Le renommé cinéaste, qui est considéré comme l’une des figures fondatrices du cinéma en Afrique, est décédé mercredi à l’âge de 84 ans.
Le célèbre réalisateur malien Souleymane Cissé, qui aurait célébré son 85e anniversaire en avril, est décédé le mercredi 19 février dans un établissement de soins à Bamako, la capitale du Mali. Il était sur le point de présider le jury des films de fiction pour la 29e édition du Fespaco, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, qui débutera le 22 février au Burkina Faso.
Né le 21 avril 1940, Cissé est devenu une icône du cinéma d’Afrique de l’Ouest. Son talent a très tôt été reconnu par ses pairs et à l’international, plaçant ce réalisateur parmi ceux déterminés à raconter, avec persévérance, l’histoire complexe et mouvementée d’une industrie cinématographique encore fragile dans son propre pays et au-delà de ses frontières. Pour ceux qui souhaitent se plonger dans l’univers de cet artiste, voici quelques pistes.
Des débuts bercés par le cinéma
« À l’âge de cinq ans, je suppliais mon grand frère de m’emmener au cinéma. Il a fini par céder, et ce fut le point de départ », se souvient-il, racontant son histoire à 42mag.fr en 2022 lors de la projection à Cannes Classics du documentaire Hommage d’une fille à son père, dirigé par sa fille, Fatou Cissé. Cette passion précoce a donné naissance à une œuvre abondante et engagée.
Un parcours formateur en URSS
« Si je n’avais pas poursuivi mes études de cinéma à Moscou, je ne serais pas devenu ce que je suis », raconte-t-il dans le même documentaire. Après l’indépendance du Mali en 1960, il est l’un des étudiants envoyés par l’État dans des pays étrangers pour acquérir des compétences utiles à la jeune nation. En Union soviétique, il s’est jeté à corps perdu dans sa passion pour le septième art. « Je suis arrivé en Russie sans aucun diplôme », se souvient-il. « Ni bac, ni certificat. Nous représentions une génération désireuse de se libérer du colonialisme, et Modibo Keita, le premier président malien, avait la clairvoyance d’envoyer les jeunes motivés se former à l’international. J’ai appris le russe et je me suis dirigé vers le cinéma qui me fascinait. » Armé de cette formation qui l’a rendu indépendant, il a trouvé sa vocation : réaliser des films dans un pays aux ressources limitées face à des politiques souvent ombrageuses.
Un réalisateur audacieux
Souleymane Cissé est bien conscient des difficultés liées à la liberté d’expression. Son tout premier film, Den Muso (La Jeune Fille), a été mal reçu par les autorités et lui a même valu un passage en prison. Le film, finalement interdit, raconte l’histoire tragique d’une jeune fille muette, violée, puis rejetée à cause de sa grossesse. Den Muso est également le premier film tourné en bambara.
Une œuvre saluée dès ses débuts
Les longs-métrages de Cissé ont été largement acclamés, lui permettant de remporter à deux reprises l’Étalon d’or de Yennenga, la plus haute distinction du Fespaco — le principal festival de cinéma en Afrique. En 1979, c’est Baara (Le Travail) qui lui vaut la récompense, suivi en 1985 par Finyé (Le Vent), une œuvre traitant de la contestation juvénile contre l’autorité militaire au Mali, un thème encore pertinent avec les coups d’État des dernières années. En 1987, son film Yeelen (La Lumière), une quête initiatique explorant la recherche incessante de savoir, remporte le Prix du Jury à Cannes, ex æquo. « Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour, un de mes films serait sélectionné à Cannes. Cela m’a fait réaliser que tout est possible », confie-t-il.
Lauréat d’un Carrosse d’or
En 2023, Cannes lui a décerné un Carrosse d’or, distinguant ainsi l’ensemble de sa carrière lors de la Quinzaine des cinéastes. « À l’intersection du poétique et du politique, de l’analyse sociale et du mythe, enracinée dans la riche culture du Mali tout en s’ouvrant au monde, votre œuvre a durablement marqué notre cinéphilie », note la Société des réalisateurs et réalisatrices de films (SRF) qui attribue ce prix. Elle évoque aussi la portée politique de ses travaux : « Dans un contexte politique dictatorial, où vous avez réalisé vos premiers longs-métrages tels que Den Muso, Baara, et Finyè, votre audace est admirable. En dénonçant l’oppression sous toutes ses formes, vous avez toujours privilégié l’art sur l’idéologie. »
Un objectif constant : promouvoir le cinéma au Mali et en Afrique
Souleymane Cissé a toujours œuvré pour l’évolution du cinéma dans son pays et en Afrique. Il a été le président de l’Union des créateurs et entrepreneurs du cinéma et de l’audiovisuel de l’Afrique de l’Ouest, un groupe qu’il a fondé en 1997. « Dans nos pays, tant que la culture ne prendra pas la place qu’elle mérite, il n’y aura pas de changement. Les nations les plus prospères l’ont compris et ne délaissent jamais leur industrie culturelle. Les Américains, comme les Européens, gardent cette industrie forte. Le cinéma doit d’abord connaître un essor sur le continent pour ensuite s’exporter à l’international », soulignait-il.