Les propositions dévoilées mardi par le Premier ministre dans son discours sur la politique générale ont suscité des inquiétudes parmi les organisations non gouvernementales, les activistes écologistes, ainsi que les experts du secteur.
Il souhaite promouvoir une « écologie de solutions ». Dans sa déclaration de politique générale du mardi 1er octobre, Michel Barnier a abordé divers sujets environnementaux et climatiques à la demande pressante de la société civile. La question de l’immobilier et du logement a été la plus détaillée par le Premier ministre. Il a exprimé son désir de « relancer la construction de logements », en déclarant : « Nous devons adapter de manière pragmatique et différenciée la réglementation ‘zéro artificialisation nette’ pour satisfaire les besoins cruciaux de l’industrie et du logement. »
En ce qui concerne les habitations, le résident de Matignon souhaite un diagnostic de performance énergétique (DPE) « simplifié », avec un « calendrier ajusté », bien que les logements classés G (les moins performants) soient censés disparaître du marché locatif à partir du 1er janvier 2025.
Sur le thème de l’énergie, intrinsèquement lié à l’environnement et au climat, Michel Barnier s’est engagé à poursuivre activement le développement du nucléaire et des énergies renouvelables, en transformant les territoires d’outre-mer en « laboratoires d’innovation pour le solaire et la géothermie ». En revanche, s’agissant des éoliennes, il a souligné la nécessité de « mieux évaluer tous les impacts ». Une réserve qui n’étonne guère. « Je suis clairement contre l’éolien », avait-il affirmé sur France 2 lors de la primaire de la droite et du centre en vue de la présidentielle de 2022.
Des positions perçues comme rétrogrades
Pour de nombreux experts et ONG, ces positions marquent un recul en matière de transition écologique. Certaines des mesures annoncées « vont à l’encontre de l’accélération » de la décarbonation en France, souligne par exemple sur X le collectif d’ONG Réseau Action Climat, mentionnant « une stigmatisation de l’éolien ou un penchant pour des solutions inefficaces comme les biocarburants pour l’aviation ». « La dette écologique ne sera pas réduite par des solutions technocentriques ou en écartant des éléments essentiels à la transition énergétique comme l’éolien », ajoute Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France.
Bien que Michel Barnier soit resté évasif sur l’avenir du DPE, sa simplification et un report possible du calendrier « vont freiner les politiques de rénovation énergétique des bâtiments », estime Réseau Action Climat. La Confédération nationale du logement partage ce constat : « On ira probablement à revoir à la baisse la réglementation sur les passoires thermiques. Les gens continueront donc à vivre dans des logements F ou G », critique Eddie Jacquemart, son président.
« L’écologie, on s’assoit dessus pour satisfaire les propriétaires. »
Eddie Jacquemart, président de la Confédération nationale du logementà 42mag.fr
Cela s’ajoute à un assouplissement des normes entamé par Christophe Béchu, l’ancien ministre de la Transition écologique. La modification du DPE en février avait permis à 140 000 logements de moins de 40 m² de déroger à la catégorie des passoires thermiques, émettant chaque année au moins 70 kg de CO₂ par mètre carré. « Un formidable recul dans la lutte contre le changement climatique », dénonçait déjà Eddie Jacquemart à cette époque.
Quant à la volonté d’assouplir la réglementation « zéro artificialisation nette (ZAN) », qui vise à compenser tout nouvel espace construit en restituant la même surface à la nature, cela inquiète fortement Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) : « L’artificialisation est la deuxième cause de disparition des espèces en France », déclare-t-il à 42mag.fr.
« Revenir sur la ZAN alors que l’objectif est fixé à l’horizon 2050 avec une trajectoire bien définie est assez étrange », commente l’urbaniste Clément Gaillard, spécialisé dans la conception bioclimatique. Toutefois, il n’est pas nouveau que les Républicains résistent à cette mesure : Laurent Wauquiez s’y était opposé à l’automne 2023, lorsqu’il était président de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Construire davantage, un modèle dépassé ?
Au-delà de l’artificialisation des sols, c’est l’intention de construire de nouveaux logements qui suscite les critiques de Clément Gaillard. « Les promoteurs immobiliers doivent être enchantés, mais pour l’écologie et la conservation des sols, c’est autre chose », souligne-t-il, précisant que la construction a un « énorme impact carbone ». Selon Bpifrance, l’empreinte carbone de la construction de bâtiments est estimée entre 850 et 1 000 kg de CO₂ par m² (soit un aller-retour Paris-New York par passager, par mètre carré).
« Sur le plan environnemental, construire du neuf n’est pas la solution. Les grandes sociétés de construction savent qu’elles doivent se tourner vers la rénovation, et devenir des gestionnaires de parcs plutôt que des constructeurs. »
Clément Gaillard, urbanisteà 42mag.fr
Selon lui, plusieurs leviers d’action existent. « On propose toujours de créer davantage pour répondre à la crise du logement sans questionner la sous-occupation des logements, les enjeux de rénovation, particulièrement dans les centres commerciaux », où de nombreux magasins ferment face à l’essor du commerce en ligne : « Ce sont des hangars et des parkings qu’on pourrait transformer. »
Pour les habitations, de nouvelles pratiques commencent à émerger ou restent à développer, explique Clément Gaillard : certains seniors choisissent de quitter leur grande maison pour des logements plus petits, optent pour la colocation (parfois avec des jeunes) ou se rapprochent des centres urbains.
Critiquer l’éolien, une concession au RN ?
L’attention s’est aussi concentrée sur l’éolien. Selon Nicolas Goldberg, expert en énergie chez Colombus Consulting, le secteur a « des raisons d’être inquiet ». Michel Barnier a voulu « faire un geste » envers les députés du RN, « qui exercent une pression sur le gouvernement et souhaitent démanteler les installations existantes ».
« L’éolien est devenu un enjeu politique et le Rassemblement national en a fait son cheval de bataille. »
Nicolas Goldberg, expert en énergie chez Colombus Consultingà 42mag.fr
« La France doit avancer avec les énergies renouvelables et le nucléaire », a tenté de rassurer Olga Givernet, la ministre déléguée à l’Énergie, en ouvrant le Colloque national éolien de France renouvelables.
Ce discours basé sur la déclaration de politique générale de Michel Barnier est « prévisible », selon Nicolas Goldberg, ajoutant que sa ministre de tutelle, Agnès Pannier-Runacher, chargée de l’Écologie, connaît bien la question. « Elle sait que sans maintenir la trajectoire actuelle de l’éolien, nous ne pouvons atteindre nos objectifs climatiques, et pire, nous risquons une pénurie électrique. » L’expert prévoit des tensions entre Michel Barnier et sa ministre de l’Écologie, surveillant de près les décisions futures.
Des intentions floues et des omissions
Globalement, France Nature Environnement se dit préoccupée par un « discours de simplification des normes ». « Le problème n’est pas les normes, qui protègent, mais la complexité des démarches administratives qui les entourent », souligne l’association. Ces reculs sont « déconcertants », s’indigne aussi le climatologue Christophe Cassou. Le dernier rapport grand public du Haut Conseil pour le climat (PDF) avertit que les politiques actuelles sont incompatibles avec les engagements de la France pour atténuer le changement climatique. « Pour être ambitieux, il faut des politiques durables, planifiées et jalonnées », souligne-t-il.
« Chaque retard supplémentaire menace l’habitabilité pour tous, selon le rapport du GIEC. »
Christophe Cassou, climatologue et directeur de recherche au CNRSà 42mag.fr
Le climatologue fait aussi remarquer des oublis dans cette déclaration de politique générale, qui se limite pour lui « à des solutions techniques et réglementaires ». La biodiversité, par exemple, ne dispose pas de secrétariat d’État ou de ministre délégué.
Benoît Leguet, directeur de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), est lui dans l’expectative. « Michel Barnier n’a pas été clair sur ses intentions », dit-il à 42mag.fr. « Pour en savoir plus, il faudra attendre le projet de loi de finances. Cela devrait éclaircir une part du mystère. » Membre du Haut Conseil pour le climat, il attend également des documents structurants et très attendus sur la transition écologique : la Stratégie nationale bas-carbone, la stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique ou encore un nouveau plan d’adaptation.
Un dernier document déjà évalué par l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). « Leur analyse signale des lacunes. Et au vu de la déclaration de politique générale, il est difficile de voir comment ces lacunes seront comblées par le gouvernement Barnier », conclut Christophe Cassou.