Les parlementaires de La France insoumise estiment que la législation actuelle a été « détournée » de son objectif initial. Ils souhaitent que les déclarations de ce genre soient sanctionnées par le droit de la presse, comme c’était pratiqué avant l’année 2014. Cette proposition a suscité une vive réaction parmi les responsables politiques.
Tandis que la France s’apprête à marquer le dixième anniversaire des attaques de janvier 2015, qui ont ouvert une période sombre de terrorisme dans le pays, une proposition de loi présentée par La France insoumise concernant l’apologie du terrorisme rencontre une vive opposition. Cette proposition, déposée par le député Ugo Bernalicis et ses collègues le mardi 19 novembre, vise à réintégrer ce délit dans le cadre du droit de la presse, où il se trouvait initialement avant une modification en 2014. Selon Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée, cette loi, telle qu’elle est appliquée aujourd’hui, constitue une menace pour la liberté d’expression et l’État de droit, comme elle l’a affirmé ce dimanche sur BFMTV. Franceinfo détaille ici les enjeux de cette proposition et les réactions qu’elle a engendrées.
Renforcement de la législation en 2014
Auparavant encadrée par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’apologie du terrorisme a été isolée par une législation de 2014 pour être reconnue comme un délit à part entière dans le Code pénal. Cette démarche faisait suite à une augmentation des départs de jeunes depuis la France pour rejoindre le jihad en Syrie. L’intention était d’écarter ce comportement d’un cadre légal considéré trop clément, mis en place principalement pour protéger la liberté d’expression. La peine de prison maximale est restée de cinq ans, mais l’amende maximale est passée de 45 000 euros à 75 000 euros. En outre, les sanctions étaient accrues pour les propos tenus en ligne, atteignant jusqu’à sept ans de prison et 100 000 euros d’amende. Bien que la définition du délit ne fût pas modifiée, cette infraction est devenue un délit de droit commun, modifiant ainsi la procédure judiciaire, comme l’explique Christophe Bigot, avocat spécialisé en droit de la presse. Avec cette modification, le délai de prescription a été prolongé, de nouvelles techniques d’enquête ont été adoptées, et les inculpés ont pu être jugés par diverses juridictions, permettant parfois une comparution immédiate.
À l’époque, la Commission consultative des droits de l’homme s’était opposée à cette évolution, mettant en avant que certains mécanismes d’urgence n’étaient pas adaptés aux complexités des abus de la liberté d’expression, nécessitant un traitement à la fois strict et mesuré. Durant les débats à l’Assemblée nationale, cette disposition avait été contestée par plusieurs députés socialistes et écologistes, et même par certains élus de l’UMP. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur à l’époque, avait défendu une législation nécessaire en réponse à la stratégie médiatique des groupes jihadistes. Le Conseil constitutionnel avait appuyé cette décision en mai 2018.
Critique de La France insoumise concernant l’utilisation de cette infraction
La France insoumise critique aujourd’hui les dérives liées à cette approche légale de l’apologie du terrorisme. Ils questionnent : « Quelle démocratie peut encore se nommer ainsi si les instruments de l’antiterrorisme servent à opprimer des militants politiques, associatifs, journalistes ou syndicalistes ? », inscriptions figurant dans l’exposé des motifs de leur proposition. Ils citent, entre autres, Mathilde Panot, entendue par la police en avril après un communiqué de son groupe datant du 7 octobre 2023. Dans ce communiqué, une attaque du Hamas en Israël était décrite comme une offensive armée dans un contexte d’intensification de l’occupation israélienne des territoires palestiniens.
Mathilde Panot affirme cependant que la proposition n’est pas motivée par des intérêts personnels. « L’idée que nous souhaitons abroger le délit d’apologie du terrorisme est fausse. Nous voulons simplement le repositionner correctement. Notre unique intérêt est de promouvoir l’État de droit », a-t-elle déclaré sur BFMTV. La proposition vise à retirer du Code pénal l’article criminalisant l’apologie et la provocation d’actes terroristes, les laissant sous la législation sur la liberté de la presse, couvrant l’apologie de crimes, crimes de guerre ou contre l’humanité.
Réactions vives de tout le spectre politique
Cette initiative a provoqué un tumulte dans la sphère politique, y compris à gauche. Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, a déclaré sur X que le délit nécessitait une clarification pour éviter les excès. Il a soutenu la nécessité de protéger les libertés tout en préservant les citoyens du fanatisme et des incitations à la violence. Boris Vallaud, chef des députés socialistes, a affirmé que, dans un pays marqué par le terrorisme, la pénalisation de la provocation et apologie est essentielle à la lutte antiterroriste.
Didier Migaud, ministre de la Justice et ancien socialiste, s’est dit « extrêmement choqué » et « farouchement opposé » à cette proposition. « Baisser la garde face au terrorisme, très présent aujourd’hui, est incompréhensible. » Othman Nasrou, secrétaire d’État à la Citoyenneté, a qualifié la proposition de « honte absolue ».
« Cette proposition de loi est indigne, elle est une insulte aux victimes du terrorisme. »
Othman Nasrou, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieursur 42mag.fr
Bruno Retailleau a également critiqué cette proposition « inqualifiable », en incitant ceux à gauche avec conscience politique à se dissocier des Insoumis. Gabriel Attal, président du groupe EPR à l’Assemblée, a invité la gauche à se dissocier clairement de LFI, rappelant que c’était la gauche républicaine qui avait proposé la loi de 2014, essentielle pour la sécurité des Français. Au plein milieu des procès liés à l’assassinat de Samuel Paty, Attal qualifie la proposition de LFI d’insulte impardonnable.
L’avocat Richard Malka a qualifié sur 42mag.fr ce projet de loi d’absurde, reconnaissant l’existence de plaintes abusives, mais faisant remarquer que les juges sont là pour trancher. Retrancher tous les délits invoquant des plaintes sans fondement mènerait à un vide juridique, évoquant une insulte à la mémoire des victimes du terrorisme. Le Crif a également exprimé sa position, arguant que la République doit rester unie et ferme face au terrorisme.
En réponse aux critiques, Jean-Luc Mélenchon a défendu l’initiative sur X, accusant une agression de l’extrême droite reprise par les médias et le milieu politique officiel. Pour l’instant, la proposition de loi n’a pas été ajoutée à l’agenda de l’Assemblée nationale, même pas pour la session spéciale dédiée au groupe LFI. Le groupe insoumis prévoit de présenter la proposition d’abolition de la réforme des retraites, leur texte principal, lors de cette occasion parlementaire.