En octobre 2013, l’éloignement d’une élève de 15 ans après son arrestation lors d’une excursion scolaire a provoqué une controverse à l’échelle nationale. Les jeunes descendent dans les rues, l’Assemblée nationale est en émoi, et même au sein du groupe socialiste, les divisions se manifestent… Face à cette situation, le président Hollande choisit de s’adresser directement aux citoyens.
Dans le cas de « l’affaire Leonarda », cette jeune élève rom qui a été renvoyée avec sa famille au Kosovo après avoir été arrêtée lors d’une sortie scolaire, un moment crucial a rarement été évoqué. Le samedi 19 octobre 2013, une réunion importante a lieu à l’Élysée entre le président François Hollande et plusieurs de ses ministres, à savoir Manuel Valls en charge de l’Intérieur, Vincent Peillon à l’Éducation nationale, ainsi que le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Ceux-ci se remémorent cette rencontre dans un extrait d' »Affaires sensibles ». Ils évoquent leur étonnement lorsque François Hollande décide, apparemment pour apaiser les tensions au sein du gouvernement, de faire une déclaration publique lui-même, alors que Manuel Valls soutient cette expulsion.
Vincent Peillon trouve cette décision « étonnante » : « Ce n’est pas le genre de rassemblement auquel on s’attend à l’Élysée pour un événement comme celui-là ! C’est insensé !« . Jean-Marc Ayrault partage cette opinion en estimant que « ce n’est pas au président de la République de s’exprimer sur une affaire relativement mineure« . En dépit de leurs réserves, un discours télévisé est organisé de manière précipitée. À 13h15, François Hollande s’adresse en direct depuis l’Élysée.
Une scène irréelle… et politiquement désastreuse
Ce que le président ignore, c’est qu’à des milliers de kilomètres de là, au Kosovo, Leonarda et ses proches suivent son discours en direct… sous l’objectif des caméras. Ils vont réagir immédiatement sur une chaîne d’info en continu.
Quand François Hollande indique que « si elle en fait la demande, elle pourra revenir, mais elle seule« , la jeune fille refuse instantanément cette offre : « Pas question : sans mes parents, je ne pars pas. Je ne suis pas capable de m’en sortir toute seule, j’ai à peine 15 ans« . Son père, Resat Dibrani, interpelle même le président : « Je ne comprends pas qu’un père, un président intelligent comme vous, puisse dire une chose pareille publiquement« , s’indigne-t-il.
« J’ai vu cela, j’étais abasourdi. » (Jean-Marc Ayrault)
« Ce jour-là, nous avons compris qu’il n’avait pas saisi ce que signifie être président. » (Vincent Peillon)
« L’autorité présidentielle est remise en question par Leonarda. C’est terrible. » (Manuel Valls)
Le Premier ministre, le ministre de l’Éducation nationale et le ministre de l’Intérieur sous François Hollandedans « Affaires sensibles »
La scène donne l’impression d’un échange à distance. Surréaliste, cette image est désastreuse sur le plan politique. En prenant la parole, François Hollande espérait calmer la tempête politique, mais il n’a fait qu’attiser les tensions. La droite dénonce un manque de fermeté, tandis que la gauche critique une proposition inhumaine.
En s’efforçant de contenter tout le monde, le président n’a satisfait personne… et surtout pas la principale concernée, Leonarda. L’équipe d’ »Affaires sensibles » a retrouvé Leonarda en Croatie, où elle réside désormais. « J’étais hors de moi. Je me sentais perdue, se rappelle-t-elle. Je ne savais pas comment m’en sortir sans ma famille, donc j’ai bien réagi. J’ai eu raison de refuser« .
Extrait de « Leonarda, l’adolescente qui défia le président », une enquête réalisée par Marine Haag, à redécouvrir dans « Affaires sensibles », une coproduction de France Télévisions, France TV presse, France Inter et l’INA, adaptée d’une émission de France Inter.