Lors de son passage à Marseille, le ministre de la Justice a exprimé sa détermination et souhaite démontrer la « prédominance » de l’État face à des « groupes criminels qui s’organisent de manière croissante ».
Depuis qu’il a pris ses fonctions place Vendôme, Gérald Darmanin, le nouveau ministre de la Justice, ne cesse de proclamer son engagement à affronter ce qu’il appelle les « trois grands défis menaçant la nation ». Dans une interview accordée au Parisien, il a identifié ces obstacles : la « surpopulation carcérale, le retard des procès, et la criminalité organisée notamment liée au trafic de drogues ». Ces priorités ont été au cœur de son déplacement à Marseille le jeudi 2 janvier, où il a souligné la nécessité de démontrer la « force de l’État » contre ces « réseaux criminels de plus en plus sophistiqués ».
Lors de cette visite, le ministre de la Justice a dévoilé son plan pour aborder ces questions, quelques mois après que Didier Migaud ait présenté une stratégie similaire dans la même ville. Gérald Darmanin a exprimé son intention de poursuivre les initiatives de ceux qui l’ont précédé tout en y apportant son « empreinte » grâce à des mesures spécifiques. Entre isolement des criminels, coopération internationale, et mise en place d’une juridiction spécialisée, voici comment il envisage de combattre la criminalité organisée et le trafic de stupéfiants.
Isolement des trafiquants de drogue
Gérald Darmanin a précisé une idée qu’il avait lancée dans Le Parisien : il s’agit d’un isolement accru des « 100 plus gros trafiquants de drogue », inspiré du « modèle utilisé contre les plus grands terroristes ». À Marseille, il a détaillé ce concept, qu’il appelle « technique de l’appartement témoin », visant à illustrer concrètement son efficacité en « commençant par les 100 premiers narcotrafiquants ». Ils seraient ainsi isolés grâce à des fouilles et la perturbation de leurs communications.
Le ministre désire aussi une « tolérance zéro » pour les téléphones en prison, s’indignant que certains puissent encore « diriger leurs trafics ou ordonner des meurtres » depuis leur cellule. Il souhaite donc intensifier les contrôles pour réduire le nombre de portables confisqués, qui s’élevait en 2024 à « plus de 40 000 unités ». Toutefois, il ne veut pas cibler toutes les cellules, conscient que cela coûterait aux contribuables « 500 millions d’euros ». Gérant « ingénieux » et « discriminant mieux les détenus », il envisage de se concentrer sur les cellules concernées par l’utilisation des mobiles.
Il a ainsi mandaté l’administration pénitentiaire pour sélectionner les « 100 profils requis », afin de lancer cette « opération pilote » avec ceux qui continuent leurs activités illicites depuis la prison. Si cela fonctionne, il souhaite élargir cette méthode aux « environ 17 000 détenus actuellement incarcérés pour trafic de drogue en France ». Pour soutenir son point de vue, il a mentionné avoir déjà expérimenté une approche similaire lorsqu’il était maire de Tourcoing.
Toutefois, cette proposition n’a pas convaincu tout le monde, notamment l’avocate Ménya Arab-Tigrine, qui a exprimé sur 42mag.fr ses doutes sur la faisabilité et la légalité de cette « annonce percutante ». Elle s’interroge : « Comment identifier ces 100 trafiquants principaux ? Sur quels critères ? » Elle a aussi mis en garde contre une potentielle violation du secret judiciaire, affirmant que transmettre ces noms au ministre serait « inconstitutionnel ».
Saisie des avoirs criminels
Gérald Darmanin souhaite également frapper les trafiquants au portefeuille, expliquant que le crime organisé dispose de « moyens suffisants pour créer des réseaux téléphoniques parallèles, financer des circuits internationaux, investir dans l’immobilier et la restauration, et pour corrompre ou menacer des agents ». Soulignant que « 41 millions d’euros ont été confisqués cette année dans les Bouches-du-Rhône », il y voit une méthode pour « porter atteinte sérieusement aux activités illicites des criminels ». Il prévoit donc de renforcer la confiscation des biens mal acquis, qu’ils soient en France ou à l’étranger, et veut améliorer la coordination internationale.
Le ministre envisage également un déplacement « autour du 20 janvier » aux Émirats arabes unis, un refuge pour certains criminels, dans le but de « renforcer la coopération judiciaire ». Selon lui, « la question du blanchiment doit être prioritaire, car cela permet de toucher les trafiquants avant même qu’ils soient condamnés », se référant à une loi existante qui autorise les saisies préventives. Cette initiative pourrait s’étendre, tant pour les petits délinquants que pour les criminels en col blanc. Depuis juin dernier, la loi 2024-582 a déjà élargi l’application des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
Le ministre a également exprimé son intention de protéger les « agents publics victimes de menaces dans l’exercice de leur travail ». Pour cela, il veut que des peines plus sévères soient imposées à ceux qui menacent ou corrompent les représentants de l’État. Une circulaire sera prochainement présentée pour que « les attaques, menaces, et actes de corruption soient traités avec la plus grande rigueur ».
Établissement d’un parquet spécialisé
En conférence de presse le 29 décembre, Gérald Darmanin a défendu la mise en place d’un parquet dédié à la lutte contre la criminalité organisée. Trouvant « étonnant que le narcobanditisme, étant une menace majeure, ne dispose pas de sa propre juridiction avec des magistrats spécialisés », il souhaite créer une entité semblable au « Pnaco » envisagé par son prédécesseur Eric Dupond-Moretti, décrite comme un moyen de « renforcer notre système judiciaire face aux crimes les plus graves ».
Cette initiative avait déjà reçu l’approbation de Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats, qui avait soutenu la nécessité d’une juridiction spécialisée en déclarant : « Nous faisons face à une menace qui demande une nouvelle dimension pour la police judiciaire et la justice ». En novembre dernier, Didier Migaud avait également félicité cette proposition. Aurélien Martini, vice-procureur au tribunal de Melun, avait aussi exprimé son soutien, voyant dans ce parquet une possible « unité de coordination ayant une perspective d’ensemble de la lutte contre la criminalité organisée, à l’instar du Parquet national antiterroriste ». Toutefois, il avertissait qu’« il faut des effectifs supplémentaires », pas seulement un réajustement à moyens constants.