En 1995, alors qu’il occupait le poste de ministre de l’Environnement, Michel Barnier a mis en place ce mécanisme. Aujourd’hui, les compagnies d’assurance réclament une hausse des fonds disponibles, face à la recrudescence des désastres environnementaux.
Les catastrophes naturelles se multiplient et leurs coûts augmentent de manière significative. Les inondations ayant frappé le Centre-Est, le Sud-Est ainsi que l’Ile-de-France les 17 et 18 octobre ont vu leurs conséquences financières évaluées entre 350 et 420 millions d’euros par la Caisse centrale de réassurance (CCR), selon une annonce faite le 23 octobre. Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, a déclaré que « cet événement, inédit par son ampleur, est probablement une manifestation du changement climatique », lors d’une visite dans la Loire.
À la suite de ces catastrophes, le recours au « fonds Barnier » devient incontournable. Ce mécanisme public, institué en 1995 par Michel Barnier alors ministre de l’Environnement, permet aux collectivités, petites entreprises et particuliers d’accéder à des financements pour diminuer la vulnérabilité de leurs immeubles face aux risques naturels. Initialement, ce fonds était destiné à dédommager les propriétaires expropriés en raison de risques graves. Au fil du temps, son rôle s’est étendu : baptisé Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), il a soutenu environ 700 projets de prévention entre 2009 et 2020, avec une dépense annuelle moyenne de plus de 170 millions d’euros, selon la CCR.
Des tensions au sein des assurances soupçonnant une « prise en otage »
Compte tenu de l’intensité des événements climatiques actuels, le « fonds Barnier » est jugé insuffisant par les professionnels de l’assurance, qui en appellent à l’État au cœur des discussions budgétaires. « Il est urgent de stopper la mainmise sur le ‘fonds Barnier' », a déclaré Florence Lustman, présidente de France Assureurs, sur 42mag.fr. En écho, la ministre de la Transition écologique a affirmé sur RTL que « le Premier ministre a[vait] annoncé des réformes concernant le ‘fonds Barnier’, en collaboration avec les compagnies d’assurance ». Pour le moment, le projet de budget pour 2025 prévoit une allocation de 225 millions d’euros au FPRNM, équivalent aux budgets de 2024.
Analyser la polémique nécessite de comprendre le mode de financement de ce dispositif. L’État prélève chaque année une somme sur les contrats d’assurance des biens personnels et professionnels. Jusqu’à 2020, une partie de ces montants alimentait le « fonds Barnier ». À présent, le gouvernement ajuste librement le financement du FPRNM. Ainsi, le prélèvement sur les assurances, « jusqu’alors de 25 euros annuels, grimpera à environ 40 euros dès le 1er janvier 2025 », a détaillé Lustman. Ce coût, qui vise à soutenir le régime des catastrophes naturelles, est supporté par les assurés.
Un fonds potentiellement insuffisamment financé ?
« En raison de l’augmentation de la surprime ‘cat nat’, qui finance le régime des catastrophes naturelles, le montant versé au ‘fonds Barnier’, une fraction de cette prime, augmentera lui aussi », explique Florence Lustman. Autrement dit, si la surprime croît de 12% à 20%, le produit de la taxe suit la même tendance. « Si l’on fait un calcul global, cela devrait représenter environ 450 millions d’euros pour 2025. Or, seuls 220-225 millions d’euros y sont réellement affectés, ce qui est inacceptable », dénonce la patronne de France Assureurs.
Il existe donc un fossé significatif entre les revenus issus de la taxe sur les surprimes et la somme réellement dédiée au « fonds Barnier ». Toutefois, un ajustement pourrait être envisagé : « Une enveloppe de 150 millions d’euros est demandée dans le cadre du Plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), dont la présentation est imminente », a fait savoir le ministère de la Transition écologique aux Dernières Nouvelles d’Alsace. Ce fonds pourrait être « sollicité » pour soutenir le troisième Pnacc, prévu fin octobre et considéré comme une priorité, selon le Premier ministre dans le JDD.
Les ressources du FPRNM pourraient aussi être reconsidérées lors des débats sur le projet de loi de finances 2025. « J’espère que cette série de catastrophes pourra convaincre le gouvernement et les députés », a exprimé Florence Lustman sur 42mag.fr. Ce n’est pas la première fois que le secteur des assurances montre de l’agacement. Au printemps 2023, Michel Barnier révélait avoir fait face à « beaucoup de pressions des assureurs » lorsqu’il initia ce fonds, inspiré par les idées du volcanologue Haroun Tazieff.
Des critiques récurrentes sur le fonctionnement du fonds
Les critiques sur le financement et l’efficacité de ce fonds ne datent pas d’hier. Un rapport de l’ONG Oxfam France, publié en juillet, souligne la difficulté d’accès à ce fonds pour de nombreuses familles souhaitant réaliser des travaux. « Le taux de subvention du fonds Barnier est de 80%, avec la possibilité de recevoir à l’avance jusqu’à 30% du montant. Ce soutien est néanmoins limité à 10% de la valeur marchande de la propriété », indiquent les auteurs.
« La part restante à la charge des foyers modestes reste significative, rendant souvent les travaux inaccessibles. »
Rapport de l’ONG Oxfam Francejuillet 2024
Le rapport critique aussi le financement du FPRNM : « Investir dans la prévention des risques nécessite des fonds, ce qui requiert une réflexion sur les financements du fonds Barnier, actuellement assumés par les assurés, ainsi que d’autres voies de politique publique. »
Déjà, en mars 2017, la Cour des comptes avait mis en lumière des dysfonctionnements du « fonds Barnier ». Elle mentionnait notamment que « le suivi comptable des crédits est inutilement complexe et ne respecte pas les règles de gestion des fonds publics ». Elle recommandait de « simplifier la gestion du FPRNM » et de redéfinir son périmètre d’intervention. « Si ce fonds perdure depuis trente ans, c’est qu’il reste utile et avant-gardiste. Il s’agit maintenant de transformer ce fonds, post-catastrophe, en un outil de prévention plus large », soutient Antoine Vermorel-Marques, député Les Républicains et proche de Michel Barnier, avec ou sans l’adhésion entière du secteur de l’assurance.