Sans majorité absolue et avec une Assemblée nationale fragmentée en trois grands groupes, le nouveau Premier ministre se trouve dans une situation où sa capacité à faire passer des lois est extrêmement limitée.
« C’est un CDD de trois ou six mois. » Voilà comment un député des Républicains résume la perception de nombreux parlementaires sur un poste au sein du gouvernement. Michel Barnier a finalement réussi à former une équipe gouvernementale allant du MoDem aux Républicains, non sans difficulté. Mais alors qu’il doit présenter sa déclaration de politique générale ce mardi 1er octobre à 15 heures, le nouveau Premier ministre sait que les défis à venir seront nombreux. En tant qu’ancien négociateur du Brexit, Barnier doit exposer son programme tout en étant conscient des obstacles à surmonter.
Un député Renaissance prédit : « Il n’y a pas de légitimité pour des réformes importantes. S’il parvient à faire passer le budget, ce sera déjà immense. » Une députée LR confirme cette vision : « Il n’y aura pas de grandes réformes, ça passera surtout par des décrets et des règlements. » Grâce aux décrets, le gouvernement peut légiférer sans passer par le Parlement, mais cela ne s’applique pas à tous les domaines. Philippe Juvin, député LR, reconnaît : « Michel Barnier a effectivement peu de marge de manœuvre. »
« Le gouvernement est réellement fragile, car le Rassemblement national va saisir toute opportunité pour le censurer. »
Un député des Républicainsà 42mag.fr
La situation politique à l’Assemblée nationale complique la tâche du chef du gouvernement. Avec au maximum 234 députés, en incluant tous les membres du groupe Liot, la majorité relative reste bien loin des 289 nécessaires pour faire adopter un texte de loi. Jean Terlier, député Renaissance, espère : « L’équation est très compliquée, la situation est précaire, mais nous devrions trouver des solutions et des compromis. »
Le Rassemblement national en position arbitraire
Pour avancer, le gouvernement devra composer tantôt avec la gauche, tantôt avec l’extrême droite. Le constitutionnaliste Benjamin Morel, maître de conférences à l’université Paris-Panthéon-Assas, affirme : « Le Nouveau Front populaire sera dans une opposition franche, le gouvernement devra donc chercher des accords allant du MoDem au Rassemblement national pour chaque texte. » Actuellement, Marine Le Pen et ses partisans ont promis de ne pas censurer automatiquement le gouvernement, tout en précisant qu’ils le mettraient « sous surveillance ». « Le RN a tout intérêt à laisser le gouvernement Barnier en place, car cela leur donne un rôle d’arbitre très avantageux. », analyse Benjamin Morel.
En pratique, le parti d’extrême droite va continuer d’améliorer son image de respectabilité avec la « stratégie de la cravate », tout en négociant chaque texte de loi dans l’hémicycle. Dès le prochain projet de loi de finances, la gauche va tracer des lignes rouges que le RN pourra exploiter pour contraindre Michel Barnier. Benjamin Morel prédit : « Le Rassemblement national tentera de s’attribuer les mérites des amendements au budget. »
« Le RN est dans une position idéale. Seul inconvénient : le gouvernement tiendra grâce à eux, alors que leurs électeurs préféreraient le voir tomber. »
Benjamin Morel, politologueà 42mag.fr
Face aux contraintes des finances publiques, le gouvernement cherche des ressources, ce qui divise déjà la majorité relative sur l’éventualité d’une hausse des impôts. Loïc Kervran, député Horizons, résume : « Un budget normal avec une majorité solide est déjà compliqué, alors un budget très contraint avec une majorité hétéroclite, c’est objectivement très difficile. »
Des tensions internes
De plus, le RN ne simplifiera pas la tâche du gouvernement. Pour éviter d’être accusé de complaisance en ne votant pas la censure, le parti dirigé par Jordan Bardella adopte un ton plus agressif dans les médias. Lorsque le nouveau ministre de l’Économie, Antoine Armand, exclut le Rassemblement national de l’arc républicain, les responsables d’extrême droite réagissent en bloc, menaçant explicitement de censure.
Antoine Armand a rapidement été recadré « clairement et fermement » par Matignon. Michel Barnier a même appelé Marine Le Pen pour clarifier la situation, ce qui a provoqué la frustration de certains députés Renaissance. Cet épisode montre à quel point la solidarité sera difficile pour le nouvel exécutif, justifiant ainsi la nomination d’une ministre chargée de la Coordination gouvernementale.
« On a envie de rappeler à Michel Barnier qui va voter ses textes, parce qu’il se concentre seulement sur ceux qui vont s’abstenir. »
Un cadre de Renaissanceà 42mag.fr
Les divisions au sein du gouvernement sont également apparues dans un échange entre Didier Migaud et Bruno Retailleau. En réponse à la demande du ministre de l’Intérieur de « sanctions fermes et rapides pour les délinquants. », le garde des Sceaux a rappelé sur France 2 que « la justice est indépendante dans notre pays. » La nomination de ce conservateur fervent à la Place Beauvau a crispé une partie du bloc central, et les positions de certains membres du gouvernement sur le mariage pour tous ou l’inscription de l’IVG dans la Constitution ont conduit Gabriel Attal à demander des garanties au Premier ministre. Michel Barnier a répondu sur France 2 que « il n’y a aucune ambiguïté. »
Le Premier ministre sait que des tensions risquent d’émerger lors des débats de société clivants. Bruno Retailleau a déjà annoncé son intention de réformer l’aide médicale d’État par voie réglementaire. « Une suppression ne serait pas acceptable. », a averti Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique. Le ministre républicain n’exclut pas une nouvelle loi sur l’immigration. Un ancien ministre macroniste qui est redevenu député a déclaré : « C’est l’un des sujets les plus sensibles. Mais appliquons déjà le texte voté et les dispositions européennes. » Dimanche, deux jours avant le discours de Michel Barnier à l’Assemblée, les nouvelles déclarations de Bruno Retailleau sur l’état de droit, qui « n’est pas intangible ni sacré, » ont été vivement critiquées par des figures de l’ex-majorité.
A la recherche de consensus
Le dossier de la réforme des retraites reviendra également rapidement sur le devant de la scène. Le RN et la gauche envisagent une proposition de loi pour abroger le texte controversé du précédent gouvernement. Même si les deux blocs réussissent à s’entendre sur une abrogation, le Sénat s’y opposera. En cas d’échec de la commission mixte paritaire, le gouvernement n’est pas obligé de donner le dernier mot à l’Assemblée. Michel Barnier s’est dit ouvert à des « améliorations » pour les plus vulnérables, mais Jean Terlier prévient : « Il ne souhaite pas démanteler la réforme et ce serait de toute façon une ligne rouge pour notre groupe. »
Sur quels autres sujets le gouvernement peut-il avancer ? Un ancien ministre envisage : « De grandes réformes clivantes, symboles d’une famille politique, seront difficiles. Mais on peut envisager des réformes consensuelles comme sur la fin de vie. » La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, souhaite que ce texte soit « réexaminé avant la fin de l’année. » D’autres projets ont été laissés en suspens par le précédent gouvernement, comme la réforme de l’assurance-chômage ou le projet de loi d’orientation agricole. Le gouvernement doit également gérer des urgences, telles que la situation en Nouvelle-Calédonie, où la réforme électorale a été suspendue par Emmanuel Macron. Pour chacun de ces textes, le gouvernement devra trouver des majorités circonstancielles. Sinon, l’expérience Barnier pourrait être de courte durée.