Jeudi soir, le président de la République a abordé sa décision prise au début de l’été de dissoudre l’Assemblée nationale. Il a admis que cette décision n’avait pas été « comprise », bien qu’il n’ait pas présenté de véritables excuses.
« Je ne comprends pas comment Emmanuel Macron ne parvient pas à saisir que les Français ne saisissent pas », plaisante un député de la majorité présidentielle. Cette incompréhension semble se focaliser sur une décision clé : la dissolution de l’Assemblée nationale. Dans son discours du jeudi 5 décembre, le président de la République a abordé le sujet de la censure du gouvernement dirigé par Michel Barnier, en affirmant qu’un nouveau Premier ministre serait nommé « dans les prochains jours ». Il est également revenu longuement sur sa décision prise le 9 juin d’utiliser l’article 12 de la Constitution pour appeler à des élections législatives anticipées.
Bien qu’il ait défendu ce choix comme une mesure « inévitable » suite aux résultats des élections européennes et à la progression historique du Rassemblement National (RN), Emmanuel Macron a admis que cette « décision [n’avait] pas été comprise ». « Nombreux sont ceux qui me l’ont reprochée, et nombre d’entre eux continuent », a-t-il ajouté. « Le président a tenté de justifier cette dissolution, mais cela n’a pas convaincu l’opinion publique. Pour une majorité de Français, c’est lui qui est à l’origine de cette situation », observe Mathieu Gallard, directeur d’études d’Ipsos. Selon un sondage réalisé par Odoxa pour Le Figaro, daté du 5 décembre, 46% des Français considèrent Emmanuel Macron comme responsable de la situation actuelle, très loin devant le RN (11%) et le Nouveau Front populaire (10%). Mathieu Gallard ajoute que « le mea culpa du président est très limité, car il suggère que c’est l’opinion qui n’a pas compris ses intentions. Ce n’est pas la position idéale pour séduire les Français ».
« Un échec monumental »
Au sein de la majorité présidentielle, personne ne s’attendait à ce que le chef de l’État admette une erreur stratégique. « Je ne pensais pas qu’il ferait un mea culpa », sourit Eric Bothorel, député d’Ensemble pour la République (EPR). « Je l’ai rencontré cet été, et il n’avait à aucun moment laissé entendre qu’il faisait une concession en reconnaissant que c’était une mauvaise idée. Hier soir n’aurait pas été le moment pour lui de le faire non plus ». Cependant, Mathieu Gallard note que la dissolution « est l’erreur initiale qui a conduit à l’absence totale de majorité et à une instabilité gouvernementale ». Emmanuel Macron, qui voyait dans la dissolution un « temps de clarification indispensable », se retrouve avec un gouvernement censuré peu après sa nomination et une Assemblée divisée en trois blocs irréconciliables. De plus, il ne peut pas dissoudre à nouveau la chambre basse avant l’été suivant. Une crise politique sans précédent sous la Ve République.
« C’était insensé d’organiser une élection législative juste après des européennes perdues. En politique, il y a des dynamiques à respecter. Et cette dynamique lui était totalement défavorable », évalue Marine Le Pen, présidente du groupe RN, dans un documentaire diffusé jeudi par France Télévisions. « C’est un échec monumental », critique sévèrement Patrick Kanner, responsable des sénateurs PS, en ajoutant que « [Michel] Barnier avait été présenté comme un candidat durable ». Le résultat : l’ancien commissaire européen devient le Premier ministre le plus brièvement en poste depuis 1958.
« Personne ne peut dire que la dissolution était une brillante idée, avec 100 députés de moins pour notre camp et tout ce désordre », admet un proche d’Emmanuel Macron, qui pourtant avait passé l’été à défendre le choix du président. Il convient de rappeler que de nombreux macronistes ont critiqué amèrement cette décision. « Emmanuel Macron a modernisé la France, a renforcé l’attrait de notre pays, et il a tout compromis en une seule soirée, sur un coup de tête, sans consulter qui que ce soit », commente sévèrement Jean-François Copé sur 42mag.fr.
« Ce n’est pas une simple erreur tactique qu’il a faite. Il a mis le pays à genoux ».
Jean-François Copésur 42mag.fr
Les répercussions dépassent largement l’image ternie d’un président. « On ressent que [Emmanuel] Macron a perdu de son aura », observe un député influent d’EPR. Aujourd’hui, l’idée d’une démission anticipée du président – malgré son opposition exprimée clairement lors de son allocution – circule non seulement au sein de LFI ou du RN, mais également chez certains centristes. « Une majorité de Français souhaitent maintenant qu’il se retire. Ce n’était pas le cas avant la dissolution », constate Mathieu Gallard.
« Il n’y a rien à perdre à demander l’opinion des gens »
Avec la dissolution, Emmanuel Macron expliquait vouloir « rendre le choix » à la population française, engageant ses soutiens dans une campagne rapide et éprouvante. Quatre mois plus tard, cet argument reste à l’ordre du jour parmi ses partisans. « Certains peuvent penser que c’était une bêtise, une erreur politique, mais il n’y a jamais à perdre à solliciter l’avis du peuple. Les Français sont divisés en trois groupes qui ne communiquent pas. C’est le reflet de la société », commente un conseiller de l’exécutif. « Il est facile de rejeter la faute sur le président, mais les résultats viennent des élections. Nous devons faire avec ce que les Français ont voté », appuie Eric Bothorel, estimant que les résultats électoraux ne peuvent être imputés à Emmanuel Macron.
« Une fois que la décision de dissoudre est actée, le résultat final appartient aux Français et aux Françaises, à leur libre expression ».
Eric Bothorel, député macronisteà 42mag.fr
Cependant, Patrick Kanner, leader socialiste, pense que les résultats sont en partie dus à une mauvaise évaluation du président. Le camp de Macron, forcé de se mobiliser en peu de temps, comptait sur les divisions de ses adversaires à gauche. « Emmanuel Macron espérait sérieusement que l’opposition virulente de Jean-Luc Mélenchon face à Raphaël Glucksmann lors des européennes empêcherait un nouvel accord électoral, mais nous avons su nous unir », avance le chef des sénateurs PS.
En appelant des élections anticipées, le président visait surtout à éviter une motion de censure prévue à la rentrée. « L’équilibre au Parlement devenait de plus en plus fragile, les oppositions ayant exprimé à plusieurs reprises leur intention de voter une motion de censure à l’automne », a-t-il expliqué lors d’une conférence de presse deux jours après l’annonce inattendue de la dissolution. « La censure est notre moyen de pression fiscale », avertissait dès le mois d’avril Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée, dans Les Echos.
Empêcher une motion de censure à l’automne, un argument qui n’a pas convaincu électeurs
« La censure était prévue pour le 15 octobre, Olivier Marleix la brandissait quotidiennement », rappelle François Patriat, sénateur pro-Macron, de Côte-d’Or. « Vaut mieux opter pour une dissolution décidée que subir une dissolution à l’automne, laissant l’agenda nous être imposé », relate-t-il. « Emmanuel Macron croit qu’il faut être en mouvement, prendre l’initiative et ne pas subir les événements », explique un proche. « Il a choisi : ‘Je dissolue et j’essaie de susciter une dynamique’ plutôt que d’attendre d’être contraintes à l’action. Son analyse était peut-être erronée après coup, car les Français l’ont tenu responsable du chaos. Il n’aurait peut-être pas été perçu ainsi s’il avait été ciblé par une motion de censure plus tard ». Un autre récit était donc possible si Emmanuel Macron n’avait pas été à l’origine de cette mesure.
Pour Mathieu Gallard, l’argument d’une censure imminente n’a pas convaincu le public. « Ce n’est pas un argument fort pour les Français ».
« L’idée d’une motion de censure inévitable par LR cet automne n’était pas perçue très clairement par les citoyens français ».
Mathieu Gallard, directeur d’études chez Ipsosà 42mag.fr
Depuis 2022, la droite menaçait fréquemment avec des motions de censure successives contre les gouvernements d’Élisabeth Borne puis de Gabriel Attal, mais cela ne l’avait pas empêché de soutenir majoritairement l’exécutif lors des votes, notamment lors de la réforme des retraites.
Dans les rangs présidentiels, certains croyaient qu’en l’absence de changement, la droite finirait par voter la censure en raison de la pression budgétaire croissante et des révélations continues sur la gestion publique. « Avec la réalité des finances publiques devenant visible, la motion serait passée, mais le timing était mal choisi, c’était hâtif », évalue l’ancien député MoDem Bruno Millienne.
Avec l’adoption de la motion contre le gouvernement de Michel Barnier, le scénario que le président redoutait s’est matérialisé. « Tout ça pour finir là… Aucune clarification vue là-dedans”, ironisait un député du centre après le vote de mercredi soir. Éclipsé depuis la rentrée, Emmanuel Macron redevient un acteur visible de la scène nationale après la chute de son Premier ministre, au risque de cristalliser à nouveau les tensions autour de sa personne.