Le cas des agressions sexuelles de Mazan met en lumière le débat sur la diffusion d’images durant une procédure judiciaire. En plus du dossier en question, la projection de vidéos peut poser des problèmes, les parties civiles, les juges et les avocats n’étant pas nécessairement d’accord sur le sujet.
La diffusion des images sensibles doit-elle être autorisée lors des procès ? Cette question se pose à nouveau lors du procès des viols de Mazan, actuellement devant la cour criminelle du Vaucluse. Des images et vidéos de ces actes sur Gisèle Pelicot ont été projetées le jeudi 19 septembre, ce qui a suscité un grand malaise parmi l’assistance. En réponse, le président de la cour a décidé que les projections d’images ne doivent plus être « systématiques », mais réalisées « à la demande d’une ou plusieurs parties », excluant la presse et le public de cette décision. Franceinfo a consulté plusieurs experts de la justice pour élucider les enjeux liés à cette question.
Maîtriser le déroulement de l’audience
« Il n’est pas nécessaire de tout montrer au public, car ce dernier n’est pas partie prenante au procès, affirme Dominique Coujard, magistrat honoraire et ex-président de la cour d’assises de Paris, lors d’un entretien avec 42mag.fr. Les avocats jouent leur rôle en commentant ce qu’ils ont vu, en fournissant les descriptions nécessaires. Cependant, des images à fort impact émotionnel peuvent être extrêmement traumatisantes pour les victimes civiles. »
Chaque partie au procès peut solliciter la diffusion de preuves visuelles ou sonores. La décision d’accepter ou de rejeter cette demande incombe au président de la cour d’assises ou de la cour criminelle, comme dans le cas des viols de Mazan. Il est de son devoir de veiller au bon déroulement des débats, un rôle souvent appelé « police de l’audience ». « J’ai déjà vu des personnes se jeter sur les accusés ou sur la cour, » se remémore Dominique Coujard.
Le danger du « voyeurisme »
La véritable question est de déterminer si cela apporte un réel avantage à l’audience, estime Aurélien Martini, vice-procureur au tribunal judiciaire de Melun. Ce choix doit être mesuré en fonction de son impact sur la recherche de la vérité et sur les dommages susceptibles d’être causés au public et aux parties civiles. Si les procès-verbaux suffisent, alors il n’est pas nécessaire de tomber dans le voyeurisme ou l’excès de transparence, » poursuit le vice-procureur, également secrétaire général adjoint de l’Union syndicale des magistrats (USM).
Avant le procès, les forces de l’ordre rédigent des procès-verbaux détaillant les contenus visuels ou sonores potentiellement pertinents. « Ne serait-il pas possible de communiquer certaines vidéos uniquement au jury, en installant un écran face à eux, tout en évitant de les montrer au public ? », propose Dominique Coujard.
« La vidéo en elle-même apporte nécessairement quelque chose qu’une simple description ne peut pas transmettre. »
Dominique Coujard, magistrat honoraireà 42mag.fr
« Pour ma part, je pense qu’il est essentiel que ceux qui jugent disposent de tous les éléments nécessaires, » défend Caty Richard, avocate pénaliste. Elle soulève la problématique suivante : « Où s’arrête la transparence et où commence le voyeurisme ? » Elle affirme que « le public présent dans la salle doit également comprendre sur quelles bases la cour a pris sa décision. La transparence est essentielle à la compréhension. »
Un choix à évaluer au cas par cas
Cependant, dans des affaires délicates comme celles impliquant la pédopornographie, la transparence n’est pas la seule priorité. « Il faut examiner attentivement si certaines images sont nécessaires à la compréhension des faits, explique l’avocate. Toutefois, il ne faut pas non plus tomber dans la démonstration pure et simple de la pédopornographie. Chaque décision doit être prise au cas par cas. »
Cette problématique s’applique également aux procès pour terrorisme, comme ceux relatifs aux attentats de janvier 2015. « Lors du procès du jihadiste Peter Cherif, la diffusion des images de la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo, où apparaissent les frères Kouachi, a été expressément demandée, » rapporte Caty Richard.
« Faut-il vraiment des images pour démontrer la gravité des attentats de Charlie Hebdo ? J’en doute, »
Aurélien Martini, vice-procureur du tribunal de Melunà 42mag.fr
« C’est complexe, car la perception des faits peut changer radicalement selon que l’on voit ou non les images, souligne Aurélien Martini. Un dossier judiciaire ne devient pas plus grave à cause des images qu’il contient. C’est pourquoi il faut aussi pouvoir s’en détacher. »
Dans le procès des viols de Mazan, les avocats de Gisèle Pelicot insistent pour que toutes les preuves visuelles et vidéos impliquant les accusés soient projetées, malgré la position contraire du président de la cour. « Pour que la société évolue, nous devons avoir le courage de confronter pleinement la réalité du viol, notamment lorsqu’il est exceptionnel de disposer de preuves visuelles et concrètes, » a affirmé Stéphane Babonneau, l’un des avocats de Gisèle Pelicot.