Jean-Luc Mélenchon a exprimé sa surprise face à une intervention militaire française en Syrie, regrettant que l’Assemblée nationale n’ait pas été consultée au préalable. Cependant, il n’y a là rien d’inhabituel, car la France a réalisé des centaines de frappes similaires depuis qu’elle a rejoint l’opération internationale visant à lutter contre le groupe État islamique.
On avait quelque peu laissé de côté l’opération Chammal en Syrie et en Irak, mais celle-ci continue d’être pertinente aujourd’hui, plus de dix ans après son lancement. Le mardi 31 décembre, l’aviation française a effectué de nouvelles frappes visant des positions résiduelles du groupe État islamique (EI) en Syrie. Cette intervention a été vivement critiquée par le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon. « Peut-être que quelqu’un prendra la peine d’informer les députés du pourquoi et du comment de cette opération, si cela plaît à notre dirigeant », a-t-il déclaré. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a répliqué en qualifiant ses propos de « graves et irresponsables », les considérant comme un exemple de « désinformation politicienne ».
1 Quelles informations avons-nous sur ces récentes frappes ?
L’état-major a communiqué que deux infrastructures de l’État islamique avaient été ciblées dans le cadre de l’opération Chammal. Cette annonce était accompagnée de deux vidéos en noir et blanc, assez floues, montrant des bâtiments frappés chacun par un missile. Le ministère des Armées a indiqué à l’AFP que des avions de chasse Rafale et des drones Reaper avaient largué au total sept bombes sur ces deux cibles, situées au centre de la Syrie.
Selon le blog spécialisé Opex360, cela faisait depuis janvier 2021 que les Rafale français n’avaient pas mené un tel raid contre l’État islamique. À l’époque, l’état-major avait qualifié l’opération de « frappe d’opportunité réalisée à la demande de la coalition dirigée par les États-Unis ».
2 Pourquoi ces frappes sont-elles réalisées maintenant ?
Ces frappes interviennent dans un contexte particulier où la Syrie traverse une phase de transformation politique. Un gouvernement provisoire a été mis en place à Damas par une coalition de groupes armés menée par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui a évincé le régime de Bachar al-Assad le 8 décembre. Plusieurs pays, cependant, craignent que pendant cette période de transition chaotique, le groupe État islamique tente de tirer parti de la situation. Selon l’armée américaine, il y aurait encore au moins 2 500 combattants de l’État islamique en Syrie et en Irak, avec 9 000 autres détenus dans des prisons syriennes.
Ces circonstances ont poussé les États-Unis à réagir rapidement en menant des attaques sur 75 cibles de l’État islamique, le même jour où les rebelles syriens dirigés par le HTS ont pris le contrôle de la capitale, le 8 décembre. Déjà à la mi-décembre, les États-Unis avaient annoncé le doublement de leurs forces en Syrie, atteignant environ 2 000 militaires. Le Commandement central américain (Centcom) souhaite éviter que l’État islamique ne réorganise ses forces en Syrie centrale.
3 Le Parlement français a-t-il été impliqué ?
La France participe au combat contre le groupe État islamique à travers l’opération Chammal, dont le nom est inspiré d’un vent en Irak. Depuis 2014 en Irak et 2015 en Syrie, elle est intégrée à une vaste coalition internationale, « Inherent Resolve », qui regroupe 87 pays. Ses objectifs principaux sont de cibler l’État islamique et de former les troupes irakiennes.
Conformément à la Constitution française (article 35, alinéa 3), le gouvernement doit soumettre au vote du Parlement toute prolongation d’intervention militaire au-delà de quatre mois. L’engagement français en Irak a été approuvé le 13 janvier 2015, suivi de l’approbation concernant la Syrie le 25 novembre de la même année. À l’Assemblée nationale, l’engagement initial a reçu l’approbation de 488 sur 489 députés présents (une voix contre, 13 abstentions), et le second par 515 voix pour (quatre contre, 10 abstentions). « Cela remonte à dix ans. Les choses ont légèrement évolué depuis », a commenté Manuel Bompard, député LFI, sur X. Il a demandé un nouveau débat parlementaire, bien que la Constitution ne prévoie pas de renouvèlement de vote en cas de prolongation des interventions.
Des votations similaires ont été organisées à plusieurs reprises pour d’autres opérations telle que Harmattan en Libye (2011), Serval au Mali (2013-2014) et Sangaris en République centrafricaine (2013-2016)…
4 Quels moyens sont engagés par la France ?
Selon la coalition, l’État islamique n’a plus de contrôle territorial en Irak depuis décembre 2017 et en Syrie depuis mars 2019. Les artilleurs français de la task force Wagram se sont retirés du Levant le mois suivant, laissant l’aviation comme seul acteur actif dans les opérations contre l’État islamique. Plus de 600 militaires français et 10 avions Rafale sont déployés en permanence, principalement sur la base aérienne H5 en Jordanie et sur la base 104 à Al Dhafra, aux Émirats arabes unis.
« Grâce à la localisation de la BAP H5, les missions durent seulement 4h30, comparées aux 7h30 nécessaires pour couvrir un créneau de trois heures depuis la BA 104 aux Émirats », soulignait un rapport parlementaire de 2021. L’opération Chammal utilise aussi des ressources temporaires : entre janvier 2015 et décembre 2022, le Groupement aéronaval (GAN) a été mobilisé à huit reprises et la frégate Guépratte a apporté un soutien lors de paniques op menées en Syrie et en Irak.
5 Quelle est leur portée opérationnelle ?
En décembre 2023, l’armée française précisait qu’elle réalisait environ 10% des missions aériennes de la coalition, voire jusqu’à 20% lorsque le GAN était engagé en soutien – ce qui s’est produit huit fois entre janvier 2015 et décembre 2022. Le ministère des Armées a indiqué qu’en tout, la France avait mené 13 500 sorties aériennes et effectué 1 570 frappes, détruisant 2 400 cibles. Contacté par 42mag.fr, l’état-major des armées n’a pas fourni de chiffres actualisés pour 2024, ni de détails sur les frappes, invoquant « des raisons de sécurité opérationnelles ».
« Au Moyen-Orient, les Rafale de la base aérienne avancée au Levant ont poursuivi leur engagement avec la coalition dans la région pour lutter contre [l’État islamique]« , indiquent succinctement les rapports hebdomadaires. Les avions effectuent en moyenne 16 sorties par semaine, totalisant environ 70 heures de vol, bien que la nature de ces missions ne soit pas précisée. En complément, la France s’implique régulièrement dans des entraînements conjoints avec l’armée de l’air irakienne, connus sous le nom de « Partner Nation Integration ».