Le ministère public de Paris a demandé une peine de cinq ans de prison et une interdiction de se présenter à des élections pour une durée de cinq ans à l’encontre de l’ancienne dirigeante du parti d’extrême droite.
Depuis l’annonce des réquisitions contre Marine Le Pen dans le cadre du procès concernant les assistants parlementaires du Front national, les réactions sont nombreuses. Le 13 novembre, le parquet a demandé une peine de cinq ans de prison, dont deux ans ferme avec possibilité d’aménagement, ainsi qu’une interdiction d’exercer une fonction publique pendant cinq ans pour la dirigeante du Rassemblement national. Marine Le Pen, jugée devant le tribunal de Paris avec 24 autres personnes, a exprimé sa consternation face à ce qu’elle décrit comme étant une accusation « d’une extrême sévérité ». Bien que la députée et chef de file du groupe RN à l’Assemblée nationale n’ait pas encore été condamnée, ses partisans crient à une manœuvre politique. La défense commencera ses plaidoiries lundi prochain, et le procès devrait se terminer le 27 novembre. Le verdict ne sera cependant pas rendu avant 2025. Voici un éclairage sur les questions que soulève cette possible inéligibilité de l’ancienne candidate à la présidence.
1 Quelle est la peine recommandée contre Marine Le Pen ?
Les procureurs ont demandé une peine de cinq ans de prison, avec deux ans de prison ferme, ainsi qu’une interdiction de cinq ans de participation à la politique pour Marine Le Pen. La peine proposée pourrait être aménagée, ce qui signifie que l’ex-chef du Front national n’irait pas en détention. En outre, le parquet a sollicité une amende de 300 000 euros à l’encontre de la députée du Pas-de-Calais, ainsi qu’une amende totale de 4,3 millions d’euros, dont 2 millions avec sursis, visant le Rassemblement national. D’autres personnalités politiques sont également concernées par ces réquisitions sévères, y compris l’eurodéputé Louis Alliot et le député Julien Odoul.
2 Pourrait-elle être empêchée de se présenter à l’élection présidentielle ?
Marine Le Pen est sous le coup de la loi « Sapin 2 », adoptée le 11 décembre 2016, qui impose automatiquement une interdiction d’exercer des fonctions publiques en cas de détournement de fonds publics. Si le tribunal juge Marine Le Pen coupable, il aura la possibilité, par décision motivée, de ne pas appliquer l’interdiction de se présenter aux élections. Néanmoins, les procureurs souhaitent cette interdiction immédiate, ce qui empêcherait Marine Le Pen de briguer la présidence en 2027.
En général, les peines prononcées sont en attente durant le processus d’appel, sauf si le tribunal en décide autrement. Cela a été le cas pour le procès Bygmalion, où Nicolas Sarkozy, malgré sa condamnation en appel à six mois de prison ferme, bénéficie d’une suspension de sa peine en attendant la décision de la Cour de cassation. Dans le dossier de Marine Le Pen, le parquet invoque la nécessité de « prévenir la récidive » et « protéger l’ordre public. » Devant la cour, le procureur Nicolas Barret a affirmé que « la loi s’applique à tous » et que les objectifs politiques ne peuvent influencer la justice. Il a ajouté qu’une peine doit être « rapide » pour être pertinente.
3 Comment Marine Le Pen a-t-elle réagi ?
Marine Le Pen a vivement réagi au verdict demandé. Elle a déclaré, « Le seul objectif du parquet était Marine Le Pen, dans le but de m’écarter de la vie politique, et le Rassemblement national, pour détruire le parti, » en quittant le tribunal. Elle a manifesté son intention d’interjeter appel si le jugement était défavorable.
Les autres élus du RN se sont alignés derrière leur ancienne candidate. Sébastien Chenu, le vice-président du parti, a critiqué « un parquet en mission politique » sur BFMTV. Jordan Bardella, le président du parti, a ajouté sur la plateforme X que « le parquet ne cherche pas la justice, mais s’acharne et venge Marine Le Pen. » Jean-Philippe Tanguy, présent au procès, a dénoncé sur France 2 des « réquisitions scandaleuses privant des millions de Français de leur choix en 2027, » qualifiant ces démarches « d’atteinte à la démocratie. » Plusieurs élus RN ont partagé des photos d’eux-mêmes avec Marine Le Pen sur les réseaux sociaux sous le hashtag #JeSoutiensMarine. Le parti a même lancé une pétition en soutien à sa figure de proue.
4 Que dit le reste de la classe politique ?
Les répercussions politiques de cette affaire ont entraîné une certaine prudence chez les dirigeants de la droite et du centre. Toutefois, Gérald Darmanin a écrit sur X qu’il préfère « affronter Madame Le Pen par le biais des urnes, non autrement ». Il estime que « si le tribunal juge qu’elle doit être condamnée électoralement, cela doit être avec l’avis du peuple, » plaidant pour éviter de « creuser davantage la fracture entre élites et citoyens » Mécontentement au sein du gouvernement. Le ministre de la Justice, Didier Migaud, tout en affirmant son impartialité dans cette affaire, a souligné sur CNews que « les magistrats sont indépendants » et basent leurs décisions sur la « loi établie par le Parlement. » Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, a exprimé sur RTL que Gérald Darmanin « n’aurait pas dû exprimer cette opinion ». De son côté, l’eurodéputé macroniste Pascal Canfin a qualifié les mots de l’ex-ministre de « non-conformes et contraires aux principes de base de notre Etat de droit ».
Sur le front de la gauche, cette situation a suscité l’indignation. Pour Olivier Faure, leader du Parti socialiste, les déclarations de Darmanin sont perçues comme un « clin d’œil inapproprié envers ceux qu’il cherche à séduire pour capter leurs électeurs ». Certains élus ont également critiqué Marine Le Pen pour cette « incohérence entre son discours constant sur un prétendu laxisme judiciaire et sa réaction outrée lorsqu’elle fait face à un acte d’accusation conventionnel pour des faits graves, » comme l’a noté Benjamin Lucas, député écologiste, sur X.
5 La législation française est-elle exceptionnelle en Europe ?
De nombreux pays européens ont mis en place des législations interdisant aux personnes condamnées de se présenter aux élections. Un rapport de Transparency International indique qu’en Allemagne, une personne condamnée à une peine d’un an ou plus perd automatiquement son droit de se présenter et d’être élue pour cinq ans, cette interdiction commençant après la fin de sa peine. En Irlande, toute personne purgeant une peine de plus de six mois est inéligible pendant la durée de sa condamnation, selon le site officiel du Parlement européen.
Au Royaume-Uni, une loi de 1981 prévoit que les individus condamnés à plus d’un an de prison sont exclus de toute éligibilité pendant leur incarcération, tout comme ceux reconnus coupables d’infractions électorales ou liées aux finances politiques. À l’opposé, certains pays comme la Suède et la Finlande n’imposent pas d’interdiction d’éligibilité automatique après une condamnation judiciaire.