Il s’agit d’un concept similaire à Airbnb, mais pour les automobiles : les sites internet dédiés à la location de voitures connaissent aujourd’hui un véritable engouement, avec plusieurs centaines de milliers d’utilisateurs à travers la France. Radio France, via son équipe d’investigation, met en lumière les aspects méconnus et les difficultés de ce secteur en pleine croissance.
Cela ressemble à un Airbnb pour voitures. Depuis environ quinze ans, la location de voitures s’effectue désormais via internet grâce à des plateformes spécialisées. Aussi bien les particuliers que les professionnels peuvent proposer leurs véhicules à louer sur ces plateformes. Cela offre aux utilisateurs des tarifs très compétitifs – généralement moitié moins chers que ceux proposés par les agences traditionnelles – et une grande flexibilité. L’utilisation est particulièrement simple et rapide : il suffit de télécharger une application et de procéder à sa réservation.
Actuellement, deux plateformes se divisent essentiellement le marché mondial : Turo et Getaround. Turo est la plus importante à l’échelle mondiale, avec un nombre impressionnant de plus de 3 millions d’abonnés. En revanche, Getaround domine le marché européen, totalisant 500 000 utilisateurs rien qu’en France. Autrefois, on recensait environ quinze plateformes françaises. Aujourd’hui, elles ont été absorbées par Turo et Getaround, illustrant un phénomène bien connu dans le secteur des startups : le « Winner Takes All », signifiant que le vainqueur décroche tout.
Du rêve anti-voiture à une entreprise florissante
Lors de la création des premières entreprises françaises dans ce domaine, il y avait CitizenCar, avec son concept de « voiture citoyenne ». David Laval, l’un de ses fondateurs, indique que, à l’époque, il était animé par une démarche écologique : « Personnellement, je suis assez opposé à l’usage de la voiture, c’est pourquoi nous pensions qu’en proposant ce genre de plateforme, nous encouragerions les gens à ne plus acheter de véhicule ». Cependant, cette vision d’un monde sans voitures n’a pas séduit les plateformes actuelles. David Laval observe même que, paradoxalement, ces plateformes ont encouragé les achats de véhicules. Au fil du temps, des propriétaires ont constitué d’importantes flottes de véhicules, allant parfois jusqu’à plusieurs centaines, pour les louer sur ces sites. Cela s’est transformé en un business lucratif.
Les dirigeants de Turo et de Getaround, quant à eux, n’ont pas particulièrement fait preuve de sensibilité environnementale. Turo a été fondée par Shelby Clark, un entrepreneur américain. Sur LinkedIn, il partage son parcours personnel. À la question « Qu’est-ce qui a motivé la création de Turo ? », la plateforme répond : « [Shelby] Clark cherchait une voiture de location pour Thanksgiving, mais la plus proche se trouvait à des kilomètres. Alors qu’il pédalait au milieu des rues enneigées, il se demandait pourquoi il ne pouvait pas emprunter l’une des nombreuses voitures stationnées qu’il côtoyait. » Concernant Sam Zaid, fondateur de Getaround, c’est « un extravagant » qui « même dans son bureau, marche pieds nus », et qui serait plus orienté vers la recherche d’investissements que vers les enjeux climatiques, selon un ancien associé.
Des expériences utilisateur risquées
La réussite commerciale de ces plateformes n’est pas exempte de critiques. De nombreux utilisateurs partagent des avis négatifs, comparant parfois les véhicules loués à de véritables « épaves », mettant leur sécurité en péril.
Sur Trustpilot, le 27 octobre 2023, Alexandre a relaté son expérience dramatique, intitulant son témoignage « J’ai failli mourir ». « Je roulais à 40km/h sur une route départementale droite, sans obstacle, pas de pluie ni d’eau sur la chaussée. Soudain, le véhicule ne répond plus, je perds le contrôle et me dirige vers les glissières de sécurité, écrit-il. La voiture a fait une rotation, heurté la glissière et s’est immobilisée verticalement sur la route. Par miracle, aucun camion n’est arrivé de face. »
Nous avons également recueilli les témoignages d’une centaine d’usagers insatisfaits. Arnaud Merlet, charcutier à Malakoff, n’a même pas pu conduire le véhicule qu’il avait loué via Turo pour les vacances d’été, tant son état était lamentable, avec des sièges brûlants et une carrosserie endommagée. De son côté, Ida, qui est enseignante à l’université de Nanterre et utilisatrice de Getaround en 2023, décrivait aussi un véhicule délabré et dangereux : « C’était une épave. Je suis tombée en panne. J’ai pris la voiture à 5h30 le matin, je suis tombée en panne sur le périphérique parisien à 6h10, porte d’Auteuil. Une des pédales a lâché. La voiture ne pouvait plus rouler ».
Réparations sous-évaluées et litiges
Dans d’autres cas, il y a des conflits entre locataires et propriétaires, ces derniers étant représentés par la plateforme. Turo et Getaround ne fonctionnent pas de la même façon sur ce sujet : Turo laisse le locataire face au propriétaire, alors que Getaround dispose d’un service d’expertise pour évaluer les impacts éventuels des locataires. Cependant, cette expertise se base uniquement sur des photos prises avant et après la location par l’usager.
Par exemple, la journaliste Lise Pressac avait loué une voiture en avril 2022 pour un mariage. Aucun souci, elle retourne la voiture et récupère sa caution. Mais une semaine plus tard, elle est informée d’un sinistre par Getaround, le propriétaire affirmant trouver « un dommage au pare-chocs arrière droit » avec une photographie à l’appui. « Cependant, on ignore quand la photo a été prise, explique Lise Pressac, cette voiture a pu être relouée entre-temps ! »
En fin de compte, après sept mois de relances, Getaround classe le dossier de Lise Pressac sans prélever la somme réclamée, excepté 40 euros de frais de dossier. Marie Reboul, responsable communication de Getaround en France, a expliqué que la bonne foi de la locataire n’était pas mise en doute.
D’autre part, plusieurs témoins racontent qu’épressé par les relances et les menaces, ils ont payé, même en étant sûrs de ne pas avoir endommagé le véhicule. Par exemple, en juin 2021, Romain a loué un utilitaire via Getaround pour transporter un lit sans problème, mais deux semaines après, le propriétaire lui a demandé 500 euros pour dess dommages non précisés. « Je me suis senti pris au piège et j’ai fini par payer car je pensais que l’argent serait prélevé automatiquement ».
Marie Reboul assure que tout est mis en œuvre pour éviter ces problèmes, incitant les utilisateurs à prendre plus de photos et signaler tout dommage préexistant avant et après l’utilisation des véhicules. Cependant, la détermination de la responsabilité repose souvent sur la qualité et la fiabilité des photos, pouvant créer des malentendus si celles-ci ne sont pas datées ou ne montrent pas les vraies conditions mécaniques du véhicule.
Problèmes liés aux boîtiers connectés et vols
Parmi les autres préoccupations des utilisateurs, on compte de nombreux cas de vols de véhicules malgré le système de sécurité proposé par Getaround, qui réside dans un boîtier connecté installé à l’intérieur de la voiture. Grâce à ce système, la remise en main propre des clefs n’est pas nécessaire. La voiture peut être déverrouillée via l’application Getaround, et la clef, laissée dans la boîte à gants, permet de désactiver la sécurité et démarrer le véhicule.
Paul, qui possédait quatre véhicules sur Getaround, a vu un de ses véhicules volé malgré cette sécurité. Pour lui, « les voleurs ont probablement manipulé le boîtier », car aucune vitre n’a été brisée. Bien que Getaround lui ait fourni la dernière localisation connue de son véhicule, cela n’a pas suffi pour le récupérer.
Un tutoriel circulant sur TikTok révélait comment trafiquer les câbles reliant le boîtier pour démarrer une voiture sans clef, par la méthode du « vol à la poussette ». Des propriétaires, tel qu’Augustine, se sont plaints de cette vulnérabilité, dont certains ont even conduit à recourir à des constats d’huissiers pour faire valoir la défaillance possible du système de sécurité.
En réponse, Getaround minimise l’ampleur du problème, affirmant que cela concerne 0,08 % des véhicules sur la plateforme et soulignant que le boîtier n’est pas un antivol en soi. Toutefois, Getaround a commencé à modifier ses boîtiers pour améliorer leur sécurité.
Plusieurs propriétaires envisagent de porter plainte, et aux États-Unis, des actions collectives ont déjà été engagées contre Getaround pour des affaires similaires, avec indemnisation des propriétaires.