Les représentants des quatre formations de gauche ont entamé leur session parlementaire avec la ferme intention d’utiliser tous les moyens possibles pour contester le futur gouvernement. La France insoumise, quant à elle, va encore plus loin en souhaitant évincer le président de la République. Pour l’heure, toutefois, ils ne sont pas certains de pouvoir concrétiser leurs ambitions.
Accuser le coup d’une défaite pour mieux préparer les futures victoires : c’est l’approche actuelle de la gauche, outrée par la désignation de Michel Barnier comme Premier ministre par Emmanuel Macron, le jeudi 5 septembre. Dans un paysage politique transformé par les élections législatives anticipées, le Nouveau Front Populaire (NFP) n’a pas réussi à faire élire sa candidate, Lucie Castets, à Matignon, et doit désormais faire face à un gouvernement plus orienté à droite qu’avant la dissolution de l’Assemblée nationale.
Dénonçant un « coup de force antidé mocratique », alors même qu’elle représente la principale force à l’Assemblée nationale, l’alliance de gauche cherche désormais à tourner la page avec plusieurs objectifs en tête. Première priorité : inciter l’exécutif à convoquer une session parlementaire extraordinaire avant la session ordinaire prévue pour le 1er octobre.
Viser l’abrogation de la réforme des retraites
Deux objectifs animent cette revendication, exprimée dès la fin août : les élus de La France insoumise pourraient d’abord déposer un projet de loi pour abroger la réforme des retraites. En inscrivant ce texte à l’ordre du jour, ils éviteraient de devoir se prononcer sur une proposition similaire qui serait présentée par le Rassemblement national lors de sa niche parlementaire prévue pour fin octobre. Depuis 2022, la gauche se garde bien de soutenir des textes provenant du RN et compte bien poursuivre sur cette voie. Comme l’a expliqué le député LFI Eric Coquerel sur 42mag.fr, lundi matin, accepter cette proposition aurait tout d’« un piège ».
En outre, les députés du Nouveau Front Populaire comptent sur cette session extraordinaire pour introduire une motion de censure avec pour objectif de renverser le gouvernement, une composante centrale de leur stratégie cet automne. Pourtant, le RN hésite encore à s’allier avec la gauche, condition pourtant nécessaire pour obtenir la majorité absolue indispensable pour démettre Michel Barnier. « Ce gouvernement sera évidemment sous surveillance », a cependant averti Marine Le Pen dans une interview à La Tribune, dimanche.
Proposer une motion de censure
Sans majorité absolue, le destin de Michel Barnier et de ses futurs ministres ne dépend pas seulement du NFP, qui compte 193 députés, mais aussi du RN, avec 142 élus y compris ses alliés ciottistes. Une situation inconfortable pour les membres de gauche, qu’ils espèrent néanmoins retourner à leur avantage. « La motion mettra à jour les termes de l’accord qui a permis à Michel Barnier d’accéder à Matignon, montrant s’il y a eu une entente avec le RN, pense Cyrielle Chatelain, leader des députés écologistes. Une entente difficile à assumer pour certains membres du groupe Ensemble pour la République ». « Il est crucial de révéler l’existence, au moins implicite, de cet accord », appuie le député socialiste Arthur Delaporte, y voyant « un moment de vérité ». »
Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, a également demandé cette session extraordinaire, mais elle ne s’ouvrira que sur décret présidentiel, une perspective qui semble peu probable. « Plus vite le gouvernement sera formé, plus les chances d’une session extraordinaire augmenteront. À l’inverse, plus le processus traînera, moins cette session aura de pertinence », analyse l’entourage de Yaël Braun-Pivet pour France Télévisions. La gauche, notamment Cyrielle Chatelain, voit cela comme un déni de démocratie.
« La session extraordinaire est indispensable, car le gouvernement agit sans contrôle du Parlement. »
Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Ecologiste et Socialà 42mag.fr
Que cette motion de censure soit proposée lors de la session extraordinaire ou lors de la session ordinaire, elle pourrait bien être remise sur le tapis lors des débats sur les textes budgétaires à adopter avant la fin de l’année. Ce contexte est ardemment attendu par le NFP : « Nous allons insérer le maximum d’amendements pour ne pas avoir un budget dicté par Macron », affirme le député LFI Matthias Tavel. Bien que le gouvernement puisse ne pas retenir ces amendements, en adoptant un texte sans vote grâce à l’article 49.3, « Il faudra négocier avec le gouvernement pour intégrer des amendements votés par l’Assemblée nationale », plaide Cyrielle Chatelain. Mais l’incertitude demeure quant au contenu final d’un budget 2025, au vu de la situation financière actuelle du pays.
Mobiliser dans la rue
A l’instar de la mobilisation contre la réforme des retraites au premier semestre 2023, la gauche mise aussi sur l’opposition de rue. Des manifestations ont eu lieu samedi dans toute la France, à l’initiative notamment de La France insoumise, mais la participation a été bien moindre comparée au mouvement contre le report de l’âge de la retraite à 64 ans. La mobilisation devrait se poursuivre dans les semaines à venir, avec certains syndicats appelant à des actions dès le 1er octobre, date qui coïncide avec l’ouverture de la session ordinaire. « Le peuple français est en rébellion, il est entré en révolution », a clamé Jean-Luc Mélenchon samedi, dans le cortège parisien, annonçant ainsi un automne chargé pour Emmanuel Macron.
La réussite de ces mobilisations citoyennes reste cependant incertaine. « Les manifestations permettent de maintenir l’espoir, même si elles ne sont pas suffisantes pour faire reculer Emmanuel Macron, comme ce fut le cas pour les retraites », tempère le socialiste Arthur Delaporte.
« La véritable action se joue à l’Assemblée nationale. »
Arthur Delaporte, député socialisteà 42mag.fr
Comme pour la contestation contre ce qu’elle qualifie de coup de force présidentiel, La France insoumise dirige également la procédure de destitution du chef de l’État. « Nous sommes dans une dynamique d’action globale », explique l’insoumis Matthias Tavel. Néanmoins, cette procédure risque fort de ne pas aboutir, car elle requiert l’accord des deux tiers de l’Assemblée nationale et du Sénat. Or, obtenir les deux tiers des suffrages au Sénat, dominé par la droite, semble irréalisable. Tout comme la motion de censure d’octobre, les nouveaux combats de la gauche pourraient bien se terminer par des échecs. « Nous sommes certains de perdre uniquement les batailles que nous ne menons pas », affirme l’élu LFI.
Préparer le NFP pour les prochaines élections
Ces diverses actions ont-elles un autre but pour le NFP ? « Les symboles ont aussi une importance politique, affirme Benjamin Lucas, porte-parole du groupe Ecologiste et Social. En ce qui concerne la destitution, c’est un message fort envers le chef de l’État. On ne peut pas ignorer les frustrations exprimées lors des législatives et, ensuite, agir comme si tout était normal après un rappel à l’ordre présidentiel. » Le message est clair : « Ils ne pourront pas échapper à la pression », promet Matthias Tavel.
En attendant les prochains débats parlementaires, le fonctionnement interne de l’alliance de gauche est également à l’étude. « Il est temps de transformer le NFP, déclare Benjamin Lucas. Pour affronter le gouvernement, incarner une alternative au macronisme et au lepénisme et être prêt pour les législatives, nous devons repenser notre structure. Cela doit passer d’une coordination à un outil politique puissant. » Pour le parlementaire, cela impliquerait de créer un intergroupe parlementaire unissant insoumis, socialistes, écologistes et communistes, plutôt que de fonctionner avec des groupes distincts comme c’est le cas actuellement. Il faudrait également « se préparer pour les municipales » de 2026. Ce rendez-vous, bien qu’éloigné, est crucial pour une gauche déterminée à tourner la page d’une rentrée marquée par un revers.