Lors de son allocution devant l’Assemblée nationale mardi après-midi, Michel Barnier a annoncé une orientation vers une politique pénale plus rigoureuse, ce qui a provoqué des inquiétudes parmi les magistrats.
Des « sanctions » qui « interviennent rapidement », des peines « effectivement appliquées »… Le chef du gouvernement a annoncé, mardi 1er octobre, dans son discours de politique générale, son souhait d’insuffler davantage de « rigueur » à la réponse judiciaire. « Il est crucial que les jugements soient respectés et que les peines soient mises à exécution sans altération », a affirmé Michel Barnier face à l’Assemblée nationale, avant de définir les contours d’une politique pénale plus stricte, « réclamée par les Français », selon lui. Quelles sont les propositions qu’il a avancées ? En quoi diffèrent-elles de l’existant ? Comment ces déclarations sont-elles perçues par les acteurs de la justice ? Voici des éléments de réponse.
1 Qu’a précisément annoncé Michel Barnier ?
Pour éviter de « discréditer totalement la réponse pénale », le Premier ministre a proposé « des peines d’emprisonnement courtes et immédiatement mises en œuvre pour certains délits », sans préciser lesquels. « Je pense qu’il est également indispensable de revoir les conditions d’octroi du sursis et de limiter les possibilités de réduction ou d’aménagement des peines », a ajouté Michel Barnier. « Nous prévoyons enfin un recours accru aux travaux d’intérêt général, aux amendes administratives et aux amendes forfaitaires délictuelles. Pour que ces amendes soient réellement payées, nous allons effectivement recouvrer les retenues sur salaires ou sur prestations sociales », a-t-il poursuivi.
« Pour réaffirmer le caractère dissuasif de la punition, nous devons construire davantage de places de prison », a encore souligné Michel Barnier, alors que le nombre de détenus en France a atteint un nouveau record au 1er septembre, avec près de 79 000 personnes incarcérées. Mais il a également affirmé vouloir « diversifier les solutions d’enfermement » et se dit en faveur de « la création d’établissements pour courtes peines ». Comment ces objectifs vont-ils se concrétiser ? Il faudra patienter encore un peu pour le savoir. « Cela est en cours de refinement », indique le ministère de la Justice à 42mag.fr, en confirmant que « le programme pénitentiaire va être poursuivi ». « La chancellerie et l’administration pénitentiaire travaillent ensemble sur cette question », ajoute le ministère. « Tout sera précisé prochainement, en coordination avec le Parlement », confirme Matignon à 42mag.fr.
La fermeté affichée par Michel Barnier est en écho aux propos de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur. « Les peines prononcées doivent être exécutées. Il faut construire des prisons », proclamait Bruno Retailleau sur TF1 le 23 septembre, le soir de son entrée en fonction. Depuis plusieurs années, ce leader de la droite dure prône les courtes peines « dans des prisons adaptées », y compris pour les mineurs. Bruno Retailleau cite souvent les Pays-Bas en exemple. Un pays ayant choisi d’imposer des courtes peines dès les premiers délits, mais qui ne connaît pas de surpopulation pénitentiaire comme en France.
2 Actuellement, comment sont mises en œuvre les courtes peines de prison ?
Les propositions de Michel Barnier marquent un revirement par rapport aux intentions initiales d’Emmanuel Macron. Au début de son premier mandat, le président visait à supprimer les très courtes peines et à promouvoir des alternatives à l’incarcération. Ainsi, depuis la loi de programmation et de réforme pour la justice promulguée en 2019, les peines de prison ferme d’une durée inférieure ou égale à un mois sont interdites. De même, les peines inférieures ou égales à six mois doivent obligatoirement être aménagées, « sauf impossibilité liée à la personnalité ou à la situation du condamné ».
Depuis la loi de 2019, l’aménagement des peines d’emprisonnement a fortement progressé. En 2023, plus de 40 % des peines ont été aménagées ou converties avant l’incarcération, selon les statistiques du ministère de la Justice. Le placement sous bracelet électronique est l’aménagement le plus courant, notamment pour les délits routiers.
De façon parallèle, la loi de 2019 a abaissé de deux ans à un an le seuil pour lequel une peine de prison ferme n’est pas aménageable. Cela a entraîné une augmentation du taux d’exécution immédiate des peines de prison ferme pour les peines de plus de 12 mois. Depuis 2020, la durée moyenne de détention est ainsi passée de 8,5 mois à près de 12 mois.
La réduction des incarcérations pour les courtes peines n’a pas allégé la surcharge des prisons. Michel Barnier a admis, mardi, que les 62 000 places actuelles sont « très insuffisantes ». Une pénurie qui « nuit à la dignité ». « La justice française n’a jamais été aussi sévère. Les peines augmentent, les prisons n’ont jamais été aussi pleines », affirme le procureur général près la Cour de cassation, Rémy Heitz, invité sur 42mag.fr mardi. Les professionnels de la justice ont cependant des opinions divergentes sur les solutions à apporter à ce problème.
3 Comment réagissent les magistrats ?
Le discours de Michel Barnier révèle, selon Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature, classé à gauche, une « certaine méconnaissance du travail de la justice ». « Tous les jours, en comparution immédiate, des courtes peines sont prononcées et appliquées : six mois de prison ferme avec mandat de dépôt, ce n’est pas rare », affirme-t-elle. « Ses propos sous-entendent que la justice est laxiste », regrette Kim Reuflet, qui demande des précisions. « Ces propositions sont vaguement formulées, alors que des mesures existent déjà, mais ne fonctionnent pas. Il faut arrêter d’appliquer des recettes inefficaces », estime-t-elle. « Ce qu’il faut, c’est réfléchir au sens de la peine et à la prévention de la récidive. »
Un avis partagé par Ludovic Friat, secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats. « Ce que nous voulons tous, c’est éviter la récidive. Est-ce que la peur de la prison, sur une courte peine, va remplir cette fonction ? Pour certains, peut-être. Pour d’autres, cela ne changera rien, ou pas grand-chose », analyse-t-il. « Les Pays-Bas l’ont mise en place pour créer un choc carcéral dès la première infraction sérieuse », confirme Ludovic Friat. Mais ils ont créé des établissements adaptés, précise-t-il : « Il ne s’agit pas de mélanger les primo-délinquants avec les récidivistes aguerris. » Le secrétaire général de l’USM s’interroge donc sur les moyens budgétaires alloués à la construction de nouveaux établissements. « Cette politique de fermeté n’a de sens que si on a les moyens de la réaliser, sinon cela reste un vœu pieux. », conclut Ludovic Friat.
Concernant le sursis, dispense d’exécuter une peine d’emprisonnement sous certaines conditions, les magistrats se posent aussi des questions. Michel Barnier a annoncé vouloir « revoir les conditions d’octroi du sursis ». « Parle-t-il des conditions de révocation du sursis en cas de nouvelle infraction ? Ou veut-il incarcérer davantage ? », se demande Aurélien Martini, secrétaire adjoint de l’USM, interrogé par l’AFP. « On comprend les « grandes idées », mais ses intentions concrètes ne sont pas très claires », conclut, pour sa part, Céline Bertetto, présidente de l’Association nationale des juges de l’application des peines.