En tant que seul représentant de la gauche au sein du gouvernement, le garde des Sceaux se prépare à défendre son budget dans les semaines à venir. Cependant, il pourrait être confronté à la nécessité de manoeuvrer habilement pour influencer les décisions prises par l’exécutif, en particulier face à Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur aux positions bien ancrées à droite.
Didier Migaud va-t-il déjà quitter son poste au gouvernement ? Tout juste nommé ministre de la Justice, il a menacé de rendre son tablier si le budget de son ministère n’était pas revu à la hausse, comme il l’a déclaré le lundi 14 octobre sur RTL. Il a clairement exprimé son désaccord : « Si le budget reste tel qu’il est, je ne vois pas pourquoi je resterais dans le gouvernement. » Issu de la gauche, il est le seul ministre à provenir de cet horizon dans cette coalition de droite, et il utilise cette carte pour interpeller le public afin de faire pression dans les négociations budgétaires.
Un mois à peine après avoir été désigné à la tête du ministère de la Justice, l’ancien président de la Cour des comptes se trouve déjà dans une tourmente budgétaire et médiatique. C’est notamment l’omniprésente personnalité du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui semble lui poser problème. Un député des Républicains souligne : « Didier Migaud est un peu à part au sein du gouvernement. » Un député d’Ensemble pour la République (EPR, anciennement Renaissance) ajoute : « Il ne fait pas partie du noyau central ni des Républicains. Son passé socialiste le rend à part, tout comme le fait qu’il vienne de la société civile. »
Une approche différente de son prédécesseur
Élu à l’Assemblée nationale en tant que député socialiste de l’Isère à partir de 1988, Didier Migaud a consacré son parcours aux questions financières, poursuivant son mandat jusqu’à sa nomination par Nicolas Sarkozy en 2010 à la Cour des comptes. Il a alors laissé derrière lui ses affiliations politiques pour se concentrer sur son rôle de superviseur des finances publiques. En 2020, il quitte la Cour pour présider la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats (USM), note : « Son approche austère a pu faire peur, mais il a rapidement démontré qu’il savait utiliser ses compétences budgétaires pour le bien de son ministère. »
Didier Migaud se démarque par un style posé et mesuré, contrastant avec l’attitude plus explosive de son prédécesseur. Un député EPR observe : « Parfois, un profil comme le sien, plus réservé, est bénéfique en politique. » Lors d’une interview, le journaliste Ali Baddou a remarqué sa prudence dans ses paroles. Avec un air détaché, Migaud a répondu : « Certains parlent peut-être un peu trop vite. »
Se pourrait-il que ce commentaire visait Bruno Retailleau ? Dès leur entrée en fonction, ce dernier a critiqué l’application des peines en France, provoquant une réaction rapide de Migaud : « La justice est indépendante dans notre pays, » a-t-il soutenu devant la commission des lois. Il a insisté : « La réponse pénale ici est bien plus stricte qu’on ne le croit. »
Un retour difficile après une longue absence
Malgré des différends apparents, les entourages des deux ministres assurent qu’ils collaborent efficacement. « Les médias exagèrent leur querelle, ils commencent tout juste leurs mandats respectifs et cherchent leur rythme de croisière », indique la Chancellerie. Mais le ministre de l’Intérieur, prenant souvent la parole sur des dossiers tels que l’immigration, a nettement affirmé sa position. « Sa constante présence médiatique éclipsant ses collègues est regrettable, » déplore un élu du groupe central. « Cela met la justice sous le feu des critiques, même de la part du ministre de l’Intérieur, » regrette un autre.
Un membre de la gauche du groupe EPR exprime : « Pour quelqu’un comme Migaud, l’accord avec Retailleau n’est pas évident. » Les deux hommes ne partagent pas la même stature politique. « Cela fait quatorze ans que Didier Migaud est éloigné de la politique active, » commente un député LR, précisant que Retailleau bénéficie d’une expertise et d’une implantation territoriale conséquentes.
Concernant l’influence de Migaud au sein du gouvernement, Nelly Bertrand, du Syndicat de la magistrature, s’inquiète : « On doute de son impact dans un exécutif qui privilégie la fermeté. »
Le ministre assure toutefois sur France Inter qu’il compte bien « défendre ses idées » et apprécie l’« ouverture et la disposition au dialogue » du Premier ministre. L’équipe d’Emmanuel Macron le décrit comme un négociateur habile, laissant les tensions exister entre Migaud et Retailleau. Dans une approche nouvelle, ce gouvernement de coalition essaie de façonner une nouvelle méthode de travail, qui, bien sûr, n’est pas exempte de heurts.
« Incarnation du gauchisme naïf »
Parmi ses propres alliés politiques, Didier Migaud ne bénéficie pas vraiment de soutien. Lui qui incarne la caution gauche d’un gouvernement principalement composé de figures de droite et d’extrême droite reçoit peu de considération de la part de ses anciens compagnons de route. Ugo Bernalicis, député de la France Insoumise, le critique vivement : « Il est terriblement isolé. » Pour le socialiste Philippe Brun, « il n’est là que pour servir d’alibi. » À la suite de ces critiques, les factions de gauche l’invitent déjà à quitter la scène. « Quand on est réduit à être inutile, il est préférable de partir, » ironise Hadrien Clouet, député insoumis.
Côté droite, le Rassemblement National n’est pas plus clément. Pour Marine Le Pen, Migaud incarne « le summum du gauchisme naïf, » comme elle l’a exprimé lors d’un discours à Nice, où il a été hué par ses militants. Même au sein du centre-gauche anciennement macroniste, le soutien n’est pas évident. Sacha Houlié, aujourd’hui devenu non-inscrit, s’interroge : « Je ne saisis pas sa présence au gouvernement. Si cela ne fonctionne pas, la démission semble inévitable. »
Le ministre de la Justice se retrouve ainsi coincé entre les pressions de Retailleau et les critiques de l’opposition. Qui le soutiendra dans ce contexte délicat ? Quelques députés de l’aile gauche d’EPR promettent leur aide : « S’il a besoin d’appui, nous serons là pour lui, » assure l’un d’eux. Cependant, ils doivent eux-mêmes s’entendre sur la démarche à suivre, tandis que la droite se montre unanimement en faveur d’une ligne sécuritaire.
L’appui hésitant des syndicats de magistrats
Les seuls soutiens durables pour Didier Migaud pourraient être les syndicats de magistrats, qui voient d’un œil bienveillant les débuts du ministre. « Le climat de notre relation est positif pour le moment, » affirme Ludovic Friat de l’USM. « Nous sommes en période favorable, mais cela pourrait changer. »
Cette collaboration pourrait s’avérer cruciale dans la bataille autour du budget du ministère. L’un des enjeux consiste à maintenir le calendrier de recrutements prévu dans la réforme de la Justice, incluant 1 500 magistrats et 1 800 greffiers, face à un budget en dessous des attentes. « Si les orientations sont défavorables, nous serons dans une situation périlleuse, » avertit Ludovic Friat.
Les syndicats pourraient aussi devenir précieux dans le débat sur une nouvelle loi sur l’immigration, portée par Bruno Retailleau. Ce projet, attendu en 2025, survient alors même que les précédentes dispositions législatives ne sont pas entièrement appliquées.
Interrogé sur le sujet, Migaud a peiné à répondre, ne souhaitant pas alimenter les tensions avec le RN : il a déclaré « qu’il faut s’assurer que nous avons déjà tous les outils nécessaires avant de légiférer à nouveau. » Alors que l’automne sera crucial avec les tractations budgétaires, l’avenir s’annonce incertain pour le ministre de la Justice. Face aux attentes, Didier Migaud devra résoudre cette équation compliquée dans les mois à venir.