L’actrice est la pionnière qui a eu le courage de révéler publiquement les agressions sexuelles au sein de l’industrie cinématographique française et qui a choisi de mettre sa carrière entre parenthèses pour se consacrer à la défense des droits des personnes victimes.
Le cri de colère d’Adèle Haenel
« C’est la honte ! C’est la honte ! », s’écrie Adèle Haenel en quittant la cérémonie des César le 29 février 2020, en guise de protestation contre la remise du prix de la meilleure réalisation à Roman Polanski pour son film « J’accuse ». Précédemment, elle avait exprimé au New York Times : « Honorer Polanski, c’est insulter toutes les victimes. Cela signifie que violer les femmes n’est pas une offense majeure ».
L’actrice a brisé le mur du silence dans le cinéma français, favorisant l’élan du mouvement #MeToo en dénonçant publiquement les agressions sexuelles du réalisateur Christophe Ruggia, avec un impact non négligeable sur sa propre carrière.
Le silence brisé après de longues années
Les incidents remontent au tournage des « Diables ». Adèle, âgée de 11 ans, alors une passionnée de théâtre découverte par un heureux hasard lors d’un casting, accuse d’avoir subi les abus de Christophe Ruggia entre ses 12 et 15 ans lors de la préparation et du tournage de ce film sorti en 2002. Après ce traumatisme, elle tourne le dos au cinéma pour se consacrer à des études de commerce.
Comme beaucoup de victimes de violences sexuelles, elle est restée silencieuse jusqu’à ses aveux à Mediapart en novembre 2019. Bien que Christophe Ruggia conteste les accusations, Adèle Haenel reçoit un soutien massif de personnalités telles que Marion Cotillard et Julie Gayet. « Même si cela nuit à ma carrière », confie-t-elle au New York Times, « je suis convaincue d’avoir accompli quelque chose de bien pour le monde et pour mon intégrité ».
Un exemple à dénoncer
Les révélations surviennent alors qu’Adèle Haenel est en pleine ascension professionnelle, portée par son rôle dans le film de Céline Sciamma, « Portrait de la jeune fille en feu » (2019), explorant une romance entre deux femmes au XVIIIe siècle. Sorti récemment, le film a décroché le prix du scénario au Festival de Cannes.
Ce long-métrage s’est imposé comme une œuvre féministe majeure grâce à sa manière unique de représenter le désir, sans le biais du « regard masculin ». Bien que nommée pour le César de la meilleure actrice, l’Académie a aussi largement salué « J’accuse » de Polanski, provoquant l’indignation des féministes. Dans une interview à Mediapart en novembre 2019, elle déclarait : « La situation de Polanski est tristement emblématique ».
En février 2020, cette 45e cérémonie des César aurait pu être une autre soirée exceptionnelle pour l’actrice. Après avoir traversé une épreuve personnelle à l’adolescence, elle revenait au cinéma.
Six ans après « Les Diables », Haenel reprend le chemin des plateaux sous la direction de la cinéaste féministe Céline Sciamma pour « Naissance des pieuvres » (2007), incarnant une adolescente découvrant le désir.
Une carrière marquée par des rôles audacieux
Elle accumule des rôles forts, interprétant une prostituée dans « L’Apollonide : Souvenirs de la maison close » (2011) de Bertrand Bonello et une militante d’Act Up dans « 120 battements par minute » (2012) de Robin Campillo. Romain Cailley, l’ayant dirigée dans « Les Combattants » (2015) en jeune rebelle prête à affronter l’apocalypse, ne tarit pas d’éloges sur « son énergie et son charisme exceptionnel ».
Ce rôle lui vaut un deuxième César, après celui du meilleur second rôle pour « Suzanne » de Katell Quillévéré en 2014. Lors de son discours, elle dévoile publiquement son amour pour Céline Sciamma : « Parce que je l’aime ». C’est surtout avec le regard amoureux de Sciamma qu’elle illumine l’écran dans « Portrait de la jeune fille en feu ».
Sa sortie retentissante des César, en protestation contre la victoire de Roman Polanski, fait d’elle un symbole. Virginie Despentes loue la « guerrière » qui a permis aux femmes d’oser affirmer : « Nous nous levons et partons ! ». Adèle Haenel se détourne finalement du cinéma.
Ses adieux au septième art sont publiés dans Télérama en 2023, peu avant l’ouverture du Festival de Cannes. Dans sa tribune, elle critique « l’indulgence généralisée du milieu envers les agresseurs sexuels et son partenariat avec un ordre mondial raciste et écocide ».
Bien qu’éloignée des plateaux de tournage, elle n’a pas abandonné la comédie. Elle s’oriente vers le théâtre, travaillant avec la metteuse en scène contemporaine Gisèle Vienne, et poursuit son engagement à gauche contre les violences sexuelles, le racisme et le capitalisme.
Cinq ans après ses révélations, le procès d’Adèle Haenel contre Christophe Ruggia s’ouvre au tribunal. À 35 ans, elle est appelée à témoigner en tant que partie civile contre le réalisateur de 59 ans, dont le procès débutera le lundi 9 décembre. Le cinéaste, déniant les accusations, se retrouvera face à Haenel lors de l’audience au tribunal correctionnel, accompagnés chacun de leurs avocats.