Mercredi soir, l’Assemblée nationale a voté une motion de censure contre le Premier ministre, qui est en fonction depuis trois mois seulement. C’est une situation inédite depuis l’année 1962.
Un Premier ministre sur le départ
« Je n’ai jamais eu vraiment peur dans mon parcours politique », a déclaré Michel Barnier mercredi à l’Assemblée nationale, mais ses paroles semblent désormais s’apparenter à un adieu en tant que Premier ministre. Dans une tournure d’événements historiques, l’Assemblée nationale a approuvé une motion de censure contre son gouvernement le mercredi 4 décembre, marquant une première depuis 1962. Cette décision, devenue inévitable avec le soutien unanime des députés du Nouveau Front populaire (NFP) et du Rassemblement national (RN), contraindra Michel Barnier à remettre sa démission au président Emmanuel Macron jeudi matin. Bien que le dénouement soit attendu, il n’en demeure pas moins mémorable.
Dès le matin, une atmosphère inhabituelle règne au Palais-Bourbon. Les couloirs de l’Assemblée nationale sont envahis par un nombre impressionnant de journalistes, aussi bien français qu’internationaux. La journée s’annonce cruciale, deux motions de censure devant être soumises au vote : l’une déposée par le NFP et l’autre par le RN. Parmi les députés présents, rares sont ceux qui envisagent un revirement de dernière minute, tel que Marine Le Pen rebrousse chemin ou que les socialistes se détachent du NFP. Cependant, beaucoup ressentent que le sort du gouvernement Barnier est déjà scellé. « La motion est inévitable, chacun a dépassé le point de non-retour », glisse un collaborateur proche de l’ancien Premier ministre Édouard Philippe à France Télévisions.
Des railleries provenant de tous bords
Au fur et à mesure de l’après-midi, la tension ne fait que grimper parmi les élus du « socle commun ». Peu après l’adoption du budget pour la fin de l’année 2024, l’insoumis Éric Coquerel prend la parole pour défendre la motion de censure du NFP, invoquant la réforme des retraites comme principal argument. « Aujourd’hui, ce n’est pas seulement votre gouvernement que nous censurons, mais également le mandat du président », proclame-t-il, recevant une ovation de la gauche, alors que le centre réagit par des huées.
Marine Le Pen enchaîne ensuite pour soutenir la motion de son propre parti. « Ne pas censurer un tel budget relèverait de la politique du pire », répond-elle aux reproches des élus du socle commun qui l’accusent de semer le trouble. S’adressant à Michel Barnier, qui ne laisse rien transparaître, elle déclare : « Vous prétendez être surpris de cette issue, mais le véritable étonnement réside dans l’émerveillement d’un Premier ministre au courant que c’est dans ses propres rangs que dogmatisme et fermeture d’esprit ont empêché la moindre concession ».
Bien que Michel Barnier soit directement concerné, les mots de la députée du Pas-de-Calais sont en premier lieu destinés à Emmanuel Macron. Face à une « défiance populaire », elle souligne qu’il incombe au président de décider s’il est encore à même d’assurer sa fonction. Boris Vallaud, chef des socialistes, se projette déjà dans l’après-Barnier et questionne les soutiens d’Emmanuel Macron. Souhaitent-ils négocier avec une gauche critiquée mais partageant certains idéaux républicains ou continuer à céder aux exigences de Marine Le Pen?
Quel avenir choisissons-nous?
En réponse, le « socle commun » tente de persuader les députés RN et socialistes de renoncer à la censure. Laurent Wauquiez s’adresse directement à Marine Le Pen, l’appelant à se ressaisir pour éviter de perpétuer le souvenir d’une alliance inédite et cynique qui plongerait le pays dans l’instabilité.
Puis, Cyrielle Chatelain et Marc Fesneau prennent le relais, mais de nombreux députés quittent l’hémicycle. Michel Barnier, quant à lui, reste stoïque, ajustant minutieusement les dernières lignes de son discours. Les interventions successives évoquent l’ampleur historique de cette journée, car la dernière motion de censure adoptée remonte à 1962. Gabriel Attal, représentant le camp macroniste, questionne l’assemblée : « De quel côté de l’histoire voulons-nous être ? Le temps est venu de transcender nos divergences et d’honorer nos responsabilités », prononce-t-il avec lyrisme, mais sans obtenir de résultat.
Une sortie en tribune
Michel Barnier monte finalement à la tribune, affichant son passé de négociateur en chef du Brexit, pour vanter sur un ton neutre les bénéfices de son budget de la Sécurité sociale, tout en exprimant sa gratitude envers ses ministres. Avant de conclure, il s’en prend aux socialistes, les accusant de vouloir le censurer avant même qu’il n’ait pu s’exprimer. Après son discours, qualifié par certains de discours d’adieu, une ovation se lève du côté de ses fidèles, tandis que le moment du vote approche.
Un parlementaire du centre, en anticipant le résultat, prévoit : « C’est fait, environ 320 voix pour ». Pendant ce temps, Michel Barnier retourne à Matignon, acclamé par les membres de son cabinet, avant de leur exprimer ses regrets : « Je suis désolé de vous avoir entraînés dans cette aventure ».
La suite de l’histoire
Après 45 minutes, la présidente de l’Assemblée nationale annonce les résultats : 331 députés ont voté pour la censure, un chiffre bien supérieur aux 288 voix requises. Michel Barnier, stoïque, accepte ce verdict. Des acclamations éclatent chez LFI, tandis que le RN reste silencieux, et l’hémicycle se vide lentement.
Dans les couloirs du Palais-Bourbon, une foule d’élus et de journalistes se rassemble. Le ministre de l’Intérieur, pour des raisons logistiques, annule son point-presse prévu, tandis que Mathilde Panot, figure de LFI, s’adresse aux médias.
Paul Vannier, député insoumis, s’exclame : « L’histoire suit son cours ! C’est une victoire pour nous, le NFP et LFI ». Sa collègue socialiste Béatrice Bellay décrit ce moment comme un instant de responsabilité, adressant un message clair au président. Nombreux sont ceux, à l’instar du député RN Thomas Ménagé, qui envisagent déjà l’avenir du président, lui prophétisant un remaniement, une dissolution dans six mois, ou même sa démission. Marine Le Pen, sollicitée sur TF1, promet de ne pas fléchir face au prochain Premier ministre, tandis que la gauche espère voir l’une de ses figures désignée à Matignon.
Du côté du socle central, règne un sentiment de défaite. Antoine Armand, ministre de l’Économie sortant, accuse via les réseaux sociaux le RN et le NFP d’avoir uni leurs efforts pour déstabiliser la France. Les partisans d’Emmanuel Macron espèrent une rapide réaction de sa part, alors qu’il vient d’arriver d’Arabie saoudite. Une annonce présidentielle interviendra jeudi à 20 heures, moment choisi par le chef de l’État pour peut-être nommer le successeur de Michel Barnier à Matignon. Plus tôt dans la journée, le Premier ministre déchu présentera sa démission, marquant ainsi la fin de son bref passage à la tête du gouvernement de la Ve République.