La France est à la traîne par rapport à de nombreux pays en matière d’utilisation de la technologie dans les salles de classe, en partie à cause d’un manque de coordination et d’une politique claire. Mais les éducateurs préoccupés par l’impact de l’utilisation des écrans dans les écoles estiment que le pays a la possibilité de réfléchir aux meilleures pratiques avant de se précipiter pour adopter de nouvelles technologies.
« Leurs tablettes doivent rester dans leur sac », explique Christophe, qui enseigne la gestion et l’économie dans un lycée privé catholique à l’ouest de Paris, où chaque élève reçoit une tablette.
Les tablettes sont financées par la région Ile-de-France, qui chapeaute les lycées, publics et privés, et qui a introduit en 2020 les manuels scolaires numériques.
Aujourd’hui, environ la moitié des lycées généraux de la région les utilisent.
Au début, Christophe se dit ouvert à l’idée : « Les livres traditionnels ne sont pas parfaits. Parfois ils sont lourds et parfois les étudiants les oublient, alors au début j’ai pensé que ça pourrait être une bonne solution.
« Mais j’ai été très déçu par les écrans. »
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Tout d’abord, il y a eu des problèmes techniques : problèmes de connectivité WiFi, étudiants qui ne trouvaient pas leurs codes de connexion, tablettes qui n’étaient pas chargées.
Ensuite, une fois que les étudiants ont effectivement pris possession des appareils, ils ont été distraits.
« Nous sommes ici pour développer leur concentration, développer leur attention et ces compétences sont très importantes. Et quand vous donnez un écran à un adolescent, vous pouvez être sûr qu’il ne vous entend pas et ne vous écoute pas, il est concentré sur l’écran », explique Christophe.
Pause écran
Les étudiants eux-mêmes avouent vouloir s’éloigner des écrans, surtout alors qu’ils occupent déjà une grande partie de leur temps libre.
Charles, étudiant en première année en cours optionnel de gestion chez Christophe, raconte passer des heures sur son ordinateur à la maison à jouer à des jeux vidéo, au point d’oublier de faire ses devoirs. Il essaie d’éviter sa tablette à l’école.
«C’est mon temps sans écran. Je ne veux tout simplement pas avoir d’écran autour de moi à l’école, pour pouvoir être plus concentré », dit-il.
Sa camarade de classe Carlette dit qu’il s’est rendu compte il y a plusieurs années que son téléphone lui prenait trop de temps et qu’il a essayé de se limiter.
« Je me suis en quelque sorte soumis à un contrôle du temps d’écran », a-t-il déclaré. « Et j’ai remarqué que c’était mieux dans ma façon de socialiser. »
Il découvre qu’il parvient à mieux utiliser son temps en passant moins de temps sur son téléphone.
Utiliser la technologie de manière réfléchie
En classe, l’enseignant Christophe anime un exercice de vocabulaire dans lequel les élèves remplissent sur une feuille de papier les mots d’une scène qu’ils ont regardée dans une émission de télévision – projetée sur un écran commun situé à l’avant de la classe.
« Lorsqu’ils travaillent en classe, ils le font sur papier. Ils doivent se concentrer sur le document », explique-t-il. «C’est facile pour moi de vérifier qu’ils font l’exercice et d’aider les élèves en difficulté.»
Christophe a cofondé il y a un an un collectif appelant à une approche commune de l’utilisation de la technologie dans les écoles, au milieu de messages contradictoires adressés aux élèves, aux parents et aux enseignants.
À l’époque comme aujourd’hui, les législateurs étaient aux prises avec la question des écrans, tant dans le cadre de l’éducation qu’en dehors.
Interdire ou soutenir ?
Fin 2023, Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation, commençait à évoquer les graves risques sanitaires des écrans et des réseaux sociaux pour les jeunes.
À plusieurs reprises, il a qualifié les jeunes utilisant des écrans à la maison de « catastrophe sanitaire » potentielle.
Cette prudence s’est traduite par une interdiction à l’essai des smartphones personnels dans plusieurs écoles au début du dernier trimestre.
Pourtant, les écoles ont également été encouragées à adopter la technologie, même si son adoption s’est révélée variable.
Alors que les cadres généraux sont fixés par le ministère de l’Éducation, les décisions concernant le matériel, y compris les écrans et les manuels scolaires, sont prises au niveau local – par les régions françaises pour les collèges et lycées, et par les villes pour les écoles primaires.
Cela signifie qu’il existe de grandes différences à travers le pays. Les statistiques montrent qu’il y avait 24 tablettes et autres appareils mobiles par élève dans les classes du secondaire en 2022, ce qui suggère que de nombreuses régions n’en ont pas.
À l’école primaire, il y a en moyenne quatre ordinateurs de bureau pour cent élèves, mais aucun appareil mobile.
Définir un équilibre
En avril, le président Emmanuel Macron a reçu un rapport d’expertise qu’il avait commandé sur l’usage des écrans par les jeunes, qui recommandait de limiter l’utilisation des écrans, des smartphones et des réseaux sociaux.
Il a souligné le fait que l’élaboration de politiques décentralisées compromet une approche unifiée des écrans dans les écoles. Et il a averti que la cohérence à l’intérieur et à l’extérieur de l’école est essentielle.
« Les stratégies utilisées dans les écoles doivent être cohérentes avec les messages envoyés ailleurs aux parents », indique le rapport.
Christophe, le professeur du lycée, est d’accord. « Les parents disent ‘n’utilise pas ton écran’, et à l’école, ‘utilise ton écran' », dit-il. « Ce n’est pas logique, c’est difficile à comprendre. Nous avons besoin d’un message clair.
Pour lui et son collectif, la clé est de trouver le juste équilibre entre aider les élèves à se concentrer sur leurs devoirs et apprendre à utiliser les ordinateurs de manière responsable.
Les étudiants « ont besoin de compétences numériques et nous pensons qu’il est nécessaire d’avoir une classe avec des ordinateurs pour qu’ils apprennent à utiliser Word, à organiser leurs fichiers, à utiliser Internet », dit-il.
« Nous voulons des cours avec des outils numériques, pour acquérir des compétences numériques. Mais nous ne voulons pas que les outils numériques soient utilisés pour étudier d’autres matières.»
Plus d’informations sur cette histoire sur le podcast Spotlight on France, épisode 117. Écoutez ici.