Lundi, a été annoncée la formation du nouveau gouvernement dirigé par Bayrou, qui se distingue par l’absence de la gauche parmi ses membres. Cependant, il intègre quelques figures influentes du camp de Macron. Cette situation rappelle celle sous la direction de Michel Barnier, où le groupe de Marine Le Pen occupe encore une fois un rôle clé en tant qu’arbitre.
« Des figures déjà bien connues, des personnes qui ont été des leaders ou qui ont connu des revers. Aucun jeune socialiste parmi eux. Un ensemble en total décalage avec la nouvelle Assemblée nationale après sa dissolution », déplore une députée influente du centre, suite à la formation du gouvernement par François Bayrou. Fraîchement nommé Premier ministre, François Bayrou a réussi à respecter son engagement de former un gouvernement avant les fêtes de fin d’année, bien que ce fut in extremis. Le lundi 23 décembre, en début de soirée, la composition du nouveau gouvernement de 35 ministres a été rendue publique. Incontestablement, la gauche tout autant que le Rassemblement national ont exprimé leur désaccord avec le choix des membres du gouvernement, et les critiques ont aussi fusé du côté des Républicains, qui étaient autrefois des alliés fidèles de Michel Barnier.
Avec Gérald Darmanin à la Justice, Elisabeth Borne à l’Education nationale, Aurore Bergé en charge de l’Egalité entre hommes et femmes, et Amélie de Montchalin au Budget, des visages bien connus du macronisme font leur retour dans la sphère gouvernementale. La nomination de Manuel Valls à la tête du ministère des Outre-mer, un ancien socialiste, a également suscité de nombreux commentaires. « Ça ressemble à s’y méprendre à une assemblée de dinosaures qui pourrait bien sonner le glas de la Ve République », commente un conseiller parlementaire auprès de France Télévisions.
« Un gouvernement à la saveur du passé »
Le centriste âgé de 73 ans a rencontré des difficultés à diversifier son entourage et à intégrer de nouvelles personnalités, d’où une continuité remarquable avec le gouvernement précédent dirigé par Barnier. La moitié des ministres du nouveau cabinet font en effet déjà partie de la précédente équipe renversée le 4 décembre par l’Assemblée. Parmi les nouveaux visages, un tiers ont déjà assumé des rôles ministériels sous Emmanuel Macron. « C’est quasiment un Barnier II, car François Bayrou s’inscrit dans un cadre politique semblable », commente le constitutionnaliste Benjamin Morel. La suite s’annonce complexe », ajoute-t-il.
Dans l’équipe de Barnier, Les Républicains (LR) et Renaissance avaient respectivement 10 et 11 ministères, tandis que le MoDem en comptait trois. Avec ce nouveau gouvernement, le parti présidentiel reprend une certaine domination avec 12 portefeuilles ministériels, contre six pour Les Républicains. Le MoDem, sous la présidence de François Bayrou, se voit attribuer seulement deux ministères : les Affaires étrangères et les relations avec le Parlement.
Aucun représentant du Parti socialiste ne rejoint ce nouveau cabinet. François Bayrou a cependant réussi à intégrer Manuel Valls, François Rebsamen et Juliette Méadel, tous anciens ministres sous François Hollande. L’Elysée avait pourtant espéré convaincre des socialistes d’intégrer ce gouvernement après la chute de Barnier, mais Bayrou n’a pas réussi à obtenir autant de diversité qu’il l’escomptait, souhaitant idéalement avoir un tiers de représentants de chaque sensibilité politique : droite, gauche et centre.
« Un exécutif composé de personnalités désavouées par les urnes ayant conduit notre pays à la dérive… avec l’aval de Marine Le Pen et du RN », a insisté Mathilde Panot, cheffe des députés de la France insoumise, qui a déjà annoncé sa volonté de déposer une motion de censure contre le gouvernement Bayrou dès la reprise parlementaire en janvier. « Ce n’est pas un gouvernement, c’est une provocation. Une droite ultra sous la surveillance de l’extrême droite », a condamné Olivier Faure, leader du Parti socialiste, sur les réseaux.
Les prises de position de Xavier Bertrand, une bombe à retardement ?
Un accord de non-censure s’éloigne de jour en jour. « Vu les retours des socialistes, il sera très ardu pour eux de ne pas voter la censure. De plus, le virage à droite que prend l’exécutif avec Retailleau à l’Intérieur et Darmanin à la Justice, après l’ancien socialiste Didier Migaud, ne facilite pas la tâche », souligne Benjamin Morel.
« Cela repositionne le RN comme un acteur central. Ils n’imposeront pas de censure tant qu’ils n’y voient pas d’intérêt. »
Benjamin Morel, constitutionnalisteà 42mag.fr
Lundi soir, le RN restait critique, sans menacer directement d’une motion de censure pour l’instant. Selon Marine Le Pen, le gouvernement Bayrou « repose, comme le précédent, sur une légitimité fragile et une majorité introuvable ». Elle a averti sur les réseaux sociaux que le gouvernement devra « modifier son approche, dialoguer avec les oppositions pour établir un budget qui reflète les choix des urnes ».
Marine Le Pen a-t-elle œuvré en coulisses ? Une heure avant les annonces ministérielles, Xavier Bertrand, pressenti pour un poste, déclinait toute participation. « Je refuse d’intégrer un gouvernement formé avec l’assentiment de Marine Le Pen », a déclaré le président LR des Hauts-de-France. « Ce message sera un poison lent. À partir de quel moment les députés élus avec le soutien du front républicain, vont-ils finir par soutenir un gouvernement dépendant du RN ? », se demande Benjamin Morel. Dans les entourages ministériels, on pense de même.
« Chacun s’accorde à dire que c’est un échec de ne pas avoir rompu avec la dépendance au RN et que cela ne tiendra que quelques mois. L’annonce de Xavier Bertrand a d’ores et déjà sapé les fondements du gouvernement Bayrou. »
Un conseiller ministérielà 42mag.fr
« Aucune pression n’a été exercée sur moi », a affirmé François Bayrou sur BFMTV. « Xavier Bertrand suggérait une approche que je considérais trop radicale pour la Justice », a-t-il expliqué. Roland Lescure, vice-président de l’Assemblée et ancien ministre sous Macron, a également refusé, se disant vigilant quant à « l’indépendance du gouvernement vis-à-vis du RN », selon ses proches à 42mag.fr.
« Laurent Wauquiez remet en cause la stratégie du Premier ministre »
Face à l’absence de soutien de la gauche, François Bayrou doit aussi gérer un soutien faiblissant de la droite. Les relations avec le partenaire central LR semblent tendues, car leur influence diminue de moitié dans cette nouvelle équipe, bien que Bruno Retailleau soit ministre d’Etat. La droite a pourtant obtenu du Premier ministre un engagement écrit sur des « économies » budgétaires et encourager le « plein emploi », conditions à leur participation au gouvernement. Toutefois, cela ne semble pas suffisant.
Laurent Wauquiez, à la tête des députés LR, a renoncé à faire partie de la nouvelle équipe, faute d’avoir obtenu le poste convoité aux Finances. Suite à la présentation du gouvernement, il laisse entendre qu’il pourrait en retirer son soutien. « Laurent Wauquiez n’adhère pas à la méthode du Premier ministre et regrette notre moindre représentation », explique une parlementaire LR.
« Notre soutien au gouvernement sera exigeant, évaluation par évaluation, et nous pourrions partir si nos attentes ne sont pas satisfaites ».
Une parlementaire LRà 42mag.fr
Certains élus de droite ont déjà décidé de passer à l’opposition. « Après avoir temporairement soutenu Michel Barnier, je reviens dans l’opposition », a prévenu sur X le sénateur LR Cédric Vial. « L’alliance centrale s’effrite, rendant les tensions plus vives », note Benjamin Morel. Après la formation complexe du gouvernement, François Bayrou et ses ministres doivent s’atteler à une tâche tout aussi ardue : élaborer le budget du pays.