Depuis que le dernier film réalisé par Boris Lojkine a été dévoilé au Festival de Cannes, un acteur amateur a captivé l’attention générale et a reçu de nombreuses distinctions. Parmi celles-ci, Abou Sangare s’est vu décerner le prix du meilleur acteur.
Trois refus successifs de délivrer un titre de séjour, un honneur reçu à Cannes et un ultime espoir de régularisation : telle est l’histoire d’Abou Sangare, jeune mécanicien en apprentissage et originaire de la Guinée, vivant à Amiens. Il est le protagoniste du film L’Histoire de Souleymane, qui sort en salles ce mercredi 9 octobre. Le préfet de la Somme a demandé une réévaluation de sa situation.
En 2023, alors qu’il étudiait la mécanique, Abou Sangare s’engage bénévolement dans une association d’éducation populaire à Amiens. C’est alors que le responsable de l’association lui parle d’un casting en cours. Le cinéaste Boris Lojkine était à la recherche de jeunes Guinéens pour son projet.
Un acteur découvert par hasard
Abou Sangare, aujourd’hui âgé de 23 ans, se remémore cette chance inattendue : « J’ai présenté un entretien express de 5 à 10 minutes, puis je suis retourné à mes affaires, j’avais une voiture à réparer… Dans l’après-midi, l’équipe m’a recontacté pour un nouvel essai », confie-t-il, alors qu’il présente le film en avant-première à Amiens. À ses côtés, le réalisateur se souvient avoir été séduit par « un moment de silence » lors d’un test complémentaire réalisé à Paris. « Il dégageait alors une intensité rare, du grand cinéma ».
Né le 7 mai 2001 à Sinko, dans le sud-est de la Guinée, Abou Sangare était déjà en formation pour devenir mécanicien lorsqu’il a quitté sa terre natale. Il espérait pouvoir offrir un soutien à sa mère, malade. En tant qu’adolescent, il a traversé plusieurs pays, y compris le Mali, l’Algérie, la Libye, avant de franchir la Méditerranée et de poser pied en Italie. C’est en 2018, alors âgé de 16 ans, qu’il arrive à Paris.
On lui suggère alors d’élire domicile dans une région non-métropolitaine, « plus petite », car « Paris, tu risques les complications », lui dit-on. Suit alors le départ pour Lille, mais, à la “gare du Nord”, quelqu’un vérifie les billets au quai et « je n’ai pas de ticket », relate-t-il. La nuit approchant, une décision s’impose : “je prends le dernier train direction Amiens”.
« Flouter les frontières » entre Abou Sangare et son personnage fictif
Le personnage principal du film, Souleymane, se trouve également être guinéen. Cependant, lui survit à Paris en tant que livreur à vélo, sillonnant les rues de la capitale avec un sac cubique sur le dos, tout en préparant son dossier de demande d’asile. Pendant 1H30, le spectateur suit le personnage principal, « adoptant son regard sur le monde », observant la capitale française « ‘à travers ses yeux' », explique Boris Lojkine. Présenté lors du Festival de Cannes en mai dans la section Un certain regard, le film a décroché le Prix du jury, et Abou Sangare s’est distingué en remportant le Prix d’interprétation masculine.
Boris Lojkine a pris le temps d’interviewer plusieurs livreurs afin de comprendre et capturer leur quotidien : sous-location de comptes, interactions avec les clients, et liens avec les collègues… Pour rendre son interprétation plus authentique, Abou Sangare, bien que novice en matière de jeu d’acteur, a exercé le métier de livreur pendant deux semaines.
Pour mieux saisir « la densité de réalité, il est essentiel de s’attacher à tous ces détails concrets impossibles à inventer », explique le réalisateur, qui a également « flouté les frontières » entre Abou Sangare et Souleymane « afin qu’il s’immerge totalement dans le rôle ».
Un espoir de régularisation à l’horizon
L’un des moments les plus émouvants du film est la scène de l’entretien pour la demande d’asile, où Abou Sangare partage une partie de sa propre expérience. « C’est le présent que Sangare offre au film, et tous ont été éblouis, c’est à ce moment-là qu’il démontre les qualités d’un grand acteur », s’émerveille le réalisateur.
Le 24 juillet 2024, le tribunal administratif d’Amiens a maintenu le rejet de la demande de titre de séjour et « confirmé l’ordre de quitter le territoire », selon la préfecture de la Somme relayée par l’AFP. Cependant, « étant donné le parcours d’intégration du jeune homme », le préfet a demandé en début août une nouvelle évaluation de son cas, exigeant la soumission d’un nouveau dossier aux services préfectoraux.
Abou Sangare exprime sa hâte de retourner à son travail en tant que mécanicien, tout en prenant part à des auditions pour d’autres films, ces projets restant toutefois en attente d’une potentielle régularisation. « Tant que ma situation administrative n’est pas résolue, je ne peux envisager l’avenir », déplore-t-il. « Prendre Sangare pour le rôle principal du film implique une grande responsabilité », souligne Boris Lojkine. « Ce n’est que lorsqu’il obtiendra ses papiers que je considérerai que la boucle sera bouclée ».