Trois organisations politiques de gauche ont soumis une première motion de censure contre le nouveau gouvernement, et celle-ci est étudiée ce jeudi. Cependant, elle semble promise à un échec, car le Rassemblement national prévoit de s’abstenir lors du vote.
Sauf événement spectaculaire, l’administration dirigée par François Bayrou devrait finir le mois de janvier sans encombre. Dans un contexte où une majorité stable à l’Assemblée n’est plus garantie, cet accomplissement mérite d’être noté depuis la dissolution de juin 2024. Nommé en septembre dernier, Michel Barnier a été contraint de quitter ses fonctions à Matignon peu avant Noël. Une motion de censure a été proposée le mardi 14 janvier, à la suite du discours de politique générale énoncé par le Premier ministre, et sera discutée ce jeudi à 15 heures. Trois des quatre groupes de la gauche souhaitent appliquer la même sanction à celui qui succédera à Barnier.
Pourtant, il semble très probable que le dirigeant de Pau conserve sa position… au moins jusqu’au passage en revue des propositions budgétaires. Un membre de l’exécutif affirme qu’il n’y a pas de risque imminent ce jeudi. « Il n’y a pas de suspense », complète Marina Ferrari, députée et ancienne membre du MoDem. Nous sommes dans une situation similaire à celle de Michel Barnier, qui a été confronté à une motion de censure après sa déclaration de politique générale, mais la motion avait échoué.
À cette époque, le Rassemblement national avait opté contre la censure du Savoyard dès son entrée en fonction, choisissant de réviser sa position après quelques semaines. Le groupe de Marine Le Pen maintient cette ligne avec le cabinet Bayrou : aucune censure anticipée.
« Les ambitions seront élevées »
Seul élément nouveau dans la situation actuelle, le Parti socialiste qui, après de longues discussions avec François Bayrou et son équipe, ne prendra sa décision que jeudi, selon des informations de France Télévisions. Indépendamment de leur choix, la décision des députés socialistes ne modifiera pas l’issue du vote : sans l’appui du RN, les 289 voix nécessaires pour faire chuter le gouvernement ne pourront être atteintes.
Cependant, Matignon doit se préparer à d’autres défis, à commencer par les lois budgétaires qui n’ont pas été adoptées à l’automne. C’est notamment sur le projet de financement de la Sécurité sociale que le gouvernement Barnier a échoué, le 4 décembre. L’examen de ces lois cruciales pour la nation a repris mercredi au Sénat, avec les discussions sur le projet de loi de finances, et reviendra bientôt à l’Assemblée dans les prochaines semaines.
« Nous nous trouvons à un moment charnière marqué par de grandes attentes concernant le budget », déclare Paul Christophe, député Horizons et ex-ministre. « C’est le passage le plus délicat », confirme David Amiel, élu d’Ensemble pour la République.
« Le véritable enjeu sera sur le budget. C’est un test pour François Bayrou afin de voir si sa méthode fonctionne. »
Un membre du gouvernementà 42mag.fr
Dans ce cadre, l’équipe gouvernementale devra justifier ses décisions face à une situation budgétaire complexe. « Nous faisons face à une situation unique et préoccupante », a alerté Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, ce mercredi sur LCI. Le gouvernement envisage de réduire de plus de 30 milliards d’euros les dépenses, avec une cible de déficit pour 2025 fixée à 5,4 % du PIB.
Un « fusil à blanc » pour le RN ?
L’administration Bayrou ne s’arrête pas là. Les discussions avec les socialistes vont continuer aussi bien sur le budget que sur la réforme des retraites. Un forum social avec les partenaires sociaux a été organisé pour la première fois ce vendredi. Une modification de la réforme passée grâce à l’article 49.3 en 2023 pourrait être envisagée. Si cela venait à se produire, cela pourrait contrarier la droite et une fraction du camp présidentiel, cette réforme portant les signes du deuxième mandat présidentiel étant devenue un symbole pour les soutiens du président.
« Les progrès réalisés lors de ce conclave social influenceront les discussions budgétaires et leur niveau de tension », craint un conseiller ministériel. Pour celui-ci, « il sera nécessaire que quelqu’un consente à céder du terrain, et je pense que ce sera le Premier ministre pour rester à Matignon. »
Alors le chef du gouvernement pourrait-il consentir davantage à l’égard des socialistes ? « Il est indispensable d’avoir une discussion sérieuse avec les socialistes », souligne Richard Ramos, député MoDem, qui redoute qu’en cas d’échec des négociations, son parti se retrouve dans la même situation que le cabinet Barnier.
« Nous n’avons pas le choix : nous devons engager un dialogue avec les socialistes, sinon nous risquons de dépendre du RN. »
Richard Ramos, député MoDemà 42mag.fr
« En adoptant une ligne de non-censure, les socialistes offrent un ‘pistolet à blanc’ au RN », explique un autre député du MoDem. Par ailleurs, le groupe de Marine Le Pen joue la montre. « Nous pourrions nous réserver pour voter la censure sur d’autres actes budgétaires… Nous attendons leurs actions », déclarait mardi devant la presse Sébastien Chenu, député RN du Nord. Le verdict dans l’affaire relative aux assistants parlementaires du Front national, qui doit être rendu le 31 mars, pourrait peser sur le RN, alors que Marine Le Pen pourrait potentiellement être disqualifiée pour la présidentielle de 2027.
La vision à long terme
Malgré les échéances et les exigences des oppositions, les partisans de François Bayrou croient que la crainte d’une instabilité poussera à la fois le PS et le RN à ne pas soutenir la censure. Marina Ferrari se montre « moins sceptique que pour le gouvernement Barnier », car « les répercussions ont été ressenties sur le terrain, en particulier pour ceux qui ont voté la censure, face à la pression des milieux économiques ».
« Si les socialistes passent à la censure une nouvelle fois, cela constituerait une erreur politique majeure. Sur le terrain, ils ont compris que les Français n’avaient pas perçu positivement la censure de Barnier », analyse un autre député MoDem. Les partisans du gouvernement de Bayrou espèrent que l’électorat du RN sera moins enclin à la censure ou que les socialistes se retrouveront isolés à gauche, comme le souligne Benjamin Morel, spécialiste en droit constitutionnel.
Ferrari se félicite par ailleurs que le plan de discuter du budget soit plus court que celui concernant les partenariats sociaux pour les retraites. « Nous pourrons finaliser le budget sans subir de censure grâce aux négociations en cours avec les syndicats. La fenêtre pour le budget est mi-février, tandis qu’ils annoncent trois mois pour les discussions sociales », explique-t-elle.
« François Bayrou avait une chance infime, mais il a réussi. Il s’est accordé du temps, ce qui était essentiel. »
Marina Ferrari, députée MoDemà 42mag.fr
Si l’équipe Bayrou échappe à la censure sur le budget, nombreux sont ceux qui espèrent une stabilité prolongée. « Si nous passons cette étape et que l’été s’annonce, je ne vois aucune raison de censurer, surtout avec les municipales en vue [en mars 2026] et le risque d’une dissolution potentielle », anticipe Ludovic Mendes, député EPR. Ce serait un scénario avantageux pour les partisans d’un gouvernement qui reste cependant dépendant de la stratégie adoptée par les oppositions.