Griset, Thierry Légier, le garde du corps historique de Jean-Marie Le Pen, Guillaume L’Huillier et Micheline Bruna. Tous travaillaient pour l’ancien président d’honneur du parti à l’époque des faits, respectivement comme directeur et cheffe de cabinet. Micheline Bruna comparaît également pour avoir été l’assistante parlementaire d’une autre figure historique du parti, l’ex-eurodéputé Bruno Gollnisch, présent lundi sur le banc des prévenus.
« Des économies importantes grâce au Parlement européen »
Du côté de ceux qui tenaient les finances pendant la période des faits reprochés, ont été appelés par la présidente le Belge Charles Van Houtte, ancien comptable du FN et cheville ouvrière du parti au Parlement européen, et Wallerand de Saint-Just, ancien trésorier du parti. Parmi les éléments à charge saisis lors de perquisitions figurent des échanges compromettants entre ce dernier et Marine Le Pen. « Nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen et si nous obtenons des reversements supplémentaires », lui écrivait-il en juin 2014.
L’ancien expert-comptable Nicolas Crochet, proche de Marine Le Pen, a quant à lui entendu rappeler son rôle présumé dans le « système centralisé de gestion des enveloppes de frais » des députés européens frontistes « en étant chargé, notamment, de rédiger les contrats de travail et bulletins de salaire des assistants parlementaires ».
Une ligne de défense différente de celle du MoDem
Enfin, Jean-Paul Garraud, ancien magistrat et actuel député européen, s’est avancé pour représenter le Rassemblement national à cette audience. L’enjeu est de taille pour le parti, qui redoute une lourde amende pouvant menacer son plan de désendettement. Depuis le début de cette affaire, les voix du FN/RN dénoncent un « acharnement », voire une procédure « politique ».
Dès ce premier jour d’audience, Marine Le Pen et ses coaccusés ont tracé une ligne de défense différente de celle du MoDem, jugé pour des faits similaires fin 2023. Alors que les anciens assistants parlementaires centristes défendaient avoir réellement travaillé pour leurs députés européens, les cadres du parti d’extrême droite soulignent la liberté d’employer ces assistants pour des activités politiques au profit du parti. « C’est la liberté parlementaire. Nos assistants ont travaillé. Personne ne le conteste. La question est de savoir quelle est la nature de ce travail », a glissé Marine Le Pen aux journalistes lors d’une suspension d’audience. L’ancienne avocate compte bien « revenir régulièrement » dans cette salle d’audience pour sa défense : « Le sentiment d’injustice est moins fort en étant ici. » Le procès devrait durer deux mois.