Les discussions sur la responsabilité parentale ont suscité beaucoup d’attention, particulièrement lorsque Gabriel Attal a exprimé son désir de renforcer les stages de responsabilité pour les parents négligents ou agressifs. En fait, ces stages sont en place depuis 2007. Voici un reportage réalisé dans l’un de ces stages, organisé par l’association « La Sauvegarde du Nord ».
En avril 2024, Gabriel Attal, qui venait de démissionner de son poste de Premier ministre, a formulé le vœu de mettre en place un plan pour « renforcer l’autorité au cœur même de la République. » Il souhaitait promouvoir les stages de responsabilité parentale, destinés aux parents négligents ou violents, en place depuis 2007. Les gouvernements évoquent régulièrement l’idée de leur prolifération, tandis que plusieurs de ces stages sont organisés par l’association accréditée par la Justice, « La Sauvegarde du Nord », située à Lille.
Ce matin-là, au siège de cette association, six pères et une mère de divers âges sont assis, silencieux, autour d’une grande table dans la salle de réunion. Ils proviennent de milieux sociaux et géographiques variés et ne se connaissent pas. Ils ont été accusés de diverses négligences, allant du non-respect de la scolarisation de leurs enfants au non-paiement de pensions alimentaires, en passant par la consommation de drogues par leurs adolescents. Certains ont également été violents avec leurs enfants, bien que de manière non grave. Leurs casiers judiciaires étant vierges, le procureur a décidé de les soumettre à ce stage de trois jours, d’une valeur de 120 euros.
Pour démarrer, Charlotte Desmons, l’éducatrice qui anime ce stage, se présente, indiquant qu’elle est la mère de deux jeunes enfants. Elle propose ensuite la projection d’un petit film sur la parentalité, explorant les nombreux bouleversements qu’implique la naissance d’un enfant. « Si cela vous convient, nous allons faire un brainstorming ensemble pour savoir ce que représente pour vous la parentalité, ce que signifie être parent pour vous », enchaîne Charlotte Desmons.
Échanger dans la bienveillance
Les participants sont alors invités à s’exprimer, y compris ceux cherchant à se faire discrets, et les idées fusent. « Éduquer, apprendre, être dans l’encouragement, inculquer la politesse, donner de la tendresse, rassurer les enfants… ». L’éducatrice inscrit toutes ces suggestions sur le tableau. La discussion prend rapidement la direction des limites à poser aux enfants, et c’est généralement à ce moment-là que les participants tentent de minimiser les fautes qui les ont amenés là.
Ils se réfèrent alors à leur propre éducation. « Nous avons tous reçu des claques, des fessées de nos parents, mais si c’est pour remettre l’enfant sur le droit chemin, ce n’est pas malveillant. Madame l’éducatrice, vous avez dit avoir deux enfants. Ne leur avez-vous jamais mis une petite fessée ? », interroge un père d’une trentaine d’années.
L’éducatrice explique qu’il n’est pas toujours aisé de maîtriser ses propres émotions, mais qu’elle n’a jamais cédé à la pulsion de violence induite par la colère. Le père stagiaire réplique : « Mais moi, quand je parle avec d’autres parents de l’école de mes enfants, tous me disent avoir déjà donné une tape à leurs enfants ». D’autres stagiaires acquiescent.
Les éducatrices écoutent attentivement et essaient de faire évoluer les perspectives sans jugement, avec bienveillance. La question des fessées et autres claques occasionnelles est finalement tranchée plus tard par une autre intervenante venue évoquer la loi. En effet, ces stages sont ordonnés par la justice ; ainsi, le premier jour, un substitut du procureur ouvre la séance, suivi par une avocate spécialisée dans les questions liées à l’enfance.
Rappeler le droit
En l’occurrence, Me Eva Lerault, avocate au barreau de Lille, est là pour clarifier ce que dit la loi modifiée en 2019, un fait méconnu pour certains. « C’est dans le Code civil, c’est important. Je vous donne la référence de l’article pour que vous puissiez le consulter en ligne. L’article 371-1 stipule que l’autorité parentale doit être exercée sans recours à la violence physique ou psychologique. Le même texte précise plus loin que les parents doivent associer l’enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de maturité. »
Un peu de réflexion morale, quelques notions de droit, des échanges entre participants, voilà ce qui fonde ce stage. Au cours des trois jours, des moments peuvent alterner et susciter de fortes émotions : il n’est pas rare que quelques larmes coulent notamment lors de la lecture devant le groupe d’une lettre fictive écrite par un adolescent à ses parents, inventée par la psychologue américaine Gretchen Schmelzer. En voici un extrait : « Cher parent, voici la lettre que j’aimerais pouvoir t’écrire. Ce conflit dans lequel nous sommes actuellement, j’en ai besoin. J’ai besoin de ce combat. Je ne peux pas l’expliquer, car je n’ai pas les mots pour le faire, et de toute façon ce que je dirais n’aurait pas de sens. Mais j’ai besoin de ce combat. Désespérément ». Beaucoup de parents présents s’identifieront à ce texte. Récemment, le comédien Franck Dubosc, très touché par ces mots, l’a lu dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux.
La lecture de cette lettre, comme d’autres moments du stage, aide certains stagiaires à prendre du recul et à se conscientiser, bien que beaucoup peinent à l’avouer. « Je dois admettre que cette lettre m’a touché. Je pense que je vais y répondre, puis envoyer les deux courriers à mes deux filles de 14 et 16 ans pour leur montrer que j’ai décidé de faire un effort pour les comprendre, et que moi aussi je suis affecté par la détérioration de nos relations. Il n’y a pas de bons ou de mauvais parents. Nous sommes tous des parents en apprentissage, et la critique peut être positive, c’est vrai. Cela ne fait pas de mal de réfléchir sur nos choix éducatifs », confie François, la quarantaine, pendant la pause.
« Les stages de responsabilité parentale ne produisent pas de miracles, mais ils donnent quelques pistes aux parents pour l’avenir », explique Charlotte Desmons, l’éducatrice, tout en insistant auprès des stagiaires sur le fait que notre propre colère de parent, même face aux bêtises de notre enfant, aura des répercussions qu’il faut sériquement sur son développement et sa vie future d’adulte.
« Il n’y a pas de mode d’emploi clefs en main pour être un meilleur parent. »
Charlotte Desmons, éducatrice à « La Sauvegarde du Nord »à franceinfo
Si je devais résumer, je dirais qu’il faut oser demander de l’aide quand on est en difficulté avec un de ses enfants, accepter les mains tendues extérieures, ne pas forcément voir le système éducatif et les associations comme une intrusion dans une famille. Il faut s’autoriser aussi le droit à l’erreur si c’est pour ne pas la reproduire et surtout toujours miser sur le dialogue avec son enfant. Le dialogue reste primordial quel que soit l’âge de l’enfant et c’est encore plus essentiel avec un adolescent qui souvent traverse lui-même une tempête dans son état émotionnel », ajoute la professionnelle. Chaque année, environ 2 000 obligations de stage de responsabilité parentale, comme celui-ci, sont prononcées en France par des procureurs ou des juges.