Marcello Mastroianni, icône du cinéma italien né en 1924, aurait atteint le centenaire cette année. Pour saluer sa mémoire, la cinémathèque française organise une remarquable rétrospective en son honneur. Jean Antoine Gili, expert avisé de l’acteur et du cinéma italien, partage ses réflexions à ce sujet.
Icône incontestée du cinéma italien qui a collaboré avec les réalisateurs les plus renommés de son temps, Marcello Mastroianni est à l’honneur d’une magnifique rétrospective à la Cinémathèque. Connu surtout pour ses rôles dans les films légendaires de Fellini, tels que La Dolce Vita et Huit et demi, l’acteur a passé une grande partie de sa carrière à se défaire de son image de séducteur. Jean Antoine Gili, spécialiste du cinéma italien, nous éclaire sur cette lutte constante. La Cinémathèque française propose une rétrospective de Marcello Mastroianni à travers 25 films, visible jusqu’au 29 septembre 2024.
France Info Culture : Marcello Mastroianni est toujours perçu comme l’archétype des grandes années du cinéma italien. Depuis La Dolce Vita en 1960, il représente le « latin lover », une étiquette qu’il détestait et qu’il a tenté de briser tout au long de sa carrière. Comment cette image a-t-elle pris forme ?
Jean Antoine Gili : La Dolce Vita a marqué un tournant décisif dans la carrière de Mastroianni, qui était déjà riche. Après avoir beaucoup joué au théâtre juste après la guerre, notamment sous la direction de Luchino Visconti qui l’a formé, il tenait à rappeler que c’était Visconti qui lui avait inculqué ce style de jeu très détaché. Cela lui permettait d’échapper à l’image de « latin lover » qu’on lui attribuait souvent. Dans les années 1950, il jouait surtout des personnages modestes dans des comédies. Le film le plus notable de cette période est Le Pigeon, où il interprète un père s’occupant de son bébé car sa femme est en prison pour vente de cigarettes. Il y est presque ridicule avec son béret en train de préparer de la bouillie… Et pourtant, deux ans plus tard, dans La Dolce Vita, il incarnera un rôle bien au-delà de ce que Fellini avait prévu.
Est-ce que le « latin lover » de La Dolce Vita a fini par échapper au contrôle de Fellini ?
Fellini souhaitait voir un personnage relativement modeste dans La Dolce Vita. Il ne cherchait pas vraiment un séducteur et avait repoussé des acteurs comme Paul Newman et Gérard Philippe, qui étaient des icônes de la séduction. Mais au final, c’est exactement ce qui s’est passé : la créature a échappé à son créateur. La fascination qu’exerçait Mastroianni sur le public a littéralement dépassé les attentes de Fellini.
Est-ce à partir de ce moment que Mastroianni est devenu incontournable ?
Oui, et cela a débordé Fellini. Lorsque ce dernier a de nouveau travaillé avec Mastroianni pour Huit et demi, c’était en partie dû à la pression de la production désireuse de réitérer le succès de La Dolce Vita. Mastroianni, à ce moment-là, maîtrisait pleinement son art, tout en restant en retrait de l’image du « latin lover », qu’il détestait. En réalité, cette expression le mettait de mauvaise humeur, car il ne se voyait pas comme un « sex symbol ». On se rappelle d’images où, sur la terrasse de sa maison à la périphérie de Rome, il voyait des car de touristes en extase à sa vue. Bien qu’il en rie, cela ne lui apportait aucune satisfaction.
Comment Mastroianni a-t-il essayé de se défaire de cette image et y est-il parvenu ?
Mastroianni n’était pas en quête de succès comme un séducteur. Au contraire, il cherchait des rôles exigeants et complexes qui lui permettraient de démontrer toute l’étendue de son talent, considérable. Il avait cette capacité à se fondre dans n’importe quel rôle. Toutefois, il possédait un charme et une séduction naturelle exceptionnels, qu’il ne cherchait pas à exploiter intentionnellement. Son jeu était basé sur le naturel le plus pur, et malheureusement pour lui, son naturel faisait de lui un séducteur irrésistible. Bien qu’il ait cherché à échapper à cette séduction, elle était intrinsèquement liée à lui. De ce fait, il a dû composer avec cette aura. Chaque accessoire devenait un moyen de le mettre en valeur. Malgré cela, dans sa vie privée, il était d’une simplicité appréciable.
En quoi ses choix de rôles allaient-ils à l’encontre de l’image du latin lover ?
Pour se défaire de cette image, Mastroianni a choisi des rôles sous la direction de réalisateurs qui ne soulignaient pas son côté séducteur. Par exemple, sous la direction d’Angelopoulos en Grèce, ou d’Elio Petri dans des films comme L’assassin et dans l’incroyable Todo modo, où il interprète un prêtre jésuite avec une intensité presque démoniaque. Il se faisait presque un honneur de jouer un homosexuel ou un vieil homme myope avec de grosses lunettes, allant à l’encontre de l’image de séduction qu’on lui avait collée.
Que retient-on aujourd’hui de Mastroianni, alors qu’il aurait eu 100 ans ?
Il a marqué les grandes années du cinéma italien, et c’est l’héritage qu’il laisse. La Dolce Vita et Huit et demi sont des mythes non seulement grâce à Fellini, mais aussi à cause de Mastroianni. Ce que je retiens de lui, pour l’avoir rencontré à plusieurs reprises, c’était quelqu’un d’un naturel remarquable, qui pourtant maintenait une distance professionnelle impressionnante sur les plateaux. On peut dire que tout ce qu’il jouait puisait dans sa propre expérience ou qu’au contraire, rien ne le faisait : c’était un immense acteur capable de tout.
Rétrospective Marcello Mastroianni, Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, 75012 Paris (du 11 au 29 septembre 2024).