Durant trois heures à la barre, l’ex-chef de l’État a vivement critiqué l’un des principaux témoins à charge dans cette affaire.
Claude Guéant ? Selon Nicolas Sarkozy, « une personne avec qui j’ai collaboré étroitement pendant huit années. » Quant à Brice Hortefeux, il le considère comme « un ami de longue date » depuis 1976. En ce qui concerne Alexandre Djouhri, c’est un intermédiaire avec lequel il entretient « des relations cordiales », et qui a œuvré pour « apaiser les tensions avec le groupe chiraquien ». Pour Ziad Takieddine, il n’hésite pas à le taxer de « menteur invétéré » et de « filou », une personne qu’il n’a jamais appréciée naturellement. Lors de son premier interrogatoire lié aux soupçons de financement par la Libye de sa campagne de 2007, le lundi 13 janvier, Nicolas Sarkozy a orienté ses critiques sur l’un des grands absents du procès. Ce coprévenu, refugié au Liban, est l’un des principaux accusateurs de l’ancien président dans cette affaire complexe, qui le confronte à la justice pour la cinquième fois.
Vers la fin de 2012, lors d’un interrogatoire dans le cadre de l’affaire Karachi – où il a été condamné en 2020 à cinq ans de prison ferme –, cet homme d’affaires franco-libanais mentionne un financement à hauteur de 50 millions d’euros pour la campagne de Nicolas Sarkozy par le régime de Kadhafi. Selon cet intermédiaire, proche des cercles balladuriens, les transactions ont démarré fin 2006, atteignant 5 millions d’euros début 2007. Il affirme avoir remis plusieurs fois des valises de billets au ministère de l’Intérieur, dont une directement à Nicolas Sarkozy le 27 janvier. « Le 27 janvier, j’étais à l’Isle-sur-la-Sorgue, dans le Vaucluse, quelle coïncidence, madame la présidente ! » s’exclame l’ancien ministre de l’Intérieur.
« La réponse est ‘non' »
En retraçant son parcours politique depuis son poste de maire à Neuilly jusqu’à son arrivée à l’Elysée, Nicolas Sarkozy affirme n’avoir rencontré Ziad Takieddine que « deux fois » : « en 2002 avec Philippe Séguin [alors député] et en 2003, il était avec le ministre de l’Intérieur saoudien en tant que traducteur », affirme-t-il devant le tribunal correctionnel de Paris. « Quand monsieur Takieddine se déplace, ce n’est pas pour traduire, cela reste suspect », rétorque l’un des trois procureurs du Parquet national financier. « Il est indiscutable qu’il y a eu des versements libyens à Takieddine », admet Nicolas Sarkozy, insistant qu’il n’a été concerné en aucun cas. Il se moque en ajoutant que « Takieddine n’est pas réputé pour sa générosité ».
Créer de l’amusement parmi le public, celui qui affirme remplir des réunions avec « 80 000 personnes » enchaîne avec une anaphore : « Est-ce qu’au ministère de l’Intérieur pendant quatre ans, j’ai donné un rendez-vous à Takieddine ? Non. Est-ce que durant mes cinq années à la présidence, je lui ai permis une rencontre ? Non. A-t-il assisté au voyage pour la libération des infirmières [bulgares]? Non. Était-il présent au dîner lorsque Kadhafi est venu à Paris ? Non. »
« Monsieur Takieddine n’a eu aucune influence sur moi, je vous demande de croire en ma sincérité. »
Nicolas Sarkozy, prévenu et ancien présidentà la barre du tribunal correctionnel de Paris
L’ancien président s’appuie également sur ses « agendas », examinés, ainsi que sur les « documents » de Ziad Takieddine, « bien exploités. » « S’il avait, la moindre preuve d’un échange avec moi, il la conserverait », affirme-t-il, visant le tribunal. En passant, il critique son rival à droite, Jean-François Copé, qualifié de « soutien fort de monsieur Takieddine », tandis qu’il prétend ignorer les relations privées entre Brice Hortefeux et cet « agent d’influence ». « Elles se déroulaient en privé, il n’avait pas à m’en faire part, il s’expliquera », justifie-t-il, ajoutant cependant, sous les yeux de son ancien ministre, « qu’à l’époque Ziad Takieddine n’avait pas la réputation sulfureuse qu’il a acquise depuis. »
Un absent au cœur des discussions
Ziad Takieddine était-il alors véritablement fréquentable ? Nicolas Sarkozy déclare à la barre : « Je n’ai aucune photo avec lui, cela devrait vous interpeller pour quelqu’un qui aime se faire voir ! » Comment expliquer alors les déclarations de l’ancienne épouse de l’intermédiaire, assurant aux enquêteurs que son mari avait reçu un appel de Nicolas Sarkozy en juin 2008 après le décès de sa mère. « Mon mari était très touché par cet appel, il trouvait émouvant que le président de la République l’appelle », avait-elle affirmé. L’intéressé nie : « Je n’ai jamais été informé du décès de la mère de Takieddine, et je ne l’ai pas appelé pour présenter mes condoléances, sinon je vous le dirais ! »
Claire Josserand-Schmidt, une avocate de la partie civile, s’étonne que Ziad Takieddine ait « fait semblant devant sa femme, avec qui il a vécu plus de vingt ans, d’avoir reçu un appel du président de la République et d’avoir manifesté une telle émotion ». En réponse, le prévenu évoque le contexte mondial : « 2008, c’est l’année de la crise financière, j’étais président et aussi dirigeant de l’Europe ! Et je vais contacter Takieddine, avec qui je n’ai aucun lien, pour dire : ‘Toutes mes condoléances pour votre mère’ ? » Cette remarque génère de nouveaux rires dans la salle.
L’ancien président rappelle également que le Franco-Libanais a été condamné pour « faux témoignage » dans le cadre de l’affaire Karachi. « Parce qu’on a été condamné une fois, on perd toute crédibilité ? », demande l’avocate, notant que son interlocuteur vient d’être condamné définitivement à un an de prison pour l’affaire des écoutes. Cela semble être un point en faveur de l’accusation. Confident de ses actions, Nicolas Sarkozy insiste : « Monsieur Takieddine, à l’époque, n’était pas pertinent pour moi. » Ironiquement, il retrouve désormais le centre de l’attention dans ce procès. La suite des débats est prévue pour mercredi.