Les grèves marquantes ont immobilisé la ville emblématique du cinéma pendant une demi-année en 2023. Ce contexte s’accompagne de chamboulements provoqués par le développement des plateformes de streaming et d’un mouvement des tournages qui quittent la Californie. Les travailleurs de l’industrie cinématographique à Hollywood ressentent durement ces changements.
Dans la chaleur de cette année, Dutch Merrick trouvera peu de réconfort en regardant les Oscars le dimanche 2 mars : cet accessoiriste, comme bien d’autres artisans d’Hollywood, a récemment vu sa maison partir en fumée lors des incendies violents qui ont touché Los Angeles en janvier.
« Le travail s’est évaporé », constate Dutch Merrick, qui, la plupart du temps, est engagé en tant qu’armurier sur les tournages. « Personne dans notre génération n’aurait cru que l’activité du secteur saurait réduire ainsi ». N’ayant pas cumulé suffisamment d’heures de travail, il a perdu son accès à l’assurance maladie. Pour traverser cette période difficile, il se rend régulièrement à la banque alimentaire de l’IATSE, le syndicat rassemblant les métiers techniques d’Hollywood – de ceux qui montent les films à ceux qui créent les costumes ou maquillent les acteurs.
Chaque semaine, près de quarante familles se pressent là-bas, cherchant à obtenir fruits, légumes et produits d’entretien, dans ce lieu situé à proximité des studios Warner Bros. Créée pendant la grève des scénaristes et des acteurs en 2023, cette initiative est destinée à se prolonger, selon Dejon Ellis, figure syndicale locale. Hollywood traverse une « période de contraction » qui a « réduit le volume de travail d’environ 30 à 35% » comparé à 2021.
« Fondations vacillantes »
« Les incendies ont exacerbé les difficultés déjà provoquées par le manque d’opportunités d’emploi », regrette-t-il. En 2024, le dynamisme économique de Los Angeles a connu un coup de frein. FilmLA a officiellement comptabilisé seulement 23 480 jours où le tournage s’est déroulé dans la ville et sa région, enregistrant ainsi le chiffre le plus bas depuis trois décennies – abstraction faite de l’arrêt total provoqué par la pandémie en 2020. L’éclatement de « la bulle du streaming » en est l’un des principaux responsables, selon Dejon Ellis.
Finis les jours où chaque studio tentait de suivre les pas de Netflix en lançant des séries à foison. Désormais soumis à la pression des actionnaires, chaque studio est incité à rentabiliser sa propre plateforme. Cela conduit à une réduction des productions et à des délocalisations : après avoir fait face à la concurrence venue d’États américains comme le Nouveau-Mexique et la Géorgie, Los Angeles affronte désormais celle émanant de pays tels que la Thaïlande, la Hongrie ou l’Afrique du Sud, attirés par des avantages fiscaux attrayants pour tourner chez eux. « Les bases mêmes de l’industrie hollywoodienne sont en péril », déplore Dutch Merrick, ajoutant que « les incitations fiscales ont entraîné une dévalorisation collective ».
Il ressent qu’il fait désormais partie d’un secteur en déclin, suite aux transformations opérées ces dernières années. SEAL Team, la dernière production militaire à laquelle il a participé avant les mouvements de grève, a réduit sa composition de 22 à 10 épisodes par saison, certains étant tournés au Mexique. « Cela ne suffit pas pour faire vivre une famille », regrette-t-il.
« Rôle de l’IA »
Pour soutenir le milieu cinématographique hollywoodien, la Californie prévoit de doubler les crédits d’impôt pour le cinéma et les productions audiovisuelles. Cependant, Veronica Kahn reste sceptique quant à l’efficacité de cette mesure, face aux bouleversements actuels. « Les gens passent beaucoup de temps à visionner de courtes vidéos de 30 secondes sur TikTok, réduisant ainsi le temps qu’ils consacrent aux films et aux séries », sourit tristement cette ingénieure du son. « Même durant le Super Bowl, cette année, les publicités évitaient les acteurs, privilégiant plutôt l’utilisation de l’IA ou des animations. Nos métiers sont déjà en déclin. »
La série sur laquelle elle travaillait s’est arrêtée en mai 2023, conséquence des grèves réclamant de meilleures rémunérations et des protections contre l’usage de l’IA. Les revendications ont été entendues, mais au détriment de certains. À la reprise du tournage début 2024, elle a appris que « en raison de l’augmentation des frais pour les scénaristes et les acteurs, la production ne pouvait se permettre d’engager une personne supplémentaire pour le son », raconte-t-elle. Depuis ce moment, « chaque fois que je rencontre un producteur, il s’agit d’un projet se déroulant hors de Los Angeles », confie cette Californienne. Elle a dû renoncer aux soirées au restaurant et annuler toutes ses souscriptions à des services de streaming et a ressenti un certain soulagement lorsqu’elle a découvert la banque alimentaire de l’IATSE.
Après les incendies, les studios ont débloqué des fonds s’élevant à des centaines de millions de dollars pour l’aide. Pourtant, Dejon Ellis, dans son bureau syndical, souhaite qu’ils s’engagent différemment : « Pour vraiment aider les victimes des incendies, produisez plus de films et séries ici, à Los Angeles », suggère-t-il avec insistance.