Six mois après que l’opinion d’Emmanuel Macron soit connue, Didier Migaud, récemment nommé garde des Sceaux, a affirmé sur France Inter ce vendredi qu’il soutenait l’idée de modifier la législation concernant la définition du viol en France. Il propose d’inclure explicitement la notion de consentement dans cette définition.
La question a été posée à la fin de l’interview. « Aujourd’hui, le consentement n’est pas inclus dans [la définition du viol]. Le président [de la République] voulait l’introduire dans la loi, y êtes-vous favorable ? » « Oui », a répondu, succinctement, Didier Migaud, le nouveau ministre de la Justice, lors de son passage sur France Inter, vendredi 27 septembre. La réponse du garde des Sceaux ravive le débat sur l’intégration de l’absence de consentement dans la définition légale du viol. Ce débat, qui a pris de l’ampleur avec le mouvement #MeToo en 2017, a ressurgi le 8 mars, en lien avec la Journée internationale des droits des femmes, lorsque Emmanuel Macron a affirmé qu’il allait « inscrire cette notion dans le droit français ».
Le sujet a refait surface lors du procès des viols de Mazan. Depuis le 2 septembre, Dominique Pelicot est jugé devant la cour criminelle du Vaucluse pour avoir drogué, puis violé et fait violer son épouse par des dizaines d’hommes, dont 50 comparaissent à ses côtés. Gisèle Pelicot, en état de quasi-coma au moment des faits, n’avait pas donné son consentement pour ces actes sexuels. Les accusés, principalement jugés pour viols aggravés, n’ont guère prêté attention à la notion de consentement, manifestant plutôt de l’indifférence sur ce sujet lors de leurs interrogatoires, semblant avoir une perception floue, voire ignorer complètement cette notion.
« Empêcher l’auteur de se dédouaner »
Actuellement, le terme « consentement » n’apparaît pas explicitement dans la loi : l’article 222-23 du Code pénal qualifie le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». « Le consentement s’en déduit plutôt de manière négative, affirmant qu’il n’y a pas consentement en présence de ‘violence, contrainte, menace ou surprise’« , explique Valérie Rey-Robert, essayiste féministe, dans Une culture du viol à la française (Ed. Libertalia, 2020).
Des parlementaires pensent que cette définition du viol omet plusieurs victimes. Le consentement « ne peut pas être déduit de la simple absence de résistance », soutient la députée LFI Sarah Legrain. Elle remarque que « les cas de sidération, de dissociation ou d’emprise » sont souvent « classés sans suite ». « La société a déjà compris que le consentement distingue le rapport sexuel du viol ; le droit pénal, lui, ne le fait pas », affirme de son côté la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. Les deux parlementaires ont chacune présenté des propositions de loi pour inclure le consentement dans la définition légale du viol : Mélanie Vogel à l’automne 2023 et Sarah Legrain en février.
Cette évolution législative permettrait aussi « d’élargir le champ des preuves présentables en procès », explique Mélanie Vogel.
« Il y a des situations où la preuve de surprise, de contrainte, de menace ou de violence est difficile, alors qu’on peut prouver l’absence de consentement. »
Mélanie Vogel, sénatriceà l’AFP
Avec ce changement, « ce serait à l’homme mis en cause de démontrer que la victime avait librement consenti à l’acte sexuel, et cela empêcherait l’auteur de s’exonérer en disant qu’elle ne s’était pas opposée », soulignait, dans une tribune publiée dans Le Monde en 2023, Audrey Darsonville, professeure de droit pénal. Elle spécifiait en mars à 42mag.fr que l’introduction du terme « consentement » changerait l’approche de l’enquête. « On demanderait à l’auteur : s’est-il intéressé au consentement du partenaire ? »
Un risque de « déplacer le débat sur le comportement de la plaignante »
Mais comment évaluer cette notion de consentement ? C’est là que réside une source d’inquiétude. Lors d’une audition au Sénat le 1er février, l’ancien avocat pénaliste Eric Dupond-Moretti, prédécesseur de Didier Migaud au ministère de la Justice, avait alerté sur un « glissement vers une contractualisation des rapports sexuels » et estimé que le « risque majeur » d’un tel changement serait « de faire peser la charge de la preuve du consentement sur la victime, alors que le seul coupable du viol, c’est le violeur ». Des réserves partagées par plusieurs avocats. Aujourd’hui, « on se tourne vers l’accusé, même s’il conteste, et on cherche à voir s’il a utilisé violence, contrainte, menace ou surprise pour obtenir cet acte sexuel auquel la plaignante n’était pas du tout consentante. Donc, on examine son comportement », expliquait Christian Saint-Palais, président de l’association des avocats pénalistes, sur France 5, en mars.
« Définir juridiquement le viol par l’absence de consentement de la plaignante, c’est déplacer le débat sur le comportement de la plaignante », a, par exemple, écrit sur X, le 19 septembre, la pénaliste Julia Courvoisier, qui se dit « opposée » à une telle mesure.
« Fonder le viol sur l’idée que c’est un rapport sexuel dans lequel un des deux partenaires n’a pas consenti implique davantage l’idée de se questionner sur le comportement de la victime que sur celui du violeur. Quels signes a-t-elle donnés de son non-consentement ? Etaient-ils assez explicites ? C’est donc sans aucun doute un piège de réfléchir sur le viol en ces termes-là », analyse également Valérie Rey-Robert dans Une culture du viol à la française.
Tout dépend des termes inscrits dans la loi. « Il faut être prudent et ne pas faire du comportement de la victime le critère de la qualification de viol. Car, dans ce cas, c’est son comportement qui serait au centre de la discussion judiciaire, et non plus celui de l’accusé », insiste Laurence Rossignol dans Le Nouvel Obs, jeudi 26 septembre. La sénatrice socialiste souligne également qu’à son avis, « il ne suffira pas d’introduire cette notion de consentement pour rendre la justice plus efficace dans les affaires de violences sexuelles ».
« Un pas important vers l’évolution des comportements »
Cependant, les sanctions pour viol ont augmenté dans les seize pays de l’UE (dont l’Espagne, la Grèce et le Danemark, selon le Parlement européen) qui ont révisé leur définition du viol. En Suède, où une loi qualifie de viol tout acte sexuel sans consentement explicite, même en l’absence de menace ou de violence, les condamnations pour viol ont augmenté de 75 % depuis 2018, d’après un rapport de 2020 sur les effets de cette réforme, cité par l’AFP.
Concrètement, en Suède, des actes sont désormais considérés comme viol qui ne l’étaient pas avant. Par exemple, lorsque « la victime dit non et le montre par son comportement, mais ne se débat pas » ou lorsqu’elle « reste silencieuse et passive pendant l’agression », selon le Conseil national de la prévention du crime. Dans la société suédoise, des préjugés subsistent, selon des associations féministes. Cependant, le principe de consentement, traduit par « libre volonté » (frivillighet) dans la loi, a été bien intégré par le système judiciaire, estime auprès de l’AFP Stina Holmberg, coautrice du rapport.
Une évolution souhaitée par de nombreuses associations en France. « L’adoption d’une législation basée sur le consentement n’empêchera pas les viols, mais constituerait un pas important vers l’évolution des comportements et l’administration de la justice », écrivait en mars Lola Schulmann, chargée de plaidoyer chez Amnesty International France, sur X, après l’annonce d’Emmanuel Macron sur l’évolution de la définition du viol.
Le chef de l’Etat a ensuite souhaité qu’une proposition de texte soit présentée « d’ici à la fin de l’année ». La dissolution de l’Assemblée nationale, en juin, a perturbé le calendrier et suspendu les travaux sur ce sujet.
La députée Véronique Riotton (Ensemble pour la République), à l’origine de la mission d’information parlementaire sur la question, envisage de relancer ces travaux. « Nous avons travaillé sur l’introduction de la notion de consentement dans la définition légale du viol lors de la précédente législature et nous comptons reprendre nos travaux », a-t-elle déclaré sur son compte X, après les propos de Didier Migaud. La députée écologiste Marie-Charlotte Garin, corapporteuse de cette mission, avait rappelé en mars que l’intention n’était pas « de supprimer les quatre autres critères de menace, violence, contrainte ou surprise, mais de compléter la définition ». Elle a assuré vendredi sur X qu’elle-même et sa collègue Valérie Riotton étaient « plus déterminées que jamais » à « reprendre » les travaux à l’Assemblée.