Mardi, le Premier ministre présente son programme aux Français devant l’Assemblée nationale. Bien que cet exercice soit une tradition institutionnelle, il prend place dans une situation politique sans précédent.
Ce discours promet d’être « capital et très significatif pour lui », selon l’un de ses collaborateurs. Matignon confie : « Il est concentré et serein ». Ce mardi 14 janvier à 15 heures, François Bayrou prendra la parole à l’Assemblée pour présenter sa déclaration de politique générale. Bien que cet exercice ne soit pas formellement inscrit dans la Constitution, il constitue un incontournable pour tout nouveau Premier ministre.
Fraîchement nommé à Matignon depuis un mois, le Béarnais va présenter son programme dans un contexte politique sans précédent. Il doit en effet faire face à un Parlement divisé en trois factions principales, qui ont précédemment censuré le chef du gouvernement précédent, Michel Barnier. De plus, ce discours se déroule sur fond de crise budgétaire, la France n’ayant pas encore adopté de projet de loi de finances pour 2025.
Que va-t-il donc annoncer aux parlementaires et aux citoyens ? Selon Marina Ferrari, ancienne ministre MoDem, « aucune information ne filtre ». Son ancienne collègue Geneviève Darrieussecq, figure centrale du parti centriste, déclare ne pas avoir eu d’échanges depuis sa sortie du gouvernement : « Je ne vais pas me livrer à un forcing à Matignon pour en savoir davantage », plaisante la députée des Landes. Plusieurs proches de François Bayrou, qui ne se trouvent ni au gouvernement ni dans son cabinet, affirment ne pas avoir eu de conversation avec le chef depuis sa prise de fonctions. Fidèle à sa réputation de maître du silence, François Bayrou n’a révélé aucun indice sur le contenu de son discours.
Le groupe restreint autour de François Bayrou
Il a cependant pris le temps de consulter diverses forces politiques, ses partisans aussi bien que ses opposants, ainsi que les syndicats et les acteurs économiques. Selon Matignon, « ces échanges ont influencé la rédaction de son discours, entamée dès sa nomination ». François Bayrou, homme de lettres, accorde une grande importance à cette déclaration de politique générale, rapportent des sources proches. À ce stade, l’ancien professeur ne délègue pas l’écriture. « Il rédige lui-même son discours et prend tout le temps qu’il faut », explique un proche collaborateur. « Sa priorité est de le réserver aux parlementaires. »
Cyrille Isaac-Sibille, député MoDem, le confirme : « Il rédige personnellement chaque mot du discours ». Pour l’épauler, il peut compter sur une équipe réduite, qui travaille de manière intensive en « mode commando », décrit un parlementaire. Parmi ces alliés, on trouve Éric Thiers, ancien conseiller d’Emmanuel Macron devenu le conseiller spécial du maire de Pau, ainsi que Séverine de Compreignac, ex-secrétaire générale du groupe MoDem, désormais conseillère parlementaire à Matignon. Marc Fesneau, leader du groupe MoDem à l’Assemblée, figure également parmi ses partenaires de confiance, avec qui il échange quotidiennement.
« Marc Fesneau transmet régulièrement à François Bayrou ses impressions et les informations issues de ses échanges, en particulier avec d’autres parlementaires. »
L’entourage du leader du groupe MoDemsur 42mag.fr
Leurs discussions incluent des sujets variés comme le budget, les problèmes sociaux, ainsi que les questions institutionnelles qui seront abordées mardi. François Bayrou maintient également un dialogue constant avec Patrick Mignola, ancien président du groupe MoDem et actuel ministre des Relations avec le Parlement. « Il est étroitement impliqué dans la préparation du discours de politique générale et tient François Bayrou informé des discussions avec les leaders des groupes », précise l’entourage du ministre.
Les demandes des ministères
Pour élaborer son discours, François Bayrou a aussi pris en compte les remarques soumises par ses ministres. Contrairement à Michel Barnier, qui avait organisé un séminaire avant son discours pour solliciter des propositions, cette fois, aucun cadre formel n’a été mis en place. « Les ministres qui souhaitent faire des suggestions peuvent le faire », indique un conseiller, précisant que c’est « plus une invitation à être proactif qu’une requête formelle ». Certains présentent cela comme une « liste de courses », plaisante un allié centriste.
À Bercy, les ministres de l’Économie et du Budget, Éric Lombard et Amélie de Montchalin, ont transmis à François Bayrou un résumé des discussions menées avec les forces politiques, notamment la gauche, à propos du projet de loi de finances. Le débat sur la réforme des retraites, que la gauche souhaite abroger ou suspendre, est au cœur des échanges. Par ailleurs, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a rencontré François Bayrou le 6 janvier pour discuter des détails de son domaine de responsabilités.
Aurore Bergé, ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes, a soumis une note le 9 janvier, rappelant deux grandes priorités : la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences intrafamiliales pour mieux les prévenir et les comprendre, et « la lutte contre l’antisémitisme quotidien », avec une volonté d’adapter la loi pour mieux sanctionner ses nouvelles formes.
François Bayrou abordera-t-il ce sujet ? Personne ne le sait encore. D’autres préfèrent garder leur stratégie secrète. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du Commerce extérieur, a fait passer une note dont le contenu reste confidentiel, évoquant « un secret de polichinelle » pour en assurer le succès. « Nous avions transmis au président de la République deux idées pour son discours aux ambassadeurs, et elles ont été intégrées », indique son équipe.
Un défi de taille
Au sein de l’Assemblée, François Bayrou s’adressera autant aux députés qu’aux citoyens. « Les Français attendent d’être rassurés, ils sont lassés de la politique et souhaitent un cadre clair et une vision d’avenir », affirme Marina Ferrari. Mais pour répondre pleinement à ces attentes, le Béarnais devra faire mieux que son prédécesseur, qui détient le record du Premier ministre le plus éphémère de la Ve République. Cela exigera de savoir naviguer efficacement au sein du Parlement. « Il a un positionnement stratégique au centre, avec des connexions à gauche et à droite, et des positions équilibrées », souligne Geneviève Darrieussecq.
Depuis sa prise de fonction, le maire de Pau s’efforce de montrer son respect pour toutes les composantes de l’Assemblée. « Je suis un fervent défenseur du pluralisme politique », a-t-il déclaré aux députés avant la formation de son gouvernement, le 17 décembre. « Je ne fais pas de distinction entre les députés », avait-il promis, adressant un signal limpide au Rassemblement national, qui avait voté la censure contre Michel Barnier.
« Un message politique fort doit être adressé aux députés pour réaffirmer que le pouvoir est au sein de l’Assemblée nationale. »
Un proche de François Bayrousur 42mag.fr
« Chercher à fédérer autour de valeurs communes est ancré dans son ADN. Il aspire à être le médiateur », poursuit cet intime. « Tout au long de sa carrière, il a cherché le compromis », renchérit Marina Ferrari. « Évitera-t-il l’échec ? Seul l’avenir le dira. », conclut-elle.