Avec ce film, le metteur en scène réalise probablement l’œuvre la plus intime de sa carrière en racontant cette aventure.
L’odyssée intérieure de Xavier Beauvois
Après Albatros , Xavier Beauvois revient avec un nouvel opus cinématographique où il narre l’histoire d’un homme dérouté. Celui-ci trouve refuge sur le bateau installé dans son jardin et entame un Vendée Globe virtuel grâce à un jeu vidéo.
Cependant, cette aventure est avant tout un périple introspectif. Beauvois décrit le parcours d’un homme qui a perdu pied avec la réalité et sa famille, et dont cette aventure virtuelle devient un voyage autour de son propre univers. Un voyage initiatique qui le mènera à renouer avec lui-même et ses proches.
Quelques jours avant la sortie de La Vallée des fous, le 13 novembre 2024, nous rencontrons Xavier Beauvois à Paris. Habillé d’une chemise à motifs, d’une veste sans manches, et coiffé d’un bonnet, il est accompagné de son petit chien blanc, visible dans les dernières séquences du film. Tout en sirotant une limonade à la menthe, le cinéaste partage avec 42mag.fr Culture la genèse de ce film poignant et captivant.
Un Vendée Globe dans le jardin
42mag.fr Culture : D’où vous est venue cette idée d’un Vendée Globe depuis le fond du jardin ?
Xavier Beauvois : Je me plonge dans le jeu vidéo Virtual Regatta depuis près de vingt ans et y ai tenté quatre fois le Vendée Globe. Malgré toute ma diligence, je n’ai jamais obtenu mieux qu’une 65 000ème place sur un million de participants. C’est difficile ! À force de jouer, je me suis interrogé sur ceux qui remportent ces compétitions. L’idée d’organiser une course qui soit à la fois réelle et fictive m’a inspiré ce film.
La fascination pour le jeu
Qu’est-ce qui vous fascine tant dans ce jeu ?
Il offre un véritable sentiment d’évasion. On retrouve les conditions des vraies courses : mêmes vents, mêmes tempêtes. On y suit ses concurrents, et c’est à nous de prendre les décisions, comme contourner le "Pot au noir" ou prendre une route plus longue mais possiblement plus bénéfique à terme. Cela donne vraiment l’impression d’y être. Ce n’est qu’un jeu vidéo, mais il est exceptionnel. Je ne suis normalement pas amateur de jeux vidéo, mais celui-ci est spécial, et je suis déjà prêt à m’y replonger.
Imaginer des conditions réelles
Pensiez-vous qu’avec des conditions réelles de navigation, la victoire serait plus probable ?
Oui, peut-être, c’est une idée ridicule mais c’est ce que je me suis dit.
Une palette de thèmes
À partir de cette idée saugrenue, vous abordez des thèmes variés comme les traumatismes d’enfance, les relations familiales, la solitude, ou encore la gastronomie raisonnée. Comment cela s’est-il construit ?
Cela relève de l’écriture du scénario. Le point de départ était clair, mais il a fallu développer les personnages et les différents aspects de leur vie.
Explorer l’essentiel
Quel message souhaitiez-vous véhiculer, au-delà de cette aventure ludique ?
Je voulais montrer que des choses précieuses nous entourent souvent sans qu’on s’en aperçoive. Parfois, il est nécessaire de parcourir un chemin pour les reconnaître. Un spectateur a relevé une similitude avec Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge, et je trouve que c’est pertinent : le trésor était là, tout près. Et, il y a aussi ce besoin de faire une pause pour voir les choses plus clairement.
Une solitude paradoxale
Le protagoniste, Jean-Paul, se sent isolé bien qu’entouré. Ce paradoxe était-il intentionnel ?
Il est entouré comme les marins lors du Vendée Globe. Bien qu’ils soient seuls, une équipe veille sur eux, prête à assister en cas de besoin. Ils vivent cette solitude accompagnée.
Un récit de transformation
C’est aussi un voyage personnel, non ?
Il avait besoin de cette aventure. Sans ce détonateur, sa vie aurait sombré dans la routine, avec son restaurant en difficulté et sa propre existentialité. Il fallait un catalyseur, peu importe lequel, mais essentiel pour le changement.
Un sevrage inattendu
Le voyage de Jean-Paul est aussi celui d’un sevrage ?
Même sans le vouloir. Son père, interprété par Pierre Richard, a saisi l’occasion de le secourir subtilement. Ma propre expérience de tournage m’a mené à une clinique plutôt qu’à un bateau, et j’aborde maintenant la vie avec une boisson sans alcool.
Un film personnel
Ce film présente-t-il des aspects de votre vie ?
Évidemment, beaucoup.
La réalité revisitée
Votre film propose un regard particulier sur la réalité, pour quelle raison ?
C’est un aspect de notre époque, où la communication numérique surpasse parfois les interactions réelles. Je vois des situations où même les très jeunes sont absorbés par des écrans. Cela est inquiétant, et reflète un rapport flou à la vérité aujourd’hui.
La vérité à travers l’écran
Pourtant, c’est à travers un écran que vos personnages s’expriment sincèrement, non ?
Des vérités émergent, souvent après des conflits. Mais c’est finalement en face-à-face que père et fils parviennent à se comprendre réellement.
Un processus évolutif
Était-ce conscient, ces métaphores et ce symbolisme, lors de l’écriture ?
Le film évolue constamment. Je m’adapte à chaque étape, de l’écriture au montage, pour entendre ce qu’il a à dire.
Un lien avec le monde maritime
Le film établit-il un parallèle entre le cinéma et les courses en solitaire ?
Absolument. Naviguer et réaliser un film ont beaucoup de similitudes : recherche de financement, maîtrise du processus, et une aventure solitaire malgré une équipe. Les médias deviennent omniprésents, et l’expérience cinématographique engage le spectateur de manière active, tout comme un navigateur suivrait une course.
L’impact du silence
Le silence joue un rôle central dans vos films. Pourquoi est-ce important ?
Pour moi, le silence est précieux et expressif. Cela donne de la profondeur aux récits, permettant d’exprimer un océan d’émotions sans un mot.
Une direction subtile
Jean-Paul Rouve dit que vous dirigez par télépathie. Est-ce vrai ?
Jean-Paul est un talent naturel, il incarne ses rôles. Nous avons construit ensemble ce personnage, dans une relation quasi symbiotique, sans nécessité de longues discussions.
L’acteur et le réalisateur
Votre interaction avec Pierre Richard, comment était-ce avec lui dans ce film ?
Pierre Richard est un acteur exceptionnel, il suffisait de canaliser sa riche créativité. C’était un vrai plaisir de travailler avec lui.
Hommage aux navigateurs
Ce projet est-il aussi un hommage aux grands navigateurs ?
Oui, absolument. Jean Le Cam et Michel Desjoyeaux sont des légendes vivantes à mes yeux. Leur expertise a enrichi notre film, et partager une sortie en mer avec eux était un moment inoubliable.
Une œuvre introspective
Que représente ce film pour vous ?
On m’a dit que je m’ouvrais plus que dans mes précédents œuvres; c’est probablement mon film le plus introspectif jusqu’à présent.