À la suite du meurtre de Philippine, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau propose de prolonger le temps de rétention des migrants en situation irrégulière dans les centres de rétention administrative. Il justifie cette mesure en affirmant que ces individus « représentent un potentiel de risques ».
Les centres de rétention administrative (CRA) ont récemment attiré l’attention suite au meurtre tragique de Philippine, une jeune femme philippine de 19 ans retrouvée sans vie le 21 septembre dans le Bois-de-Boulogne, à proximité de Paris. Le principal suspect est un Marocain sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Ayant déjà été condamné pour viol, il avait purgé sa peine en prison avant d’être placé dans un CRA, d’où il a été libéré avant la survenue des faits.
Face à cette tragédie, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, souhaite prolonger la durée limite de détention des personnes en situation irrégulière dans les CRA, la faisant passer de 90 jours à 210 jours. Interrogé par RTL le jeudi 3 octobre, il a affirmé que « les individus présents en CRA représentent indéniablement un certain niveau de dangerosité ». Cette déclaration est-elle fondée ?
Un quart des retenus en CRA sont d’anciens détenus
Contrairement à ce qu’affirme Bruno Retailleau, il n’existe aucune évaluation systématique ou rapport global sur la supposée dangerosité des 46 955 personnes passées par les 25 CRA français en 2023, ou même les années antérieures. Aucun document n’atteste des propos du ministre de l’Intérieur.
Pour étayer ses dires, il faut se référer à des faits concrets. Le passé judiciaire des individus retenus en CRA est l’un des éléments qui pourrait donner un aperçu de leur potentiel danger. Bien que les informations soient limitées, un rapport, réalisé par cinq associations engagées dans les CRA, dont France Terre d’Asile et la Cimade, publié en mai 2024, offre quelques éclairages.
Ce rapport décrit la situation des 16 969 étrangers sans papiers retenus dans les CRA de métropole l’année précédente, les autres l’étant en Outre-Mer, surtout à Mayotte. Il révèle que 26% des individus retenus avaient directement intégré un CRA après leur sortie de prison. Ainsi, un quart des étrangers dans ces centres ont purgé une peine car ils avaient été condamnés, tout comme le suspect dans l’affaire du meurtre de Philippine.
L’augmentation du nombre d’anciens détenus dans les CRA est notoire ces dernières années, reflétant une politique délibérée du ministère de l’Intérieur. En 2023, 4 246 étrangers libérés de prison ont été placés en rétention, une hausse par rapport aux 3 935 de 2022. Depuis 2020, entre 23 et 26% des retenus proviennent du milieu carcéral, marque d’une montée continue comparée aux années 2010 : environ 8% entre 2014 et 2017, puis 13% en 2018 et 14% en 2019.
La plupart des retenus ne sont pas liés à des infractions directes
Pour avoir une vision encore plus large, il est possible de considérer les étrangers arrêtés pour suspicion de délit mais qui n’ont pas été jugés ni condamnés, restant juridiquement innocents. Ces personnes constituaient 16% des retenus en CRA en 2023.
En cumulant les 26% d’anciens détenus et les 16% de personnes suspectées, on obtient 42%, soit une minorité. La majorité, 58%, se retrouvent dans ces centres uniquement à cause de leur statut irrégulier. Ils ont souvent été arrêtés lors de contrôles routiers ou sur la voie publique (33,7%), dans les gares (3,9%), aux frontières (3,6%), ou encore sur la route (3,5%), avec d’autres étant interpellés dans divers lieux comme leur domicile, leur lieu de travail, ou des bâtiments publics.
Ces statistiques restent imparfaites. Les associations signataires du rapport reconnaissent leur ignorance quant aux raisons précises des condamnations antérieures des ex-détenus présents dans les CRA, ou sur ce pour quoi les autres ont été arrêtés sans condamnation judiciaire.
Les criminels sont « extrêmement rares » parmi les retenus
Interrogé pour une vérification des faits, Paul Chiron, responsable du soutien et des actions juridiques à la Cimade, explique que rencontrer des personnes dans les CRA ayant été condamnées pour des crimes comme la violence ou le viol, à l’image du suspect de l’affaire Philippine, est « extrêmement rare ». Pour Chiron, les 26% d’individus issus du système carcéral englobent « une grande diversité de situations ». Il affirme que la plupart des infractions concernent le droit commun, tels des vols mineurs. Il cite aussi le cas d’une personne retenue pour avoir traversé la rue alors que le feu était rouge.
Le spécialiste souligne qu’il est impossible de dresser un portrait type des étrangers en situation irrégulière dans les CRA. Les parcours diffèrent : certains viennent d’arriver en France, tandis que d’autres y vivent depuis des décennies sans renouveler leurs titres de séjour. En 2023, 87 enfants ont également été concernés. Paul Chiron insiste sur le fait que « la dangerosité n’est pas un critère pris en compte » pour le placement en rétention. « L’absence de papiers est la seule raison justifiant une rétention. » À leur création en 1981, les CRA visaient principalement à accueillir temporairement des personnes en instance d’expulsion, ne nécessitant pas une longue rétention.
« Il est fréquent de voir l’extrême droite associer immigration et criminalité pour alimenter le rejet des étrangers », observe le responsable juridique de la Cimade, ajoutant que « cela illustre une volonté de rejet de l’autre assez préoccupante. »