Chaque jour, un grand nombre de personnes, de tout âge, affluent vers le tribunal judiciaire d’Avignon. Leur objectif est de pouvoir accéder à la modeste salle de retransmission, qui ne peut accueillir que 60 spectateurs. C’est la seule possibilité pour le public de suivre en direct le déroulement des audiences.
«Je suis là pour soutenir madame Pelicot». Cette déclaration revient sans cesse parmi les nombreuses femmes de tous âges, telles que Sonia, âgée de 60 ans, qui se rassemblent chaque matin devant le tribunal d’Avignon lors du procès des viols de Mazan. Les plus matinales arrivent dès 7h15, alors que les portes n’ouvrent qu’une heure plus tard. Ensuite, c’est une course effrénée pour passer les contrôles de sécurité afin de prendre place dans la salle de retransmission de l’audience, qui ne peut contenir que 60 personnes.
Dès le début du procès le 2 septembre, de plus en plus de personnes viennent soutenir la victime. Si la majorité sont des femmes, quelques hommes participent également. Certaines personnes viennent dès qu’elles le peuvent et sont devenues familières au tribunal, tandis que d’autres viennent de façon plus occasionnelle, notamment celles vivant à Avignon ou passant par la région. Elles sont étudiantes, mères de famille, femmes actives ou retraitées… Il est impossible de dresser un profil type. Même quelques personnalités politiques se sont jointes au public, comme la députée Sandrine Josso, elle-même victime de violences similaires, et Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV. Avec le temps, l’affluence a grimpé, rendant la salle souvent trop petite, obligeant ainsi certaines à rester à l’extérieur.
« On aimerait leur dire : ‘Soyez responsables, reconnaissez vos actes !' »
Au sein de ces fidèles, Roselyne et Mireille, âgées respectivement de 65 et 64 ans, suivent l’affaire depuis le début. Elles éprouvent beaucoup de ressentiment suite aux auditions des accusés qui se sont déroulées la semaine du 23 septembre. « Ils prétendent ignorer qu’il s’agissait de viols, alors que sur les vidéos, on voit leur discrétion… On souhaite leur dire : ‘Soyez des hommes, acceptez les conséquences de vos actes !' », s’exclament-elles, manifestement outrées. Toutes deux admirent le courage de Gisèle Pelicot qu’elles décrivent comme « une véritable déesse », montre Roselyne avec émotion.
Bérangère, qui vient en voiture depuis Cabrières-d’Avignon, est aussi impressionnée par « cette femme si petite mais dotée d’une force incroyable. » La quinquagénaire raconte avoir été » profondément choquée » en apprenant les faits. « On constate l’ignorance sur la question de la soumission chimique. N’importe qui peut en être victime » , déplore-t-elle, tout en exprimant ses inquiétudes pour « les jeunes », qui risquent de se faire administrer le « GHB, la drogue du violeur ». Cependant, elle assure ne pas adopter un regard différent sur les hommes.
Dans l’attente, les discussions tournent autour de ce procès, certains le qualifiant même d’« affaire du siècle ». Toutefois, Eve, qui parle à une autre femme à ses côtés, ne partage pas cet avis. « En tant que gendarme, ça fait un moment qu’on en discute entre collègues, et je suis venue par curiosité. » Selon elle, il n’y a rien d’extraordinaire dans ce procès, si ce n’est l’ampleur du nombre d’accusés capturés simultanément : « C’est vraiment là que réside l’exception. Les faits en eux-mêmes ne sont malheureusement pas si inhabituels. » Elle loue le travail essentiel des enquêteurs et explique que fouiller les téléphones des suspects est désormais systématique pour tout délit à caractère sexuel. « Parfois, ça réserve des surprises… », ajoute-t-elle mystérieusement.
« Elle est comme une idole du public »
Les différentes générations interprètent le procès différemment. Les personnes âgées se renseignent par la presse locale et la télévision, tandis que les plus jeunes s’informent via les réseaux sociaux. Angélique, 33 ans, suit tout sur le réseau social X pour ne rien manquer. Elle a croisé certains accusés, comme Dominique Pelicot, lors de son travail de technicienne radio. « Les nouveaux arrivants au centre de détention d’Avignon passent systématiquement par la radiologie, », explique-t-elle. « Je ne savais pas de quoi ils étaient accusés à l’époque… Maintenant, tout fait sens. Ce que traverse Gisèle Pelicot me touche énormément », déclare-t-elle pendant que cette dernière passe devant le public sous les applaudissements.
« Elle a l’aura d’une rockstar », témoigne Nathalie, sociologue. Elle ne cache pas sa surprise de l’émotion qu’elle a ressentie quand Gisèle Pelicot a exprimé sa gratitude envers le public, évoquant les applaudissements du confinement. Contrairement à l’avocate célèbre Gisèle Halimi souvent mentionnée, c’est la victime, par son charisme, qui porte le procès.
« Dans ce procès, c’est la victime qui rayonne et non l’avocat, contrairement à ce que l’on pourrait attendre. »
Nathalie, maître de conférences en sociologieà 42mag.fr
Zoé, 22 ans, trouve judicieuse la décision de Pelicot de refuser le huis clos. Elle suit sa formation en droit en intégrant le contexte du procès. Elle fréquente sa camarade Marie, étudiante dans un autre domaine juridique à Aix-en-Provence. Les deux jeunes femmes échangent sur l’importance du procès dans la mouvance MeToo, le voyant comme un événement crucial pour la reconnaissance des victimes.
« C’est le procès de la lâcheté masculine »
«Voilà un procès qui suit le mouvement MeToo», déclare Marie, admirative du courage de Gisèle Pelicot, qu’elle décrit comme une «victime idéale». Ses révélations se fondent sur des centaines de preuves vidéo, une chance que n’ont pas toutes les victimes. Pour beaucoup, c’est leur parole face à celle de l’agresseur, et souvent, elles ne sont pas crues.

Sonia, fidèle parmi les fidèles, s’est rendue une dizaine de fois depuis son village voisin. Sa première venue, lors de l’interrogatoire de monsieur Pelicot, reste marquée dans sa mémoire. Elle le décrit comme un manipulateur, sûr de lui et orgueilleux. Et les hommes ? Jacques, un habitué du tribunal, explique la discrétion masculine. « Ils évitent les discussions autour de l’affaire, peut-être de peur d’une culpabilité genrée, » dit-il avec un sourire nerveux. Pour lui, malgré les apparences, ce ne sont pas les images qui l’intéressent mais bien les échanges judiciaires.
« Ce procès ne désigne pas tous les hommes comme violeurs, mais tous les violeurs présents sont des hommes. »
Jacques, retraitéà 42mag.fr
Jacques ressent un dégoût profond devant les faits. Comment peut-on éprouver du désir pour quelqu’un sous l’emprise de substances chimiques ? se demande-t-il. Walid, étudiant de 19 ans, partage ce dégoût et assiste aux audiences pour comprendre la défense des accusés. Marc, lui, éprouve une profonde colère après avoir écouté ces hommes. « Après les interrogatoires, il me fallait me défouler en faisant du sport, sinon ça aurait été insupportable, » admet-il.