Depuis des décennies, des pans entiers du littoral français sont régulièrement inondés d’algues vertes toxiques, notamment en Bretagne. Les scientifiques affirment qu’elle se forme à cause d’une surabondance de déchets chimiques issus de l’agriculture intensive qui se déversent dans la mer. Un jeune photographe expose le problème sous un angle inhabituel et étonnamment beau.
Des scientifiques vêtus de la tête aux pieds avec des combinaisons de protection se tiennent sur une plage déserte, regardant vers un horizon gris, entouré de ce qui ressemble à de la bave verte.
Une invasion extraterrestre ? Découverte d’une autre planète ? L’apocalypse ? C’est comme toutes ces choses et bien plus encore, explique la photographe française Alice Pallot.
« Je produis des images très puissantes car elles sont visuellement saisissantes et me permettent d’interpeller le spectateur », a-t-elle déclaré à 42mag.fr.
Les algues vertes sur les côtes bretonnes constituent un problème depuis les années 1970. Il s’échoue sur le rivage et pourrit, produisant du sulfure d’hydrogène, un gaz hautement toxique qui a rendu les humains et les animaux malades, et parfois même morts.
Depuis des décennies, des milliers de tonnes d’engrais nitrés et de déchets issus d’élevages porcins intensifs polluent huit baies bretonnes, provoquant une croissance rapide des « algues tueuses » et obligeant les villes à fermer régulièrement les plages.
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Stimulées par la hausse des températures due au réchauffement climatique, les algues prolifèrent rapidement, asphyxiant bientôt la flore et la faune locales.
Le sujet a été révélé à Pallot grâce à une enquête de la journaliste radio Inès Léraud, ensuite transformée en roman graphique en 2019 avec l’illustrateur Pierre Van Hove.
Le travail de Léraud soulève la question de savoir comment les autorités ont réussi à étouffer des informations sensibles pendant si longtemps et pourquoi les réactions face à ce problème ont été lentes.
Le « noir » sous le vert
Attiré par le potentiel de documenter la crise en photos, Pallot a organisé un séjour en Bretagne en 2022 en compagnie d’Yves-Marie Le Lay, membre du groupe environnemental local Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre.
Vêtu d’équipements de protection, il l’a emmenée notamment dans la baie de Saint-Brieuc pour lui montrer la boue noire sous la pellicule verte. Pallot commence à photographier les algues, tout en intégrant les données scientifiques.
La série qui en résulte, « Cursed Algae, a Sea of Tears », est un puissant voyage visuel au cœur d’une tragédie écologique.
Pallot a utilisé différentes techniques pour photographier les algues, en prenant même des morceaux pour les utiliser comme filtres sur l’objectif de son appareil photo. L’univers visuel troublant mais époustouflant qui en résulte pourrait tout droit sortir d’un film de science-fiction.
Pallot admet qu’elle est fan du genre – mais pas de la catastrophe réelle qui se déroule sous ses yeux.
Montrer l’invisible
La série de Pallot – actuellement exposée au Festival Photo de La Gacilly en Bretagne – est ce qu’elle appelle un documentaire « d’anticipation », combinant des éléments de réalité avec sa vision du futur.
« C’est ma façon de montrer des problèmes catastrophiques tout en proposant un nouveau récit à travers la photographie », dit-elle.
La photographie « est un moyen de montrer ce qui est invisible », dit-elle, faisant référence au gaz toxique produit par les algues qui ne peut être vu à l’œil nu.
Malgré la destruction d’un habitat naturel, dit Pallot, elle a réalisé que d’autres formes de vie – celles qui n’ont pas besoin d’oxygène – prospéraient dans un nouvel environnement anoxique.
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La deuxième phase de son projet l’a conduite à Toulouse, où elle a travaillé avec des scientifiques du CNRS pour reproduire les effets chimiques des algues.
Ensemble, ils ont trempé les images pendant trois semaines dans un bain d’algues toxiques. Les taches formaient des éclaboussures scintillantes sur les photographies – comme un paysage sur une planète lointaine, à la fois fascinant et obsédant.
La beauté comme appât
Plus l’image est forte, plus le message est efficace, suggère Pallot, qui a également documenté d’autres formes de pollution – notamment les dommages causés par l’éponge absorbante utilisée pour conserver les fleurs coupées dans l’industrie florale commerciale.
Pallot dit qu’elle utilise la beauté comme un appât pour attirer les gens. Une fois qu’ils ont lu les légendes des photos, ils sont confrontés à une dure reconnaissance ; une sorte de réveil visuel.
« J’utilise des techniques artistiques visuellement attrayantes. Une fois que la beauté a attiré le (public), je peux sensibiliser pour qu’il regarde plus attentivement et comprenne mieux la situation », explique-t-elle.
« La photographie, telle que je la vois, est un moyen d’inspirer de l’empathie auprès des jeunes et du public en général. Je pense vraiment que c’est un médium qui peut changer les choses en termes d’engagement personnel. »
Le travail d’Alice Pallot est exposé dans le cadre du Festival Photo de La Gacilly en Bretagne jusqu’au 3 novembre 2024.