L’accusé, âgé de 39 ans et déjà titulaire de 18 entrées sur son casier judiciaire, a relaté son parcours tumultueux ainsi que les faits qui lui sont imputés. Tout comme la majorité des 50 coaccusés, il est jugé pour « viol aggravé » à l’encontre de Gisèle Pelicot.
« Les premières agressions sexuelles ont eu lieu alors qu’il n’avait que 2 ou 3 ans. » L’avocate de Fabien S., âgé de 39 ans, résume ainsi une vie marquée par l’inceste, la violence et la souffrance. Il se distingue au procès des viols de Mazan parmi les 50 autres accusés : tandis que la plupart d’entre eux ont peu ou pas de casier judiciaire, lui en accumule 18, dont 16 condamnations.
« Vols avec violences, port d’armes interdit, détention et transport de drogues, vols en réunion, appels téléphoniques malveillants, violences conjugales… », énumère le président de la cour criminelle du Vaucluse, Roger Arata, le jeudi 26 septembre, lors de son interrogatoire. Fabien S. fait partie du deuxième groupe d’accusés entendus depuis le début de la semaine, six au total.
Actuellement incarcéré, comme 17 autres accusés, Fabien S. se tient debout dans le box, lunettes rectangulaires et cheveux grisonnants, prêt à retracer son parcours de vie qualifié de « rempli de difficultés » par le président. Habitué à ce genre d’exercice, il résume en quelques phrases des années d’horreur. « De 3 à 18 ans, j’ai été en famille d’accueil. Dans la première, on me battait avec un martinet, un bâton. On me forçait également à rester des heures à genoux », se remémore-t-il, mains croisées derrière lui.
Sept années à la rue
« Ensuite, retour en foyer, puis nouvelle famille d’accueil. J’y ai été victime d’abus. Un jour, j’ai craqué et suis parti en hôpital psychiatrique à 16 ans », poursuit Fabien S. Il y passera « entre un an et un an et demi », précise un expert-psychiatre entendu mercredi, soulignant une personnalité limite et évoquant « une grande instabilité émotionnelle ».
À sa majorité, il erre pendant des années à Toulon. « Sept ans », précise-t-il. « Pour survivre, j’ai volé pour manger, acheter de l’alcool, de la drogue. Je squattais et forçais parfois des portes pour m’installer dans des logements vides. J’étais alcoolique et buvais toute la journée », raconte-t-il depuis le box.
À 27 ans, il rencontre la mère de sa première fille, « dont il ne se souvient pas de la date de naissance », note l’expert-psychiatre. Marqué par « une grande impulsivité », Fabien S. admet l’avoir violentée : « Je lui ai donné une claque et poussée dans un fossé parce qu’elle m’empêchait de voir notre fille. J’ai été incarcéré pour cela. » Il n’a plus de contact avec leur enfant, qui a maintenant 10 ans, et évoque brièvement ses trois autres enfants, dont il est également distant en prison.
« Je me suis exhibé devant sa fille »
L’interrogatoire révèle un passé d’inceste lorsque son avocate l’encourage à parler. Elle insiste pour qu’il partage ce qu’il a découvert lors de l’instruction du dossier Mazan. « J’ai appris que j’avais été abusé dans un foyer, ce que je ne savais pas », dit-il.
Visiblement ému, il peine à continuer. Son avocate précise : « Les enquêteurs ayant examiné son dossier à l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) ont découvert que son père avait été incarcéré pour des agressions sexuelles, ce qu’il ignorait. » Elle lui rappelle : « Vous avez découvert les raisons de votre placement ». Fabien S., toujours en contact avec ses parents biologiques, semble vouloir maintenir ce lien.
Elle poursuit : « Votre sœur a aussi été victime de viol par votre frère ? » Son assentiment est suivi d’un autre aveu : « Oui, elle a été incarcérée aussi parce que son mari maltraitait ses enfants et qu’elle ne l’a pas dénoncé ».
Condamné dans la vingtaine pour « agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans », une assesseure lui demande des explications. « Dans une famille d’accueil, un homme abusait de moi. Les éducateurs ne me croyaient pas à cause de mon comportement turbulent. Je me suis donc exhibé devant sa fille pour qu’elle porte plainte et qu’on me retire de cette famille », explique-t-il. La magistrate reste sceptique, rappelant qu’il a été condamné pour « agression » et non « exhibition ». Il maintient sa version.
« Je ne fais pas confiance »
Détenu au centre pénitentiaire du Pontet, près d’Avignon, Fabien S. doit répondre pour les faits survenus la nuit du 18 au 19 août 2018 : comme la majorité des autres accusés, il est poursuivi pour « viol aggravé » sur Gisèle Pelicot. À l’instar des autres, il affirme avoir cru à une soirée échangiste avec le couple.
Le président l’interroge : « Pourquoi ne vous êtes-vous pas arrêté en voyant le corps inerte de la victime ? » Fabien S. répond : « J’étais trop dans l’ambiance pour m’en apercevoir », précisant qu’il consomme plusieurs joints quotidiennement et était alcoolisé ce soir-là. « Les plans où la femme dort ne m’intéressent pas, j’aime les entendre crier », ajoute-t-il. « Mais vous continuez… », note un assesseur. « Dans l’excitation, oui », avoue-t-il, expliquant qu’il a forcé la victime, droguée par son mari, à une fellation, allongée sur la table de la salle à manger.
L’avocat de Gisèle Pelicot, Stéphane Babonneau, observe : « Vous semblez agir sans réfléchir, sans considération pour la loi ». Fabien S. acquiesce. L’expert-psychiatre le décrit comme « très distant de la sphère émotionnelle, même lorsqu’il relate les faits ». « Le traumatisme majeur provient du fait que ceux qui devaient le protéger l’ont agressé, augmentant ainsi le risque de devenir victime ou auteur », ajoute le psychiatre.
Son avocate le questionne : « Comment voyez-vous les autres ? » Il répond sans hésitation : « Je n’aime pas les gens ». Elle insiste : « Expliquez ». « Je les garde à distance, je ne fais pas confiance », répond-il, la voix tremblante. « Comment voyez-vous l’avenir ? » l’interroge l’avocate générale. « Quand je sortirai, j’irai chez mes parents, je passerai mon permis, je deviendrai chauffeur poids lourd et j’irai sur les routes. Personne ne m’attendra », conclut Fabien S., qui risque vingt ans de réclusion criminelle dans cette affaire.