La parlementaire encourt une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans, ainsi qu’une sanction accessoire d’inéligibilité de même durée. Cependant, si elle est jugée coupable, les différentes possibilités d’appel pourraient néanmoins lui offrir l’opportunité de concourir à l’élection présidentielle de 2027.
Elle prévoit d’assister autant que possible à son procès. A partir du lundi 30 septembre, Marine Le Pen est jugée au tribunal judiciaire de Paris avec 24 autres personnes dans le cadre de l’affaire des assistants parlementaires européens du Front national. La dirigeante du parti d’extrême droite, rebaptisé Rassemblement national en juin 2018, est accusée de détournement de fonds publics et de complicité dans ce détournement. Elle risque dix ans de prison, jusqu’à un million d’euros d’amende et une peine complémentaire d’inéligibilité de dix ans.
Les débats, et surtout la décision attendue début 2025, seront suivis de près en raison de l’importance politique de cette affaire, qui se déroule moins de trois ans avant la prochaine élection présidentielle. Une condamnation pourrait entraver les ambitions présidentielles de Marine Le Pen. Cependant, même si la possibilité d’une peine de prison ferme, ce qui l’emprisonnerait avant 2027, semble peu probable.
Dans une affaire similaire concernant les assistants parlementaires européens du MoDem, les peines prononcées en janvier étaient toutes assorties de sursis, y compris celles d’inéligibilité. C’est d’ailleurs cette dernière peine qui est redoutée. « Dans des affaires de ce type, les peines complémentaires telles que l’interdiction professionnelle et la privation des droits civiques sont souvent plus redoutées que les sanctions principales », explique Jean-Marie Brigant, maître de conférences en droit privé et en sciences criminelles.
Un détournement présumé d’une plus grande ampleur
Marine Le Pen peut-elle espérer une issue favorable comme celle obtenue par François Bayrou, acquitté « au bénéfice du doute » ? Leur situation est difficilement comparable. Alors que le chef centriste était accusé uniquement de complicité, Marine Le Pen est inculpée pour détournement de fonds en tant qu’ancienne eurodéputée. Entre 2009 et 2016, elle aurait employé quatre assistants parlementaires payés par le Parlement européen mais utilisés pour le FN, selon l’accusation. Cela augmente son risque de condamnation.
Le détournement allégué est également d’une ampleur différente. Dans l’affaire des assistants parlementaires du MoDem, le tribunal a justifié les peines de sursis en raison de l’« absence de preuve d’un système organisé, compte tenu du nombre limité de contrats détournés ». Pour le Front national, les juges d’instruction insistent sur le « caractère systématique des détournements », et considèrent Marine Le Pen comme « l’une des principales instigatrices ».
Selon les magistrats, l’objectif était de faire des économies substantielles sur les salaires pour un parti lourdement endetté. Les montants en jeu sont autrement plus élevés dans l’affaire du FN, atteignant 6,8 millions d’euros selon le Parlement européen, contre 293 000 euros pour le MoDem.
Inéligible pour la présidentielle de 2027 ?
Si, contrairement à François Bayrou, Marine Le Pen est reconnue coupable et condamnée à une peine complémentaire d’inéligibilité, elle peut encore espérer que cette peine soit assortie de sursis. Dans ce cas, elle pourrait se présenter à la prochaine élection présidentielle, à moins d’être condamnée à nouveau pour une infraction similaire dans le délai fixé par le tribunal. Un scénario peu probable.
Si Marine Le Pen écope d’une peine ferme d’inéligibilité, elle peut faire appel et se pourvoir en cassation, ce qui lui permettrait de reporter la sanction après l’élection de 2027. Tant que la condamnation n’est pas définitive, la peine n’est pas exécutée, car ses recours ont un effet suspensif. « Le risque pour Marine Le Pen, c’est que le calendrier judiciaire soit accéléré, comme dans l’affaire Fillon, en raison du contexte électoral », avertit cependant Jean-Marie Brigant. Il souligne toutefois que les délais de la justice sont incompressibles et indépendants de l’agenda politique.
« Les calendriers électoral et judiciaire ne sont pas alignés, c’est l’indépendance de la justice. »
Jean-Marie Brigant, maître de conférences en droit privéà 42mag.fr
Pour qu’une condamnation de Marine Le Pen impacte réellement le calendrier électoral, le tribunal devrait ordonner l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, d’au moins deux ans. Dans ce cas, les recours ne sont pas suspensifs. « L’exécution provisoire est une arme redoutable, de plus en plus utilisée contre les élus », dans des affaires touchant à la probité, poursuit Jean-Marie Brigant. Mais cette mesure « doit répondre à un objectif d’intérêt général et de prévention de la récidive », ajoute l’expert. « À moins d’une volonté de faire un exemple, je ne suis pas sûr que cela s’applique à Marine Le Pen, car elle n’est plus eurodéputée », conclut-il.
Un faible « coût » électoral
« En France, la probabilité que la justice aille jusqu’à l’exécution provisoire et que la peine soit immédiate est faible », affirme Erwan Lecœur, sociologue et politologue spécialiste de l’extrême droite. En dehors du risque d’inéligibilité, une condamnation pourrait-elle causer une perte de soutien pour Marine Le Pen ? Rien n’est moins sûr, « l’opinion publique française devenant de moins en moins pro-européenne », observe Erwan Lecœur.
« Cela peut un peu ternir son image auprès du grand public, mais cette affaire n’a jamais vraiment posé de problème à son électorat. Elle la fait même apparaître comme une victime de l’Europe et des élites européennes. »
Erwan Lecœur, politologue spécialiste de l’extrême droiteà 42mag.fr
C’est d’ailleurs la ligne de défense adoptée par le parti et l’entourage de Marine Le Pen. Comme l’a expliqué Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, à 42mag.fr après l’acquittement de François Bayrou, cette procédure initiée par Bruxelles viserait les « partis antisystème » pour des « motifs politiques peu honorables ». « Je ne peux pas dire que c’est un procès politique, car nous avons confiance en nos juges, mais c’est une affaire d’origine politique », ajoute Alexandre Varaut, ancien avocat du RN devenu porte-parole du parti depuis qu’il a été élu eurodéputé.
Marine Le Pen, selon lui, est « convaincue que les explications » présentées durant les débats « permettront son acquittement ». Pour ce qui est de l’avenir, « c’est aux Français, aux électeurs, de décider de son avenir politique et à personne d’autre ». Le procès devrait durer jusqu’au 27 novembre.