Contrôle des médias, adversaires politiques enfermés… Le président, arrivé au pouvoir par des élections en octobre 2019, monopolise désormais toute l’autorité après avoir effectué un coup de force en juillet 2021.
Le vote présidentiel aura lieu en Tunisie le 6 octobre 2024. Le président en exercice, Kaïs Saïed, est largement pressenti pour remporter l’élection. Il affrontera deux candidats peu connus, l’un d’entre eux étant incarcéré depuis une semaine. En 2019, le professeur de droit constitutionnel avait remporté une large majorité pour réformer un système perçu comme inefficace et corrompu. Cinq ans plus tard, certains observateurs accusent un retour de la dictature, comparant Kaïs Saïed à un nouvel autocrate à l’instar de Ben Ali. Le dernier numéro de Jeune Afrique intitulé « l’hyper président Kaïs Saïed » a été interdit à la vente en Tunisie, une forme de censure rappelant l’ère de l’ancien despote tunisien.
La route vers la dictature en Tunisie, souvent qualifiée de première démocratie arabe après la révolution de 2011, est-elle en train de se tracer à nouveau ? Tout commence le 25 juillet 2021. Ce jour-là, Kaïs Saïed décide de suspendre le Parlement et renvoie le Premier ministre. Il justifie son acte par l’impasse institutionnelle. Depuis la révolution, un régime parlementaire struggle à obtenir une majorité nette. Onze gouvernements différents se sont succédés en une décennie. Kaïs Saïed promet alors de rendre le système plus rationnel. Des foules de Tunisiens se rassemblent dans les rues pour le soutenir. Un large segment de la société civile se félicite également de cette initiative.
Mais deux mois plus tard, c’est la douche écossaise. Le président émet des décrets qui lui confèrent quasiment des pouvoirs illimités. Ratifiée un an plus tard, la nouvelle constitution consacre la présidentialisation du régime. Par exemple, la justice n’est plus un pouvoir indépendant, mais une simple fonction. Le gouvernement peut transférer les juges à sa convenance. Les partis politiques se voient interdire de faire campagne, et certains bureaux, comme ceux d’Ennahdha – ancien premier parti du pays avant le coup d’État de 2021 – sont fermés.
Adversaires politiques, journalistes, militants des droits humains derrière les barreaux
Une fois l’effet de surprise dissipé, l’opposition a eu des difficultés à se structurer. Un Front du Salut national a vu le jour, regroupant islamistes, libéraux et militants de gauche. Cependant, cette coalition hétérogène peine à élaborer une stratégie cohérente. La société civile, habituellement dynamique en Tunisie, a également du mal à se réorganiser. De nombreux activistes se demandent pourquoi ils ont soutenu la décision du 25 juillet 2021, tandis que d’autres optent pour l’exil.
La répression est omniprésente. Des décrets présidentiels permettent d’arrêter quiconque critique le pouvoir. Les principaux leaders politiques, qu’ils soient islamistes ou nostalgiques du régime de Ben Ali, sont incarcérés, certains sans jugement depuis plus de 18 mois. Journalistes, avocats et militants des droits humains se retrouvent également en prison. Le régime évoque sans cesse le complot, souvent à l’échelle internationale, pour justifier les arrestations politiques, ainsi que pour expliquer l’inflation et la pénurie de produits alimentaires de base.
La participation électorale en chute libre
En 2011, la révolution avait été déclenchée par l’immolation d’un vendeur ambulant. Aujourd’hui, c’est surtout le désenchantement qui gagne la population. Les Tunisiens ont perdu foi en leurs représentants politiques. Financièrement, les familles peinent à joindre les deux bouts. Le prix de la viande a grimpé en flèche. Les produits subventionnés comme le sucre, le pain et l’huile sont souvent en pénurie, car l’État ne parvient plus à les importer.
La popularité dont jouissait Kaïs Saïed commence à s’éroder. Lors des deux dernières élections législatives et locales, la participation n’avait pas dépassé 12%. Le principal enjeu de l’élection présidentielle sera donc le taux de participation.