Chaque samedi, l’historien Fabrice d’Almeida propose de revisiter les événements récents en les replaçant dans leur contexte historique.
La rigueur, une valeur longtemps associée à la droite
Pendant de nombreuses années, la rigueur a été perçue comme une vertu propre à la droite, symbole de sérieux chez les conservateurs et les libéraux. En contraste, la gauche était souvent comparée aux cigales, prônant des politiques sociales marquées par des alliances comme le bloc des gauches, le cartel des gauches ou encore le Front populaire. Après chaque période de gouvernement de gauche, un retour à l’équilibre budgétaire était orchestré par des leaders de droite tels que Clemenceau, Poincaré ou Laval. Même Léon Blum, à la fin du Front populaire, a symbolisé, par sa politique de « pause », un retour à la rigueur financière. En somme, la rigueur était valorisée positivement mais rattachée à l’idéologie de droite.
La continuité sous la Ve République
Au début de la Ve République, cette association se poursuit avec Antoine Pinay, le ministre des Finances sous de Gaulle, pour qui rigueur et succès économique sont indissociables. Cette vision est encore présente en 1976 lorsque Raymond Barre prend la succession de Jacques Chirac. Les analystes évoquent alors une rigueur contrastant avec la politique de relance de Chirac, incarnant l’une des premières politiques de l’offre. Ces étapes montrent une volonté de remettre de l’ordre dans les finances publiques.
La gauche s’approprie le terme dans les années 80
De manière étonnante, en 1981, les socialistes avec Pierre Mauroy redéfinissent cette notion à leur avantage. Le nouveau Premier ministre entend rassurer par ce discours, bien qu’on soit encore loin d’une véritable réduction des dépenses. Même Jacques Delors, ministre de l’Économie, emploie ce terme malgré une monnaie affaiblie et des déficits galopants dès septembre 1981.
La « rigueur », un terme devenu mal-aimé
En 1983 cependant, le terme « rigueur » s’efface au profit de l’expression « politique d’austérité ». La situation est critique, mais le président François Mitterrand s’évertue à atténuer l’importance de ce changement de cap, prétendant poursuivre ses directives initiales… Néanmoins, le public n’est pas dupe. Cette orientation provoque des grèves et un effondrement de la popularité de la gauche, qui perd par la suite les élections législatives. Cette période montre à quel point évoquer la rigueur peut être mal perçu par les citoyens.
Le retour prudent de la rigueur
Depuis lors, évoquer rigueur et austérité revient souvent à prendre le risque de susciter la grogne populaire. Que ce soit Balladur, Juppé ou Valls, tous cherchent à dissimuler cette terminologie. Pourtant, en revenant sur le devant de la scène avec Michel Barnier, la rigueur réaffirme l’idée que le gouvernement de droite saura corriger les excès budgétaires d’un président jugé trop dépensier. Ainsi, ce retour souligne une volonté de ressusciter le lexique et les pratiques d’antan après une période marquée par une ligne politique plus centriste.