Ce lundi, le tribunal judiciaire de Paris a jugé que le groupe pharmaceutique était « responsable d’un manque d’informations concernant les risques de malformations et de troubles neurodéveloppementaux » associés à cet antiépileptique administré aux femmes enceintes.
Parmi les affaires judiciaires les plus significatives en matière de santé publique en France ces dernières années, celle de la Dépakine se distingue particulièrement. Cet antiépileptique est accusé par les autorités sanitaires de causer des malformations et des troubles neurodéveloppementaux chez de nombreux enfants. Le lundi 9 septembre, la situation a pris une nouvelle tournure lorsque le tribunal judiciaire de Paris a déclaré le groupe pharmaceutique Sanofi « responsable d’un défaut d’information sur les risques » et l’a condamné à verser près de 300 000 euros à Marine Martin, présidente de l’association d’Aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac). 42mag.fr vous explique les répercussions de cette décision.
Une succession de défaites pour Sanofi
Depuis 2015, Sanofi fait face à de nombreuses procédures en lien avec la Dépakine, une molécule à base de valproate de sodium utilisée comme traitement antiépileptique depuis la fin des années 1960, même chez les femmes enceintes. L’entreprise est principalement critiquée pour avoir insuffisamment informé les patients sur les dangers potentiels du médicament. Sanofi est actuellement impliqué à la fois au pénal, accusé « d’homicides involontaires » depuis 2020, et au civil, avec des actions individuelles comme celle de Marine Martin ainsi que des actions de groupe regroupant de nombreux patients.
La récente décision prise lundi s’ajoute à un historique de jugements défavorables pour Sanofi. En 2022, l’entreprise avait déjà été contrainte de verser 450 000 euros à une patiente dont l’enfant, exposé à la Dépakine, présentait des malformations. En janvier 2024, le tribunal de Paris a jugé recevable l’action de groupe initiée en 2017, reconnaissant la faute de Sanofi pour avoir manqué à son devoir de vigilance et d’information. L’entreprise a fait appel de cette décision. En août, le tribunal de Nanterre a également déclaré 40 familles (représentant 170 personnes) recevables pour une indemnisation en raison de la crainte de développer des troubles neurodéveloppementaux.
Charles Joseph-Oudin, l’avocat de Marine Martin et de plusieurs autres familles, a réagi à la décision en affirmant qu’elle « renforce les succès déjà obtenus par les victimes ». Selon lui, « il est essentiel que Sanofi cesse de nier sa responsabilité et accepte enfin de réparer le préjudice subi par les familles touchées par ce médicament ».
Une victoire majeure pour Marine Martin, la lanceuse d’alerte
Marine Martin est devenue une figure centrale pour les victimes de la Dépakine. En fondant l’association Apesac en 2011, elle a permis de médiatiser et de judiciariser cette affaire. Depuis douze ans, elle poursuit Sanofi en justice, évoquant un combat « d’une extrême dureté ». Mère de deux enfants nés en 1999 et 2002, qui souffrent de malformations et de troubles neurologiques, elle a connu de nombreuses difficultés.
En 2021, elle témoignait sur France 3 Occitanie : « Sanofi essaie par tous les moyens d’interrompre mes démarches. J’ai même perdu mon poste d’experte patiente à l’agence du médicament à cause de leurs manœuvres. Ils savent que je suis le moteur de cette action collective et que je mobilise les familles. »
« Ils savent que je suis le fer de lance de toute cette action et que je motive les familles. »
Marine Martin, lanceuse d’alerte dans le dossier de la Dépakineà France 3 Occitanie en 2021
Comme le rappelle Le Monde, c’est grâce à Marine Martin que, depuis 2017, les victimes de la Dépakine peuvent obtenir des indemnisations de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Selon le rapport d’activité 2023 de l’organisme, près de 58 millions d’euros ont été versés à 1 120 victimes qui ont accepté les propositions de l’Oniam, mais Marine Martin et sa famille ont choisi de poursuivre leur combat judiciaire. « On m’a proposé 16 000 euros, à peine le prix d’une voiture », explique-t-elle.
Elle a finalement obtenu près de 18 fois cette somme avec la condamnation de lundi (284 000 euros d’indemnités). Charles Joseph-Oudin, son avocat, affirme que « cette décision valide et respecte le combat de Marine Martin depuis la fondation de l’association Apesac ». Marine Martin se réjouit d’autant plus de cette victoire que Sanofi ne contribue pas au fonds d’indemnisation des victimes géré par l’Oniam. « C’est absolument scandaleux », a-t-elle déclaré à 42mag.fr.
Malgré tout, Marine Martin reste prudente et engagée, pensant que Sanofi fera appel. « C’est une guerre des nerfs. On entre dans une phase difficile. L’argent que j’ai gagné est bloqué. Ils cherchent à épuiser les victimes. C’est pour cela qu’il est crucial que d’autres victimes se joignent à moi dans les actions judiciaires. »
Un jugement qui étend la période de responsabilité potentielle de Sanofi
Les condamnations précédentes impliquaient des enfants nés après ceux de Marine Martin. Cette nouvelle victoire judiciaire ouvre la voie à des milliers de victimes en démontrant que la prescription de dix ans, souvent utilisée par Sanofi comme ligne de défense, n’est pas infranchissable. En impliquant la responsabilité de Sanofi dès la période des connaissances scientifiques de l’époque, ce jugement élargit la période pour laquelle le laboratoire pourrait être condamné à indemniser des patients.
Sanofi, interrogé par l’AFP, a affirmé examiner « les suites à donner » à cette décision et a maintenu sa position sur la Dépakine. Le groupe soutient avoir sollicité tôt les autorités sanitaires françaises pour modifier la notice du médicament, mais ces dernières n’auraient pas donné suite à cette demande.